Depuis le dernier coup d’État, les tensions ne semblent pas redescendre et les manifestants sont toujours engagés. Bien que le conflit ne soit plus autant discuté dans les médias occidentaux, des questions subsistent sur l’implication des femmes. Considérant le caractère patriarcal du régime militaire et d’un gouvernement civil pour qui les questions de genre n’étaient pas posées, il est naturel de se demander quelle est la place des femmes au sein de la rébellion au Myanmar.
Femmes birmanes manifestant pacifiquement [4]
Dès le début de la rébellion contre le coup d’État, les femmes se sont positionnées en première ligne. En entrevue, Debbie Stothard, coordinatrice d’ALTSEAN, un réseau de soutien à la démocratie birmane regroupant des militants, des personnalités du monde politique et universitaire et des ONG d’Asie du Sud-Est, affirmait que les femmes représentaient près de 60 % des manifestants, mais également que le mouvement de désobéissance civil a été initié par des femmes travaillant dans le milieu médical en suivant l’exemple du satyagraha [5], soit le principe de résistance non-violente à l’oppression instauré par Gandhi.
Par la suite, une autre forme de contestation féministe a pu être observée, qui est d’ailleurs une des actions qui a le plus marqué la presse internationale. Il s’agit de la suspension de jupes traditionnelles et de sous-vêtements féminins au-dessus des routes et des rues [6]. Cette tactique s’inscrit dans un contexte de croyance traditionnel où, comme l’explique Hseng Noung, passer sous des vêtements portés en dessous de la taille des femmes peut engendrer une perte de pouvoir « masculin », ou pire, apporter le malheur pour les hommes [7]. Cette tactique s’est avérée efficace puisque les forces armées réfléchissaient avant de passer dessous, ou alors essayaient de trouver d’autres méthodes d’accès qui laissaient entre autres le temps aux manifestants d’évacuer les rues plus rapidement. Une autre tactique observée sur le terrain est le collage d’image de Min Aung Hlaing, le général et président illégitime de Birmanie, sur des serviettes hygiéniques féminines afin de l’offenser [8].
Exemple de désobéissance civile par la suspension de jupes traditionnelles [9]
Cependant la participation massive des femmes au sein de la contestation n’est pas sans conséquence. Dans un pays où le viol et les violences sexuelles sont utilisés comme arme de guerre, les conséquences de la désobéissance civile chez les femmes, mais également chez les hommes, sont loin d’être douces. Les premières personnes tuées au début du conflit étaient d’ailleurs des jeunes femmes [10]. Elles font ainsi face à trois types de violences majeures : la torture, les agressions sexuelles et des conditions de détentions médiocres [11]. Pourtant, les violences, l’isolement et l’acharnement ne diminuent pas la motivation de ces activistes à se battre pour ce qui est juste [12]. Il ne s’agit plus seulement de se battre contre l’armée, mais également contre la symbolique patriarcale qui s’y rattache [13].
À ce jour encore, l’implication des femmes dans le conflit dérange et l’armée n’hésite pas à faire taire celles qui importunent. Par exemple, le 22 février 2022, les forces armées ont essayé d’enlever deux jeunes femmes alors qu’elles se dirigeaient vers un point de rassemblement pour une manifestation [14]. La même journée, le média Myanmar Now publiait deux articles, l’un sur la condamnation de deux étudiantes pour avoir fait des dons sous couvert de la Loi anti-terreur, et l’autre relatait le viol de deux hommes et une femme, cette dernière ayant d’ailleurs été isolée et sans assistance médicale pendant des mois, faisant ressortir l’intensité de la répression [15]. Cela démontre donc la violence que subissent les femmes à l’intérieur de ce conflit national.
Si le doute subsistait auparavant sur l’implication des femmes dans la lutte face au coup d’État, il est maintenant clair qu’elles ont toujours été présentes, que ce soit à travers de l’assistance directe, des tactiques ou une présence en première ligne dans les manifestations. Dans le contexte actuel, ce sont elles qui ont le plus à perdre d’un régime militaire autoritaire. Elles subissent pleinement les répercussions et les conséquences imposées par la junte militaire. Les armes utilisées ayant pour objectif de détruire les femmes, comme les viols ou autres violences sexuelles, sont également parfois employées sur des hommes. Mais la solidarité nationale et internationale entre les groupes et les réseaux sociaux viennent renforcer la motivation des groupes à se battre pour la liberté et pour la paix au Myanmar [16]. Les femmes birmanes sont aujourd’hui de moins en moins invisibles : elles sont actives au sein du conflit sur tous les niveaux de mobilisation disponibles et leur implication joue définitivement un rôle conséquent dans l’avancement des combats.