Bulletin d’analyse sur l’Asie de l’Est et du Sud-Est

Le vendeur de thé qui a changé la face des élections indiennes

vendredi 25 juillet 2014, par Maïka Sondarjée

Narendra Modi, l’ancien gouverneur de l’État du Gujarat, n’a pas seulement remporté les élections présidentielles indiennes de 2014. Celui qui a déjà vendu du thé chai dans les trains indiens – une position sociale extrêmement basse – a effectué un changement important tant sur le fond que sur la forme du monde électoral indien. Il a d’abord visé les électeurs – surtout les plus pauvres – en tant qu’individus plutôt que représentants de castes, lui-même étant un exemple probant du « self-made-man ». Ensuite, pour la première fois en Inde, il a propulsé les tactiques électorales vers les nouvelles technologies et les médias sociaux.

Pour la première fois depuis 1984 en Inde, un parti politique a réussi à obtenir une claire majorité de sièges. En effet, aux élections du 16 mai 2014, le parti dirigé par Narendra Modi, le Bharatiya Janata Party (BJP), a obtenu 282 sièges, pour un total de 339 pour sa coalition, la National Democratic Alliance. Ce fut toute une débâcle pour le parti sortant, le parti du Congrès de la dynastie Nehru/Gandhi, qui a obtenu un faible 44 sièges. Il s’agit d’un clair mouvement de contestation contre l’héritage de Nehru, Indira Gandhi et Rajiv Gandhi, mais aussi contre les partis régionaux fondés sur les castes [1]. La peur de voir le BJP renforcer les tensions entre hindous et musulmans est encore présente, le parti étant reconnu comme un parti nationaliste hindou, mais Modi assure du contraire. Il tente de contredire ses détracteurs, qui l’accusent d’avoir exacerbé les violences entre musulmans et hindous au Gujarat. Notons qu’il s’est présenté à Vadodara, mais aussi à Varanasi, une des villes où la population hindoue est la plus influente, afin de s’assurer un siège.

Narendra Modi à un rally du BJP - Crédits : Al Jazeera English CC BY-SA 2.0.

L’ancien vendeur de thé, comme ses détracteurs se plaisaient à qualifier Modi, a sanctifié l’autorité morale du self-made-man en politique. Il ne suffit plus d’avoir un nom connu pour diriger l’Inde, ni même de faire partie des castes les plus élevées. Ses origines modestes l’ont aidé à obtenir le vote des castes les plus basses, y compris des Dalits (intouchables), et ses méthodes lui ont permis de conquérir les jeunes et des femmes. Le BJP s’est par ailleurs montré très rationnel en visant le vote des pauvres, puisque bien que l’Inde ait actuellement le taux de croissance le plus élevé au monde (7%), elle est aussi le pays où le nombre de personnes vivant sous le seuil de la pauvreté est le plus important [2]. Le commentateur politique indien Swapan Dasgupta va jusqu’à affirmer que Modi a réussi à transcender les identités politiques du pays, même si ce n’était que pour ce seul scrutin [3]. Au-delà des castes, il a réussi à se faire aimer des individus.

Les méthodes de Modi lui ont permis de conquérir les jeunes et des femmes. Crédits : Maïka Sondarjée.

De plus, les éditorialistes et journalistes indiens ont surtout remarqué les techniques électorales novatrices du BJP de Narendra Modi. Pour la première fois en Inde, un candidat à la présidence a utilisé Twitter, Facebook, des présentations hologrammes 3D et a attiré une foule de bénévoles contactés par SMS. Le point culminant de cette campagne 2.0 : lorsque Modi a partagé un selfie [4] alors qu’il se trouvait dans sa boite de votes à Vadodara. Son style populiste l’a grandement différencié des politiciens de la vieille garde indienne, surtout des représentants du principal parti concurrent, le parti du Congrès.

La campagne du BJP s’est en quelque sorte inspirée de celle du président américain Barack Obama, avec un accent sur les dons en ligne, l’image de marque et les médias sociaux. Il a d’ailleurs réussi à mobiliser environ un million de volontaires sur Facebook et Twitter, qui étaient prêts à s’activer sur toutes les plates-formes, à n’importe quel moment. Bien que les dirigeants du BJP affirment que seulement 5% à 10% de la campagne étaient fondés sur les médias sociaux, cela a tout de même posé le ton de la course électorale de 2014 [5]. Ces techniques ont cimenté l’image de Modi comme étant littéralement « partout ». Ces tactiques de marketing ont tout simplement dépassé le parti du Congrès, qui n’a pu faire autrement que de s’avouer vaincu très tôt dans la campagne. Bien sûr, il ne faut pas non plus négliger l’immense travail sur le terrain qu’a effectué Modi. Entre septembre 2013 et mai 2014, il a parcouru 300 000 kilomètres et a participé à 5 800 réunions et 440 rallies. Modi a d’ailleurs tweeté, le 11 mai dernier : « When I look back at the entire campaign, three words come to my mind –extensive, innovative and satisfying ».

Bien qu’il soit de 20 ans l’aîné de Rahul Gandhi, son principal adversaire, cette utilisation des médias sociaux a par ailleurs consacré Modi comme le seul représentant crédible de la jeunesse indienne. Au sein même du BJP, Modi a fait le ménage pour mettre de côté les vieux dirigeants essoufflés afin de s’entourer d’une équipe jeune et dynamique [6], qui l’ont aidé à forger son image de marque. De plus, il a réussi à cerner les problèmes de la jeunesse indienne, c’est-à-dire le manque criant d’emplois et la quête d’une identité au-delà des castes. En s’appuyant sur ses accomplissements économiques au Gujarat, après trois mandats comme gouverneur de l’État, il a convaincu la jeunesse et les pauvres qu’il pourrait amener le développement du pays à un niveau supérieur, tout en fournissant du travail à tous.

Si le « vote pour le changement » qui a propulsé Modi à la tête de la plus grande démocratie du monde se concrétise par un gouvernement du changement, il y a espoir. Sinon, la déception sera immense pour une multitude d’Indiens, quelque soit leur caste.

Légende (photo de couverture) : Drapeaux du BJP et du parti Shiv Sena (parti politique nationaliste marathi) lors d’un rally en prévision des élections du 16 mai 2014.

Crédits (photo de couverture) : Al Jazeera English - CC BY-SA 2.0.


[1Dasgupta, Swapan, « An Indian Revolutionary. What is it about the Modi mandate that provokes such fear of fundamental change. », OPEN Magazine, Inde, 2 Juin 2014.

[2Jaffrelot, Christophe, « Les grandes tendances sociales », chapitre 1 dans Granger et al., L’Inde et ses avatars. Pluralités d’une puissance., PUM, 2013, p.39.

[3Dasgupta, Swapan, « An Indian Revolutionary. What is it about the Modi mandate that provokes such fear of fundamental change. », OPEN Magazine, Inde, 2 Juin 2014.

[4Photo d’un individu prise par soi-même, souvent avec un téléphone intelligent ou une webcam.

[5Prasannan, R. « The White Lotus Man », The Week, Inde, 25 may 2014.

[6Ibid.

Candidate au doctorat en science politique à l’Université de Toronto, Maïka Sondarjée travaille sur l’Inde, l’Amérique latine et le développement international.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.