- Un touriste italien déporté à cause de son tatouage de Bouddha.
Crédit : Michael Riyo / Facebook : https://www.irrawaddy.com/wp-content/uploads/2016/11/Buddha-Tattoo.jpg.
Des textes, des statues, des tatouages : où situer le bouddhisme ?
Certains chercheurs ont essayé de comprendre les tensions qui entourent les images de Bouddha et leur altération à partir des textes sacrés [1]. Cependant, cette approche se heurte à des limites importantes. En effet, les Canons Pāli ne mentionnent pas les représentations de Bouddha et leur traitement. En fait, les premières images de Bouddha mises au jour par l’archéologie sont datées de plusieurs siècles après la rédaction des Canons [2]. Mais au-delà de toutes les prescriptions ou proscriptions des textes (qui peuvent toujours être réinterprétés), le problème est que la vaste majorité des Birmans bouddhistes n’ont aucune connaissance du contenu de ces Canons. Ils leur fournissent avant tout des formules dans une langue inintelligible qui, lorsque répétées, apportent la bonne fortune. Il est donc peu probable que ce qui motive les individus offensés par un tatouage de Bouddha sur le bras d’une touriste soit le respect de préceptes écrits.
- Images populaires que l’on retrouve partout dans le pays.
Crédits : Julien Porquet
Les pratiques liées aux images religieuses en Birmanie sont d’ailleurs toujours ambiguës et liées à des aspects sociaux, économiques ou politiques. Si seules les statues consacrées par les moines sont considérées comme sacrées, on trouve une multitude d’autres représentations de Bouddha sur différents supports. Les autocollants servent de porte-bonheur dans les voitures ou les bus, les affiches protègent les cuisines et les boutiques des esprits, les petites photos laminées se mettent dans le portefeuille comme rappel de sa foi, etc. Autant d’usages qu’on ne peut bien sûr pas comprendre en se concentrant seulement sur les textes. De l’image découpée dans un magazine à la statue de 5 mètres couverte d’or, il n’existe pas de bonne ou de mauvaise façon de représenter Bouddha. Mais cette grande diversité a permis des distinctions sociales importantes et chaque type d’image peut être lié à un aspect de l’identité social, économique et politique d’un individu.
Un de ces aspects, sans doute le plus important en Birmanie, est l’identité nationale.
Une image ou un drapeau : l’image de Bouddha comme emblème national
Quiconque a déjà voyagé dans un pays bouddhiste s’est rendu compte de la grande diversité stylistique des représentations de Bouddha. Une diversité telle que les premiers voyageurs et les premiers missionnaires visitant l’Asie ont mis des années avant de réaliser que toutes ces images qu’ils rencontraient représentaient la même personne [3]. Les images de Bouddha, qui ont toujours été ancrées dans les dynamiques politiques des pays les produisant, servent encore aujourd’hui, avec d’autres reliques, comme palladium des nations qui les possèdent [4]. Les images sont liées à des territoires, et circulent au besoin à travers ceux-ci comme outil diplomatique, comme ce fut le cas lors de la venue d’une relique indienne en Birmanie début 2016, pour soutenir les dernières élections [5]. À l’intérieur même du pays, l’histoire de la statue de Mahamuni, dérobée à l’état de Rakhine par le roi Thado Minsaw à la fin du 18e siècle, est un célèbre exemple de réappropriation d’une image à des fins politiques [6]. Les objets du culte bouddhiste sont ainsi souvent liés à un discours nationaliste, qu’il s’agisse des restes de Bouddha [7] ou de ses représentations [8].
Des entretiens menés à ce sujet dans la ville de Mandalay durant l’été 2017 ont fait ressortir ce discours nationaliste. Bien qu’elles suggèrent qu’un certain attachement ou fétichisme envers les images sacrées n’est pas compatible avec l’idéal bouddhique, les répondants ont souvent condamné les utilisations « profanes » des images de Bouddha. Les raisons avancées étaient avant tout identitaires : « C’est notre Bouddha » m’ont souvent répété mes interlocuteurs. Ce discours est notamment stimulé par le Ma Ba Tha, un groupe de moines nationalistes qui profitent de l’anxiété des Birmans bouddhistes de voir leur religion disparaître au profit, entre autres, de l’ennemi musulman. Comme l’a montré Guillaume Rozenberg [9],une notion commune en Birmanie est qu’« être birman, c’est être bouddhiste » et que les images, ou plutôt les règles qui régissent leur apparition, sont des outils très efficaces de ce nationalisme religieux.
- Des membres du groupe nationaliste Ma Ba Tha manifestant contre les Rohingya.
Crédits : Asian Correspondent : https://cdn.asiancorrespondent.com/wp-content/uploads/2015/10/Myanmar-Anti-Rohingya-Protest2015940-940x580.jpg
L’image de Bouddha en Birmanie (et dans le reste de l’Asie du Sud-Est) n’est jamais « juste » une image. C’est un signe qui, par la multiplicité de ses usages, joue un rôle autant religieux que politique. En cela, il permet de lier les deux et de maintenir le discours nationaliste birman selon lequel les non-bouddhistes n’ont pas leur place en Birmanie, ou bien comme dans le cas présenté ici, que le bouddhisme et ses signes sont une propriété birmane.
Messages
1. Religion et nationalisme : les cas de blasphème en Birmanie, 16 octobre 2017, 09:43, par Bernard Rancourt
Merci pour cet article.