Bien qu’une partie du renouveau confucéen soit l’initiative du Parti communiste chinois (PCC), il existe également un pan plus « empirique » de ce renouveau qui s’exprime en dehors des frontières de l’« orthodoxie confucéenne » [4] définies par le Parti-État. En ce sens, l’objectif de ce bref article est de souligner les différences qui existent entre un confucianisme « médiatisé » [5] et un confucianisme « vécu », qui est plus souvent d’« initiative locale » [6].
Premièrement, au sein du confucianisme dit « médiatisé », on retrouve des intellectuels engagés, comme Kang Xiaoguang (康晓光) [7], Jiang Qing (蒋庆) [8], Chen Ming (陈明) [9] et Peng Yongjie (彭永捷) [10]. Des intellectuels plus « classiques » peuvent également être identifiés à ce courant, qui s’intéressent à la doctrine confucéenne, mais en des termes plus philosophiques : Zhang Rongming [张荣明] [11], Cai Degui [蔡德贵] [12], Gan Chunsong [干春松] [13], Zhao Fasheng [赵法生] [14], etc. [15] Cela dit, les membres du premier groupe se sont révélés plus influents.
Kang Xiaoguang [16] met de l’avant la notion de « gouvernement bienveillant » (仁政) [17], en tant que troisième voie pour le développement politique chinois, rejetant ainsi à la fois la démocratie et le communisme. Il s’agit de venir justifier le maintien de l’autoritarisme par le biais de la mise en place d’un nationalisme culturel ayant, contrairement au marxisme, une certaine résonance dans la population chinoise. Il faut noter que cette notion s’inspire en partie du néo-autoritarisme des années 1990 [18].
Du côté de Jiang Qing, l’un des auteurs confucéens les plus connus aujourd’hui dans les milieux intellectuels occidentaux [19], on privilégie la notion de « politique de la voie royale » et un confucianisme religieux (儒教) servant à préserver la Chine des invasions culturelles barbares et ainsi remplir de son essence originelle la « maisonnée spirituelle » [20] de la nation chinoise.
Enfin, on retrouve également dans cette catégorie des discours comme celui de Chen Ming, qui aborde le confucianisme comme une « religion civile » [21]. Selon Chen, l’utilisation du confucianisme viendrait ressourcer la nation chinoise, redonner sens aux figures symboliques et remodeler l’expérience politique du peuple en fonction de cet héritage [22].
Le PCC porte une attention particulière à ce type d’interventions. En fait, ce dernier, étant donné ses fondements communistes, refuse de parler du confucianisme comme une religion. Le confucianisme est pour le Parti un ensemble de pratiques culturelles et de traditions. Cela lui permet de participer ouvertement aux événements confucéens (la célébration de l’anniversaire de Confucius, par exemple). Le PCC se présente même parfois comme défenseur de la tradition nationale. Cependant, le confucianisme ne fait pas l’unanimité au sein du Parti. Comme le dit Ai Jiawen, le Parti adopte une attitude distante vis-à-vis du confucianisme, mais tout de même intéressée [23].
Lorsque l’on s’écarte de ces discours médiatisés, il est également possible d’observer un autre de type de confucianisme, exprimé et diffusé par des groupes et des intellectuels locaux [24]. D’emblée, il faut noter que ceux-ci ne possèdent pas les mêmes moyens financiers et organisationnels que les groupes inféodés à l’État.
Plusieurs études de terrain [25] ont permis d’identifier certaines tendances concernant le confucianisme d’initiative locale [26]. Dans la plupart des cas observés, on observe un retour de l’enseignement rituel (礼教), avec un accent mis sur l’étiquette (礼仪), la révérence à Confucius et la révérence aux ancêtres. On y enseigne également exclusivement, dans la grande majorité des cas, les classiques confucéens (c’est-à-dire les « quatre livres et les cinq classiques »). Fait intéressant, les élèves font aussi l’apprentissage du « classique de la piété filiale » et doivent, dans certains cas, apprendre à « servir la communauté ». Il est important pour ces groupes d’enseigner la culture confucéenne, surtout les manières et les traditions, afin de pallier la rupture entre les générations. Selon les dirigeants de ces groupes, l’enseignement du confucianisme est crucial pour la survie de la culture et de la nation chinoise. L’invasion des « idées occidentales » a affaibli l’essence de la Chine et est responsable de la crise morale que traverse cette dernière.
Il est possible de remarquer également dans certains cas des expressions identitaires particulières, liées à l’ethnie majoritaire Han. On fait l’analogie entre les notions d’« études nationales », de « tradition », de « confucianisme » et d’« ethnie Han ». Cela pose plusieurs problèmes, notamment celui de l’intégration ou encore de l’exclusion des minorités non-Han qui ne partagent pas cette tradition [27].
Certaines différences peuvent être soulignées entre les renouveaux « médiatisé » et « vécu » du confucianisme en Chine. Le premier est beaucoup plus engagé politiquement et met de l’avant l’idée de fonder l’ordre politique sur des bases confucéennes en faisant dans certains cas du confucianisme une religion d’État. On y retrouve aussi des intellectuels qui n’abordent le confucianisme qu’en des termes philosophiques, respectant ainsi les limites posées par le Parti.
Du côté du second, on remarque un fort accent sur les rites et l’enseignement ainsi que certaines expressions identitaires qui se trouvent en dehors du contrôle de l’État. On n’y retrouve pas les prétentions politiques qu’ont certains membres du premier groupe, mais plutôt une vision assez pragmatique du confucianisme, qui se concentre sur son rôle pour l’avenir de la société chinoise. En ce sens, le renouveau du confucianisme s’exprime de différentes manières et à ce titre, il n’existe pas un, mais bien des renouveaux confucéens en Chine continentale aujourd’hui.
Légende (photo de couverture) : Hall du nouveau savoir classique de Weifang, 2013.
Crédits (photo de couverture) : Alex Payette.