Une organisation au centre d’une dynamique russo-chinoise unificatrice des théâtres géopolitiques de l’Indo-Pacifique et de l’Europe
Moscou et Pékin assurent la politique stratégique générale de l’OCS [1], principale structure géoeurasienne qui leur permet de mettre en œuvre leur vision commune des relations internationales. L’OCS est donc une voie vers la multipolarité, vers un ordre mondial plus juste [2]. Les deux géants se donnent la main pour garantir l’équilibre des forces. Ce qui place l’Europe et l’Asie au centre de la scène mondiale [3], unifiant les théâtres indo-pacifique et européen en un axe géopolitique. La politique mondiale du XXIe siècle se jouera à la fois à l’Est et à l’Ouest de l’Eurasie, principalement autour de l’opposition entre la ligne géostratégique américaine et l’alliance objective croissante russo-chinoise.
À Moscou, le président russe Vladimir Poutine accueille le président chinois Xi Jinping le 8 mai 2015, jour du 70e anniversaire de la victoire de la Deuxième Guerre mondiale. Les deux dirigeants vont annoncer la connexion prochaine de l’Union Économique Eurasienne avec les Nouvelles routes de la Soie. L’OCS assure la coordination générale des objectifs stratégiques des deux puissances. (Source : Diplomatie N°86 – Mai-Juin 2017).
Des porte-avions nucléaires américains mobilisés dans le détroit de Taiwan (1996), les bombardements en Serbie (dont l’ambassade chinoise à Belgrade) par l’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord (OTAN, 1999), l’unilatéralisme américain après le 11 septembre 2001, l’intervention militaire en Irak (2003), la révolution orange en Ukraine (2004), l’élargissement de l’OTAN aux frontières de la Russie constituent le précédent frontal. L’Iran, pivot géopolitique crucial [4] situé près de la Vème Flotte américaine, obtient donc le statut d’observateur à l’OCS dès 2005. Puis, les bases américaines en Asie centrale (Ouzbékistan et Kirghizstan) [5] seront fermées. Entre 2005 et 2016, Russes et Chinois mènent des exercices militaires dans les mers de Chine méridionale et orientale et en Méditerranée orientale [6], respectivement quadrillées par les VIIème et VIème Flottes américaines [7]. La coopération militaire constitue l’axe historique de l’OCS, davantage que la coopération économique.
La 22e réunion du Conseil des Chefs d’États membres de l’OCS tenue à Samarcande
en Ouzbékistan les 15 et 16 septembre 2022. (Source : french.news.cn)
La centralité de l’identité territoriale eurasiatique russe et des ambitions géoeurasiennes chinoises dans les politiques stratégiques de l’OCS : les routes géopolitiques de la Soie.
Depuis 2013 [8], le projet chinois des Nouvelles routes de la Soie suit l’axe géopolitique Asie - Europe. Ce réseau infrastructurel (routes, voies ferrées, ports, aéroports, oléoducs, gazoducs, télécommunications, numérique) est au centre de la politique de coordination à long terme de l‘OCS [9]. La Chine reconnait l’influence de la Russie qui elle, reconnait la projection géoéconomique chinoise. D’où l’annonce en 2015 de la connexion de l’Union Économique Eurasienne (UEE) [10] avec les nouvelles routes de la Soie. Projet dont les lentes avancées révèlent cependant une OCS encore structurellement peu efficace en matière de coopération économique et commerciale.
Axe principal de la ceinture économique de la Soie, le nouveau pont transcontinental de l’Eurasie (route du Nord) relie la Chine, la Russie, le Kazakhstan et l’Europe. Le fret ferroviaire Chine – Europe y a augmenté de 121% (premier semestre 2024) [11]. La crise au sud de la mer Rouge explique le recul du fret maritime ; bien que les rebelles yéménites Houthi pro-iraniens ne menacent pas les navires russes et chinois dans le détroit de Bab-el-Mandeb. Des défis géopolitiques et sécuritaires pèsent également sur la route centrale (Chine – Asie centrale – Moyen-Orient) et le corridor économique Chine – Pakistan (CECP). Notamment, l’Inde revendique la partie pakistanaise du Cachemire traversée par le CECP. D’où l’opposition indienne [12], qui perçoit un encerclement sino-pakistanais. Mais stratégiquement, l’intégration de l’Inde dans l’OCS vise la dilution du concept d’Indo-Pacifique défendu par le Japon et l’Occident [13].
Parallèlement en Europe, Russes et Chinois réalisent que les routes de la Soie suscitent des divergences. Membre controversé de l’Union Européenne (UE), la Hongrie économiquement proche de Pékin permet le déploiement sur son territoire de policiers chinois contre l’immigration. Par ailleurs, nouvellement admise à l’OCS, la Biélorussie voisine de l’Ukraine a immédiatement avec la Chine, mené des exercices militaires près de la frontière polonaise. L’OCS et l’OTAN se font désormais face. La Chine et la Russie entendent bâtir un socle géopolitique eurasien du Pacifique à l’Europe.
L’environnement diplomatique et géopolitique de l’OCS.
NB : Sur cette carte, la Biélorussie devenue membre à part entière depuis le 4 juillet 2024, n’a alors que le statut d’observateur. (Source : Géoconfluences, 2023).
Depuis 2021 [14], le partenariat stratégique UE – Japon émerge. Attachés au multilatéralisme, au principe de la liberté de navigation, Japon et UE coordonnent une présence navale effective en Indo-Pacifique [15]. La coopération cible également la prolifération nucléaire (Corée du Nord, Iran). Et face aux projets transeurasiens qui poussent les avantages chinois loin en Europe, vers l’océan Indien et jusqu’en Afrique, le programme européen Global Gateway [16] soutenu par le Japon vise la construction d’infrastructures durables, la résilience des chaines d’approvisionnement et la sécurité économique.
En présence de cette dynamique chinoise à fort potentiel, l’Europe devrait selon Jean-Pierre Raffarin peut-être envisager comment articuler cette Eurasie à future dominante sino-russe avec une Eurafrique de poids équivalent [17]. Il évoque par ailleurs une Eurasie conduite par l’Allemagne, la France, la Russie et la Chine [18]. L’enjeu est crucial. Un regard sur la carte montre comment le contrôle de l’Eurasie offre facilement une tutelle sur l’Afrique, conférant une position géopolitique périphérique à l’Amérique [19].