Bulletin d’analyse sur l’Asie de l’Est et du Sud-Est

La Tenshinshō-den Katori Shintō-ryū : un succès international

jeudi 7 novembre 2024, par Paul Bénézet

Les écoles martiales traditionnelles japonaises (koryū), graduellement reconnues par les pouvoirs publics japonais comme part importante de la culture et des traditions de l’archipel depuis le début du 20e siècle sont l’objet, de la part des étrangers, d’une fascination inextinguible que même la pandémie de Covid-19 n’a pu enrayer. Par quels médiums ces écoles se font-elles connaître et qu’elles sont les conséquences d’une telle popularité ? Regards sur la plus ancienne d’entres-elles.

Qu’est-ce que la Katori Shintō-ryū ?

La Katori Shintō-ryū a été fondée en 1447 par Iizasa Choisai Ienao au sanctuaire de Katori (préfecture de Chiba). Ses enseignements sont véhiculés à travers un ensemble de kata, divisés en une partie omote et une partie ura, que les pratiquants répètent inlassablement jusqu’à en comprendre les principes fondamentaux. La première comprend des techniques de iaijutsu, kenjutsu, bōjutsu, et de naginatajutsu ; la seconde, des techniques de ryōtō, kodachi et de sōjutsu auxquelles s’ajoutent celles de shurikenjutsu et de yawarajutsu.

La Katori Shintō-ryū, à l’image des autres koryū, est structurée selon le système iemoto qui implique une centralisation autour d’une seule famille avec à sa tête un sōke, en charge d’assurer à la fois la transmission des enseignements et la poursuite de la lignée du fondateur. Toutefois, à la suite du décès du 18e sōke, Iizasa Morisada, dans les dernières années du 19e siècle, qui mourut sans laisser d’héritier, la première des deux tâches fut confiée à Yamaguchi Kumajirō, assisté par huit shihan, tandis que la seconde se perpétua à travers la veuve du sōke défunt, Iizasa Tōi . Cette séparation est encore d’actualité puisque le présent sōke, Iizasa Yasusada, continue d’assurer la pérennité familiale, tandis que la continuité technique est assurée par cinq branches distinctes :

  1. la branche Ōtake, établie par Ōtake Risuke (1926-2021) dont le dōjō principal, le Shinbukan, est situé à Shimofukuda. À la suite de querelles internes, cette branche s’est divisée en deux groupes en 2017. Le fils aîné d’Ōtake Risuke, Ōtake Nobutoshi, a pris la direction du Shinbukan tandis que son fils cadet, Kyōsō Shigetoshi a fondé son propre groupe avec l’aval du sōke ;
  2. la branche Sugino, fondée par Sugino Yoshio (1904-1998), installée à Kawasaki (Tōkyō) dont le dōjō, le Yuishinkan est maintenant supervisé par son fils, Sugino Yukihiro ;
  3. la branche Hatakeyama, fondée par Hatakayema Goro (1928-2009), ancien élève de Sugino Yoshio. La branche Hatakeyama ne compte plus aucun dōjō au Japon, son centre s’étant déplacé vers l’Europe ;
  4. la branche Sugawara, créée par Sugawara Tetsutaka (1941-), ancien élève de Ōtake Risuke et dont le dojo principal, le Sugawara sōgō budō, se situe à Machida (Tōkyō).

Otake Risuke-sensē exécutant une technique de iaijutsu, Chiba ni ikiru, 1983, Chiba : Chiba Sōgo Ginkō

Malgré quelques différences d’ordre stylistique et dans la manière dont elles soulignent l’avancée de leurs membres, les cinq branches mentionnées ci-dessus partagent une organisation similaire : à un dōjō principal sont affiliés des dōjō dirigés par des shidōsha [1] et installés aussi bien au Japon qu’à l’étranger. À titre d’exemple, le dōjō du Shinbukan compte à l’heure actuelle trois groupes implantés sur le territoire japonais et une quarantaine à travers le monde.

Comment la Katori Shintō-ryū se fait elle connaître ?

Si certains pratiquants ont découvert la Katori Shintō-ryū via d’autres pratiques martiales japonaises plus populaires telles que le jūdō, le karate ou l’aikidō, la diffusion de cette école est également à mettre en relation avec celle, plus générale, de la culture japonaise (soft-power). Livres, films et documentaires sont autant de canaux par lesquels les pratiquants en sont venus à connaître le monde des arts martiaux et, de fil en aiguille, les koryū. À titre d’exemple, on peut citer les publications de Donn F. Draeger (1922-1982), vétéran américain, premier pratiquant étranger de l’école dont il est devenu membre dans les années 1960, et qui fait figure de pionnier dans les recherches sur les arts martiaux [2] ; mais aussi l’ouvrage Les arts martiaux ou l’esprit des budo (1977) et le documentaire qui l’accompagne, du journaliste français Michel Random. Les manga et les anime qui mettent en scène des éléments provenant de la culture samurai, figure emblématique qui exerce une certaine fascination sur les pratiquants, contribuent à éveiller leur intérêt pour l’apprentissage du maniement du sabre et, en conséquence, pour les écoles martiales. On peut citer ici Kenshin le vagabond de Watsuki Nobuhiro ou le plus récent Demon Slayer de Gotōge Koyoharu parmi ceux mentionnés par les pratiquants.

Couverture du tome 10 de l’édition japonaise de Demon Slayer (Kimetsu no yaiba), Shūheisha https://www.shueisha.co.jp/books/items/contents.html?isbn=978-4-08-881355-4, page consultée le 3 février 2024

Les films, et particulièrement ceux de Kurosawa Akira même s’ils ne sont pas de la première jeunesse, ont également leur place dans la construction de l’imaginaire martial des pratiquants et dans leurs sources d’inspiration. D’ailleurs, quiconque a vu Les Sept Samourai (1954) ou Yojimbo (1961) connaît la Katori Shintō-ryū sans en avoir conscience car les scènes de combat de ces deux films ont été supervisées par Sugino Yoshio. C’est particulièrement vrai de Yojimbo : dans les premiers moments du film, le personnage principal, incarné par Mifune Toshirō, défait trois sabreurs patibulaires, dont un à l’aide d’une technique de iaijutsu qui appartient à la Katori Shintō-ryū [3] et que l’acteur était réputé exécuter avec une grande habileté.

Sugino Yoshio (au centre) donnant des indications sur la manière d’utiliser un sabre à Mifune Toshiro (à gauche) sous les yeux du réalisateur Kurosawa Akira (à droite) et des autres acteurs du film, Aikido Journal https://aikidojournal.com/2018/10/31/the-last-swordsman-the-yoshio-sugino-story-part-3/, page consultée le 3 février 2024

L’apparition d’internet a marqué un tournant dans la diffusion de l’école et de ses techniques. Il suffit aujourd’hui de taper son nom dans un moteur de recherche ou dans YouTube pour qu’apparaissent des centaines de vidéos, prises dans différents lieux et à différentes époques. Ces vidéos, considérées comme un fond d’archives par les pratiquants qui les consultent occasionnellement, sont également accessibles à tous. À l’heure du Do it Yourself (DIY), il suffit de s’acheter un bokuto [4] et des vêtements de pratique (hakama et keikogi [5]) en ligne et d’imiter les techniques de la Katori Shintō-ryū pour s’imaginer membre de cette école. Certains vont même plus loin en fondant leur propre groupe de pratique sans l’aval des dōjō « légitimes » qui jugent sévèrement cette attitude et se défendent d’enseigner le « véritable » Katori Shintō-ryū.


[1« Instructeur ». Les shidōsha sont désignés par les dōjō principaux pour constituer un groupe de pratique. Ils ont pour tâche de relayer les enseignements de l’école.

[2Voir par exemple ses trois ouvrages : 1973a, Classical Bujutsu : The Martial Arts and Ways of Japan, vol. I. New York : Weatherhill Inc ; 1973b, Classical budo : The Martial Arts and Ways of Japan, vol. II. New York : Weatherhill, Inc ; 1974, Modern Bujustu and budo : The Martial Arts and Ways of Japan, vol III. New York : Weatherhill, Inc.

[3Josh Gold, 2018. « The Last Swordman : The Yoshio Sugino Story Part 3 » in Aikido Journal. En ligne : https://aikidojournal.com/2018/10/31/the-last-swordsman-the-yoshio-sugino-story-part-3/ (page consultée le 3 février 2024).

[4Sabre de bois utilisé pour la pratique.

[5Le hakama est un pantalon ample, autrefois porté par les samurai ; le keikogi est une veste, croisée au niveau de la poitrine, comme un kimono.

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