Corridor de transport international nord-sud (International North-South Transport Corridor)
Chemin sans rupture
Ce corridor a été testé pour la première fois en 1999, lorsque plusieurs entreprises russes, iraniennes et indiennes ont organisé le transport de conteneurs le long de la route Sri Lanka - Inde - Iran - Russie [1]. Le projet semblait tentant, car plutôt que d’envoyer des conteneurs via le canal de Suez congestionné, possiblement bloqué, ou autour de l’Afrique, ceux-ci pourraient être livrés par chemin de fer. Ce faisant, l’itinéraire ressemble à ceci : d’abord la cargaison se rend à Mumbai, puis par voie maritime jusqu’à la côte iranienne. Là, elle est rechargée sur le chemin de fer, puis transportée par voie terrestre jusqu’à la mer Caspienne. Ensuite, elle est transférée sur un bateau, à Astrakhan, puis à nouveau sur le chemin de fer en route vers le consommateur final en Russie. Charger quatre fois les conteneurs est une tâche logistique importante, mais dans l’ensemble, ce trajet reste plus rapide que par la voie maritime du canal de Suez.
L’accord international entre la Russie, l’Iran et l’Inde sur l’INSTC a été signé le 12 septembre 2000, lors de la deuxième Conférence internationale eurasiatique sur les transports [2]. En mai 2003, les ministres des Transports ont signé le protocole sur l’ouverture officielle du corridor à Saint-Pétersbourg. Plus tard, d’autres pays ont rejoint l’accord : l’Azerbaïdjan, le Belarus, la Bulgarie (observateur), l’Arménie, le Kazakhstan, le Kirghizistan, Oman, le Tadjikistan, la Turquie. En 2012, la Russie, l’Iran et l’Inde ont signé un mémorandum trilatéral sur le financement du projet. En 2016, l’activité a été gelée en raison d’une nouvelle série de sanctions anti-iraniennes. En fait, le corridor a souvent figuré dans les discussions et les signatures de divers accords, mais il est évident que d’autres questions étaient prioritaires pour les pays participants [3].
C’est dans la mer Caspienne que le corridor se divise en trois itinéraires (voir la figure 1) :
Ouest : de l’Inde par mer jusqu’au port iranien de Bandar-e-Abbas, puis à travers l’Iran jusqu’en Azerbaïdjan et en Russie ;
Est : de l’Inde à l’Iran, puis au Turkménistan et au Kazakhstan jusqu’à Moscou, Saint-Pétersbourg ;
Transcaspienne : le même itinéraire de l’Inde vers l’Iran, seule la connexion avec la Russie s’effectue sur la mer Caspienne depuis le port iranien de Bandar Anzali jusqu’au port russe d’Astrakhan, où les marchandises sont rechargées sur des camions ou des trains.
Il semble que le corridor nord-sud profite à tous les participants : pour la Russie, il s’agit d’un accès au marché des pays d’Asie du Sud-Est et, à l’avenir, aux pays africains. Pour l’Iran, c’est l’opportunité de devenir une plaque tournante logistique entre la Russie, l’océan Indien et ses pays et de se développer indépendamment des sanctions occidentales. Pour l’Inde, l’objectif est de diversifier ses routes d’approvisionnement en ressources naturelles, notamment depuis la Russie, tout en renforçant sa coopération avec l’Iran et l’Asie centrale contournant le Pakistan. Corridor représente une opportunité géostratégique majeure pour l’Inde : non seulement il renforce sa connectivité régionale, mais il constitue également un moyen efficace de contenir l’expansion de la Chine dans l’espace eurasien.
Malgré tous les avantages du projet, plusieurs questions sérieuses demeurent quant à sa faisabilité logistique à l’heure actuelle.
Qu’ont accompli les pays participants au cours des 20 dernières années et que manque-t-il ?
Il est important de noter que tout corridor de transport international n’est pas seulement des routes de transport, mais toute une ceinture de développement, c’est un montant colossal d’investissement et un marché pour ceux qui produisent des moyens, des marchandises pour le transport et fournissent des services connexes dans les régions où le corridor les traverse. Ainsi, dans certaines sections du corridor nord-sud, les infrastructures ne sont pas suffisantes.
Examinons de plus près l’état actuel des infrastructures de transport des pays participants au corridor nord-sud en termes d’itinéraires de corridor.
Entre 2009 et 2014, une voie ferrée reliant le Kazakhstan, le Turkménistan et l’Iran a été construite, constituant la base de l’itinéraire est du corridor nord-sud. Ainsi, la route orientale permet déjà une communication ferroviaire directe entre la Russie et l’Iran à travers le territoire du Kazakhstan et du Turkménistan, mais il y a des transbordements et les prix sont toujours élevés, même si après 2022 le coût du transport par conteneurs a été réduit de moitié, passant de 11 000 $ à 5 500 $, à la suite de consultations avec les pays intéressés [4].
Pour le bon fonctionnement de l’itinéraire ouest, la Russie et l’Iran doivent construire le tronçon manquant de la voie ferrée Rasht (Iran)-Astara (Azerbaïdjan), d’une longueur de 162 km. Un accord intergouvernemental sur sa construction a été signé en mai 2023. Moscou allouera un prêt interétatique d’un montant de 1,3 milliard d’euros pour la mise en œuvre du projet, la part russe dans celui-ci sera de 85% [5].
La route transcaspienne est déjà opérationnelle, mais pour transporter de gros volumes, des travaux devront être réalisés pour développer les infrastructures portuaires ; par exemple, les ports russes d’Olya et d’Astrakhan nécessitent une modernisation et une reconstruction, car le manque de capacité de production et la détérioration des infrastructures portuaires ont un effet négatif sur les volumes de transport potentiels.
Les avantages d’INSTC sont déjà visibles grâce à des coûts de transport réduit et des délais de livraison plus courts de l’Inde vers la Russie, la distance étant presque deux fois moins longue que la route maritime via le canal de Suez (7 200 km contre 16 000 km). Il y a à peine deux ans, il fallait entre 30 et 45 jours pour acheminer des marchandises de la Russie vers l’Inde, alors qu’avec le corridor nord-sud, ce délai pourrait idéalement être réduit à moins de 24 jours. Actuellement, le transport de conteneurs de Tcheliabinsk, une grande ville industrielle de l’Oural, jusqu’au port iranien de Bandar-e-Abbas par voie ferroviaire prend déjà environ 12 à 14 jours, dont un à deux jours pour le passage des frontières.
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Au total, 11 millions de tonnes de marchandises ont été transportées le long du corridor nord-sud en 2022, soit 60 % de plus qu’un an plus tôt. En 2023, 19 millions de tonnes ont déjà été transportées sur trois itinéraires du corridor nord-sud [6]. Selon les plans du gouvernement russe, il est prévu de développer la capacité d’INSTC à 30 millions de tonnes d’ici 2030.
Il faut comprendre qu’il y a aujourd’hui une transformation significative de la structure de transport eurasienne et que le corridor nord-sud joue ici un rôle important, puisqu’il se connecte à d’autres corridors transfrontaliers (branche BRI, TRACECA, Middle Corridor, etc.). De plus, l’expérience de sa connexion avec des corridors latitudinaux, notamment avec les chemins de fer et les routes du Caucase du Sud, permet d’envisager une augmentation des possibilités d’échanges commerciaux entre la Russie et les pays de cette région. L’effet synergique pourrait être important pour assurer la connectivité entre tous les centres de production et de consommation largement séparés. Les intérêts des pays d’Eurasie reposent sur la multiplicité des opportunités logistiques, qui peuvent être réalisées en reliant les corridors et les itinéraires de transport.