Bulletin d’analyse sur l’Asie de l’Est et du Sud-Est

Le clan Duterte règne sans partage à Davao City

mardi 3 septembre 2013, par Martin Laroche

La ville de Davao aux Philippines a été le théâtre de conflits entre musulmans sécessionnistes, groupes insurrectionnels et forces armées nationales qui ont traversé le sud des Philippines. Le chef-lieu de l’île de Mindanao était encore considéré il y a peu comme un endroit particulièrement dangereux [1]. Or cette impression, bien qu’encore présente au sein de la population, s’est estompée depuis l’élection de Rodrigo « Rody » R. Duterte à la mairie en 1987, si bien que Davao est considérée comme la ville la plus sécuritaire d’Asie du Sud-Est par le Crime Index  [2]. Cette transformation de l’image de la ville ne s’est pas produite du jour au lendemain.

La question sécuritaire, maintenue au sommet de l’agenda politique municipal, est intrinsèquement liée à la famille Duterte, qui dirige Davao avec une poigne de fer pratiquement sans interruption depuis l’élection du maire. Ce changement radical porté par un clan dont la présence est continue depuis 1987 est l’occasion de se pencher sur la relation entre peur et politique dans cette municipalité.

Crédits : Wikimedia Commons.

L’île de Minadanao a été profondément marquée par les nombreux conflits armés qui s’y sont déroulés au cours de son histoire. Davao a été témoin de diverses attaques [3] et de règlements de compte entre factions [4]. Rody Duterte ne cachait pas, à l’époque, ses liens avec certains mouvements et son approbation de leur usage de méthodes fortes afin de rétablir la paix. Pour lui, de tels groupes assuraient à la ville un retour vers la stabilité, permettant le développement économique et incarnant l’esprit de communauté [5]. Un cercle vicieux formé par l’insécurité, les divisions sociales et la violence ont maintenu la population dans un climat de peur jusqu’à la fin des années 1980 [6]. C’est à cette époque que s’est définie l’image de Rody Duterte. La population place depuis sa confiance dans le maire Duterte, surnommé « The Punisher » [7].

« If I’m going out, I’m going out with my gun blazing » [8]. Cette citation est un exemple assez représentatif de la manière dont s’exprime le célèbre maire. Quelques jours après sa réélection en mai 2013, il mettait en garde les criminels : « Leave Davao City vertically, or horizontally » [9]. Un mois plus tard, alors que l’on apprend que les suspects d’un enlèvement s’étant produit à Manille se trouvent à Davao, Duterte convoque les médias et donne un ordre clair au service de police : « Shoot to kill » [10]. Ajoutant au personnage du maire prêt à tout pour faire disparaître la criminalité de la ville, de nombreux observateurs soulignent le lien étroit existant entre le maire de Davao et les Davao Death Squads (DDS) [11]. Depuis leur première victime en 1993, les DDS ont démontré une efficacité redoutable à éradiquer les individus jugés « indésirables » au moyen d’exécutions extrajudiciaires.

La population de Davao troque sa liberté contre la sécurité assurée par son maire. Une véritable culture du règlement extrajudiciaire des problèmes liés à la criminalité a pris racine au sein d’une grande partie de la société. Non seulement ces pratiques sont-elles en totale contradiction avec la loi, mais elles lient directement la stratégie politique du maire avec les objectifs de groupes œuvrant dans l’illégalité. Aujourd’hui, la croyance populaire veut que les DDS forment en fait la « Duterte Death Squad » et la ville s’enferme dans une dynamique par laquelle le seul recours possible contre la violence reste la violence. La peur constante est corollaire à l’impunité générale. Dans la ville la plus sécuritaire d’Asie du Sud-est, certains habitants appuient les tueries, qui auraient fait de leur ville un lieu plus sûr et plus attirant pour les investisseurs étrangers [12].

Profitant de conditions politiques favorables, la famille Duterte a assis son emprise sur la ville à tel point que, lors des élections de 2013, personne ne s’est présenté comme candidat à la mairie contre Rudy Duterte. Son clan fait un usage stratégique de la peur auprès de la population afin de garantir la pérennité de son règne. Le statut de « ville la plus sécuritaire » d’Asie du Sud-Est prend ainsi un sens bien particulier.

Légende (photo de couverture) : Le maire Rody Duterte s’adresse à des manifestants, 11 février 2008.
Crédits (photo de couverture) : AKP Images / Keith Bacongco (Creative Commons).


[1Entrevues réalisées par l’auteur en mai 2013.

[2CASAS, Arianne Caryl N. (2013), « Davao ranked as 4th safest in 349 cities », The Sun Star Philippines, http://www.sunstar.com.ph/davao/local-news/2013/08/11/davao-ranked-4th-safest-349-cities-297317 (11 août 2013). À noter que le site Internet Numbeo à la source de cet index, spécifie que : « The structure of the project allows anyone with an Internet connection to alter its content. Please be advised that nothing found here has necessarily been reviewed by people with the expertise required to provide you with complete, accurate or reliable information. That is not to say that you will not find valuable and accurate information in Numbeo ; much of the time you will. However, Numbeo cannot guarantee the validity of the information found here. »

[3BREUIL, Brenda Carina Oude et Ralph ROZEMA (2009), « Fatal Imaginations : death squads in Davao City and Medellín compared », Crime law Soc Change, No. 52, pp. 405-424.

[4OMTC (2003), « State violence in the Philippines. An alternative report to the United Nations Human Rights Committee », presenté par Task Force Detainees of the Philippines, WEDPRO, Preda Foundation : Geneva, OMTC ; HEDMAN, E. (2000), « State of Siege : Political violence and vigilante mobilization in the Philippines », dans B.B. CAMPBELL et A. D. BRENNER (Éds.), Death Squads in global perspective. Murder with deniability : Houndmills, Basingstoke, Hampshire & London : MacMillan, pp. 125-153.

[5KREUZER, Peter (2009), « Private Political Violence and Boss-Rule in the Philippines », Behemot. A Journal on Civilisation, No. 1, pp. 47-63.

[6VAN SWAANINGEN, René (2009), « Fear and the Trade-off Between Security and Liberty », dans HILDEBRANDT, M., A. MAKINWA et A. OECHMICHEN (Éds), Controlling Security in a Culture of Fear : The Hague, Boom Legal Publishers, 275 p.

[7ZABRISKIE, P. (2002), « The Punisher », Times Asia, 24 juin 2002.

[8Ibid.

[9LACORTE, Germelia, « Duterte tells criminals : Leave Davao City vertically or horizontally », The Inquirer Mindanao, http://newsinfo.inquirer.net/435783/duterte-tells-criminals-leave-davao-city-vertically-or-horizontally (30 juin 2013).

[10Sun Star, « Duterte’s shoot-to-kill order against law : Valte », The Sun Star Philippines, http://www.sunstar.com.ph/breaking-news/2013/07/13/dutertes-shoot-kill-order-against-law-valte-292307 (13 juillet 2013).

[11Ibid.

[12Taipei Times, « PHILIPPINES : Filipino journalists face brutal death squads », Asia Media Archives, http://www.asiamedia.ucla.edu/article.asp?parentid=22674 (4 avril 2005).

Candidat à la maîtrise en Études internationales à l'Université de Montréal, Martin Laroche travaille sur les impacts de la mobilisation sociale sur la qualité de l'alimentation aux Philippines et au Mexique.

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