- Positionnement de Sihanoukville (petit rectangle rouge) dans les nouvelles routes de la soie. Source : Mercator Institute for China Studies, 2018
Un contexte favorable aux investissements chinois
D’abord, il faut comprendre que Sihanoukville joue un rôle primordial à l’échelle cambodgienne car elle fait partie du triangle de développement touristique Siem Reap/Angkor – Phnom Penh – Sihanoukville [6]. Dans les années 2000, l’initiative de la GMS permet de renforcer davantage la position stratégique de Sihanoukville à l’échelle sud-est asiatique. La GMS est mise en place par les pays de l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est (ASEAN), la Chine et la Banque Asiatique de Développement (BAD) et structure des corridors de développement est-ouest et nord-sud. Sihanoukville est elle-même concernée par un corridor la reliant à Kunming dans le sud de la Chine et un autre reliant Bangkok à Hô Chi Minh-Ville. Ces corridors sont financés par de multiples acteurs asiatiques ainsi que par la Banque Mondiale [7].
Ce n’est vraiment que dans les années 2010, et probablement en lien avec la BRI lancée en 2013 par Xi Jinping, que la présence chinoise s’intensifie à Sihanoukville et dans sa province homonyme. Cette présence s’affirme par la venue de nombreux Chinois (p. ex. travailleurs temporaires, investisseurs, touristes) et bien sûr par d’importants investissements [8]. Effectivement, des investissements chinois seraient à la base de nouveaux aménagements dans le port en eaux profondes de Sihanoukville [9]. Un de ces aménagements portuaires concerne un nouveau terminal de 74 millions de dollars pouvant accueillir de plus gros navires commerciaux. De plus, grâce au caractère portuaire de Sihanoukville, une zone économique spéciale (ZES) y a été aménagée et plus de 100 firmes chinoises y seraient déjà présentes [10].
Cependant, les investissements chinois à Sihanoukville n’affluent pas seulement dans les infrastructures portuaires et industrielles, mais également dans le secteur hôtelier et les casinos. D’abord, il y a le Golden Silver Golf Resort qui a l’ambition de devenir la seconde destination touristique du Cambodge après Angkor. Le coût du projet s’élève à 5 milliards de dollars, s’étale sur 3 300 hectares et prendra 20 ans pour être complété. Un autre exemple de projet est celui de Wisney World, complexe hôtelier avec jeux aquatiques et s’évaluant à un milliard de dollars. On peut également penser au Sea Gate Suite et au Blue Bay Resort, deux hôtels, chacun valant 200 millions de dollars, ou même à des bâtiments plus modestes comme le Furi Times Square Mall ayant coûté 10 millions de dollars [11].
- Blue Bay Resort. Source : Robin Laillé, 2019
- Furi Times Square Mall. Source : Robin Laillé, 2019
Un bilan pour l’instant mitigé
Certains chiffres peuvent donner raison à ceux qui vantent les bienfaits des investissements chinois à Sihanoukville. Pour cause, 21 000 emplois auraient déjà été créés à Sihanoukville grâce aux investissements chinois et les prévisions portent le nombre à 80 000 d’ici 2022. Plusieurs Cambodgiens, surtout des propriétaires terriens, ont vu leurs revenus augmenter avec l’arrivée des investissements et des Chinois eux-mêmes [12].
Toutefois, l’horizon semble incertain pour les ambitions chinoises à Sihanoukville tant la liste d’obstacles s’allonge avec le temps. Certains chercheurs et médias soulèvent des problèmes liés à la corruption qui serait favorisée par les investisseurs chinois. La hausse de la criminalité due à la présence de la mafia et de pirates informatiques chinois à Sihanoukville a également été fortement médiatisée [13]. De plus, les bouleversements sociaux comme ceux liés à l’accaparement foncier et les enjeux environnementaux ne sont pas à négliger et s’apparentent à ceux qu’on peut observer dans d’autres cas d’investissements chinois au Cambodge [14] [15]. Tous ces problèmes pourraient alimenter un sentiment sinophobe déjà bien palpable dans la ville portuaire [16]. En fait, ces obstacles pourraient conduire à un fort ralentissement dans l’avancée des projets de la BRI à Sihanoukville. Le Cambodge rejoint ainsi la liste de plus en plus longue de pays où la BRI fait face à des défis. Effectivement, en plus des problèmes rencontrés à Sihanoukville (c.-à-.d. résistance à l’accaparement foncier, sinophobie), la BRI rencontre des difficultés telles que le terrorisme, la piraterie et le protectionnisme dans plusieurs autre pays [17]. De plus, la crise sanitaire actuelle ajoute évidemment une autre couche d’incertitude au développement des projets entourant la BRI.
Légende (photo de couverture) : Rencontre entre Hun Sen (deuxième à partir de la gauche), premier ministre du Cambodge, et Xi Jingping (premier à droite), président de la Chine, à Pékin le 21 janvier 2019. Source : The Diplomat, 2019