La question sécuritaire, maintenue au sommet de l’agenda politique municipal, est intrinsèquement liée à la famille Duterte, qui dirige Davao avec une poigne de fer pratiquement sans interruption depuis l’élection du maire. Ce changement radical porté par un clan dont la présence est continue depuis 1987 est l’occasion de se pencher sur la relation entre peur et politique dans cette municipalité.
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L’île de Minadanao a été profondément marquée par les nombreux conflits armés qui s’y sont déroulés au cours de son histoire. Davao a été témoin de diverses attaques [3] et de règlements de compte entre factions [4]. Rody Duterte ne cachait pas, à l’époque, ses liens avec certains mouvements et son approbation de leur usage de méthodes fortes afin de rétablir la paix. Pour lui, de tels groupes assuraient à la ville un retour vers la stabilité, permettant le développement économique et incarnant l’esprit de communauté [5]. Un cercle vicieux formé par l’insécurité, les divisions sociales et la violence ont maintenu la population dans un climat de peur jusqu’à la fin des années 1980 [6]. C’est à cette époque que s’est définie l’image de Rody Duterte. La population place depuis sa confiance dans le maire Duterte, surnommé « The Punisher » [7].
« If I’m going out, I’m going out with my gun blazing » [8]. Cette citation est un exemple assez représentatif de la manière dont s’exprime le célèbre maire. Quelques jours après sa réélection en mai 2013, il mettait en garde les criminels : « Leave Davao City vertically, or horizontally » [9]. Un mois plus tard, alors que l’on apprend que les suspects d’un enlèvement s’étant produit à Manille se trouvent à Davao, Duterte convoque les médias et donne un ordre clair au service de police : « Shoot to kill » [10]. Ajoutant au personnage du maire prêt à tout pour faire disparaître la criminalité de la ville, de nombreux observateurs soulignent le lien étroit existant entre le maire de Davao et les Davao Death Squads (DDS) [11]. Depuis leur première victime en 1993, les DDS ont démontré une efficacité redoutable à éradiquer les individus jugés « indésirables » au moyen d’exécutions extrajudiciaires.
La population de Davao troque sa liberté contre la sécurité assurée par son maire. Une véritable culture du règlement extrajudiciaire des problèmes liés à la criminalité a pris racine au sein d’une grande partie de la société. Non seulement ces pratiques sont-elles en totale contradiction avec la loi, mais elles lient directement la stratégie politique du maire avec les objectifs de groupes œuvrant dans l’illégalité. Aujourd’hui, la croyance populaire veut que les DDS forment en fait la « Duterte Death Squad » et la ville s’enferme dans une dynamique par laquelle le seul recours possible contre la violence reste la violence. La peur constante est corollaire à l’impunité générale. Dans la ville la plus sécuritaire d’Asie du Sud-est, certains habitants appuient les tueries, qui auraient fait de leur ville un lieu plus sûr et plus attirant pour les investisseurs étrangers [12].
Profitant de conditions politiques favorables, la famille Duterte a assis son emprise sur la ville à tel point que, lors des élections de 2013, personne ne s’est présenté comme candidat à la mairie contre Rudy Duterte. Son clan fait un usage stratégique de la peur auprès de la population afin de garantir la pérennité de son règne. Le statut de « ville la plus sécuritaire » d’Asie du Sud-Est prend ainsi un sens bien particulier.
Légende (photo de couverture) : Le maire Rody Duterte s’adresse à des manifestants, 11 février 2008.
Crédits (photo de couverture) : AKP Images / Keith Bacongco (Creative Commons).