La désignation du mont Fuji au patrimoine mondial de l’UNESCO [2] en juillet 2013 a entraîné une explosion de fierté nationale à travers le pays et a attiré une attention sans précédent de la part des médias japonais. En comparaison, l’inscription en 1993 des premiers sites japonais au patrimoine mondial n’avait suscité qu’un intérêt limité.
L’inscription du mont Fuji comme site « naturel » à la liste du patrimoine mondial a été refusée plusieurs fois par le passé étant donné des problèmes persistants de pollution sur certains versants de la montagne. Le site a finalement été identifié comme « lieu sacré et source d’inspiration artistique » [3] et classé comme site « culturel », un statut qui ne le soumet pas aux mêmes restrictions en matière de préservation de l’environnement [4].
La grande majorité des sites culturels dont le Japon a fait valoir la candidature auprès de l’UNESCO attiraient déjà un important nombre de touristes japonais. Alors que les impacts négatifs du tourisme sur le patrimoine dans plusieurs pays d’Asie est un sujet récurrent en anthropologie, la question est assez peu étudiée en ce qui concerne le Japon, où il existe pourtant une longue tradition de tourisme intérieur [5]. Cela ne signifie pas pour autant l’absence de controverse entourant la promotion de l’industrie du tourisme dans ce pays.
L’accès à certains sites situés sur l’île de Yakushima, inscrite au patrimoine mondial en 1993, est payant depuis que l’affluence importante de touristes a créé des problèmes de gestion des déchets, de logistique (l’installation de toilettes publiques, notamment) et de perturbation de l’habitat de certaines espèces animales et végétales. Ces « frais de coopération volontaire » n’ont pourtant pas permis de limiter directement le nombre de touristes [6].
L’arrivée massive d’autobus de touristes qui a suivi l’inscription de l’ancienne mine d’argent Iwami Ginzan au patrimoine mondial en 2007 a causé des problèmes importants de pollution atmosphérique et sonore pour les quartiers environnants. Par la suite, la circulation d’autobus a été interdite à partir d’une certaine distance du site.
Les problèmes liés au tourisme ont été exacerbés après la désignation de ces sites au patrimoine mondial. L’augmentation de l’attrait touristique qui en découle n’est par conséquent pas toujours considéré comme bénéfique. En ce qui concerne le mont Fuji, l’alpiniste japonais Noguchi Ken [7] s’est publiquement opposé à la nomination du mont Fuji en raison de risques de dégradation de l’environnement liés au tourisme. Les développements observés dans le cadre de l’inscription du site sur la liste illustrent une tendance similaire aux cas précédemment mentionnés.
Depuis l’inscription du mont Fuji au patrimoine mondial, une tarification de 1000 yens (10$) pour l’accès au site a été mise en place comme projet pilote. Elle devrait entrer officiellement en vigueur à partir de l’an prochain. Bien que cette mesure puisse paraître participer à un contrôle du nombre de visites en vue de la préservation de la montagne, elle paraît contradictoire à l’inscription du mont Fuji au patrimoine culturel, plutôt que naturel. Comme mentionné précédemment, le site n’est pas soumis aux obligations de préservation et de protection du patrimoine naturel. De plus, la nomination comme site culturel résulte entre autres d’un manque de volonté politique de la part du gouvernement japonais de s’attaquer aux problèmes de pollution sur le site. L’instauration de frais d’accès ne traduit donc pas nécessairement un objectif de conservation. Ainsi, les motivations de cette candidature au patrimoine culturel ne paraissent pas tout à fait transparentes et il paraît envisageable que les gains économiques issus de l’accroissement du nombre de touristes résultant de la reconnaissance de l’UNESCO priment sur l’objectif de conservation du site qui est censé sous-tendre le programme.
Il ne va pas de soi que l’inscription d’un site au patrimoine mondial de l’humanité permette de le préserver. Le cas du site archéologique de l’ancien palais Heijō, l’un des monuments historiques de l’ancienne capitale de Nara, illustre bien cette tendance. En effet, le site a vu son niveau de menace à la conservation passer de « faible » au moment de sa nomination en 1998, à « élevé » en 2011. Selon l’UNESCO [8], cette situation est en bonne partie due à l’implantation de projets de développement sur le site et ses environs, sans consultation significative de la population locale [9]. Le gouvernement a d’ailleurs justifié le "réaménagement" du site en 2012 en soulignant les avantages touristiques du projet pour la ville de Nara [10].
- Réaménagement du site de l’ancien palais de Heijō. Crédits : Save Nara Palace Organization.
Il semble impératif que le gouvernement détermine avec plus de transparence la nature des bénéfices qu’il souhaite tirer du programme du patrimoine mondial de l’UNESCO pour le Japon. Les avantages reliés à l’industrie du tourisme semblent peu compatibles avec les objectifs de préservation et de conservation des sites désignés.
Légende (photo de couverture) : Thirty-Six Views of Mt. Fuji : Inume Pass in Kai Province, de Katsushika Hokusai.
Crédits photo : Digital Gallery of Keio University Library.