Le mouvement contre la loi d’autodéfense collective et l’appel du PCJ
En septembre 2015, le Premier Ministre Abe Shinzô fait voter la loi d’autodéfense collective portant sur les Forces d’Auto-Défense (FAD, l’armée japonaise). Celle-ci élargit le champ d’action des FAD, et est considérée comme allant à l’encontre de l’article 9 de la Constitution, profondément pacifiste [1]. Cette législation provoque alors un large mouvement social, particulièrement investi par le monde étudiant [2].
C’est après le vote de la loi le 19 septembre que le PCJ et son dirigeant, Shii Kazuo, créent la surprise en publiant un « Appel pour la mise en place d’un “gouvernement national qui abolisse les lois bellicistes” » [3]. Concrètement, « partis, organisations et individus en faveur de l’abolition des lois bellicistes » sont appelés « à travailler à la mise en place d’un gouvernement de coalition nationale ». Il aurait pour priorité de supprimer la nouvelle législation d’autodéfense, incluse dans les « lois bellicistes ». Une coopération électorale est particulièrement souhaitée, sous la forme de retraits mutuels de candidatures [4] [5].
Avancées et reculs de la coopération électorale
Cette coopération s’est concrétisée entre les élections sénatoriales de 2016 et législatives de 2021, approfondie grâce à deux autres acteurs. Le premier, l’Alliance Citoyenne (AC), constituée après septembre 2015 en rassemblant la multitude de groupes citoyens qui s’étaient formés au cours du mouvement social, et qui depuis se donne pour tâche de pousser à l’union des partis d’opposition en la coordonnant [6]. Puis, le Parti Constitutionnel Démocrate (PCD), fondé par Edano Yukio la veille des législatives de 2017 sur une ligne fondamentalement constitutionnaliste. Le lien noué entre les trois acteurs est tangible à travers les plateformes rédigées par l’AC et signées par le PCJ et le PCD, tant pour les législatives de 2017 que de 2021. Elles appellent à démanteler l’héritage sécuritaire, social et économique d’Abe Shinzô [7].
Signataires de la plateforme du Shimin Rengô, 8 septembre 2021, https://www.sankei.com/article/20231027-7AVCQWDFRFNITAQF7CAR7EOAKQ/ page consultée le 15 décembre)
Pour quels résultats ? De réels bénéfices sont à constater dans 11 circonscriptions uninominales à un siège sur 32 lors des sénatoriales de 2016, tout comme dans 25 circonscriptions uninominales remportées en 2021 par le PCD grâce à l’absence de candidature communiste en face de lui. L’alliance fonctionne donc, mais profite davantage au centre-gauche, sans immédiatement engranger les résultats escomptés. Les partis progressistes perdent en effet plusieurs sièges en 2021, dont 2 au détriment du PCJ, qui passe ainsi, entre 2015 et aujourd’hui, de 21 à 10 sièges. La coopération électorale ne lui apporte donc aucun avantage tangible depuis son lancement [8].
À travers différentes déclarations publiques, Izumi Kenta, le successeur d’Edano, s’est depuis montré opposé à poursuivre l’alliance [9] [10]. Qu’est-ce qui peut ainsi l’empêcher de vouloir coopérer avec le PCJ, dont le cœur électoral a permis à son parti d’obtenir des dizaines de sièges ? Le fait que la principale centrale syndicale du pays, la Confédération des syndicats ouvriers du Japon, soutien logistique majeur du PCD et de tradition anticommuniste, mette un point d’honneur à s’opposer à cela y contribue [11]. Au-delà, ce sont aussi des éléments constitutifs de l’identité du PCJ qui sont en cause.
Rencontre entre Izumi Kenta (PCD, à gauche) et Shii Kazuo (PCJ, à droite) », avec comme légende « Rencontre entre Izumi Kenta (PCD, à gauche) et Shii Kazuo (PCJ, à droite), The Sankei Shinbun https://www.sankei.com/article/20231027-7AVCQWDFRFNITAQF7CAR7EOAKQ/, page consultée le 13 décembre
Le problème de l’identité partisane du PCJ
Le PCJ continue de défendre un programme politique similaire à celui qu’il portait dans les années 1920, en ce qu’il promeut une révolution en deux étapes [12]. La première serait notamment celle dite « démocratique », avec pour principal ennemi l’impérialisme étasunien, qui ferait du Japon un État-client. La priorité absolue du PCJ demeure ainsi, en 2024, l’abolition du traité de sécurité nippo-américain [13]. Le PCD, pour sa part, défend une diplomatie centrée sur une « relation nippo-américaine saine » [14].
Le PCJ ne fait certes pas de la rupture de celle-ci une condition sine qua non pour coopérer et appelle plutôt à un statu quo, mais cette situation génère pour le PCD des doutes sur sa capacité à être un partenaire fiable de coalition. De plus se poserait la question de la réaction des États-Unis face à un gouvernement qui serait soutenu par un tel allié [15].
Pour qu’elle réussisse, l’alliance pose donc pour le PCJ la question fondamentale de son identité politique. Abandonner sa ligne anti-impérialiste pour donner une chance à une alternative sociale-progressiste, au risque de renier son identité ? Ou bien maintenir sa position en espérant qu’elle progresse et ne constitue plus un obstacle, au risque de rester seul et de décliner électoralement entre-temps ?
Une telle discussion est généralement réglée démocratiquement en interne. Or, le PCJ maintient toujours un système de centralisme démocratique [16] qui, de facto, ferme toute discussion ouverte et empêche le débat de se tenir sereinement. Ce problème a été mis en lumière par le cas de Matsutake Nobuyuki, un ancien membre de la direction, exclu en février 2023 pour avoir remis en cause ce fonctionnement. Dans un édito du Asahi Shinbun, cette expulsion a été perçue comme alarmante, mais représentative de l’état actuel du PCJ [17]. Cette situation le bloque dans sa capacité de renouvellement et de revitalisation, générationnelle comme intellectuelle, l’empêchant d’ouvrir plus grand ses portes aux forces vives du pays au-delà des partis progressistes. C’est pourtant ce dont il aurait urgemment besoin face au vieillissement de son réseau militant et de son électorat [18].
Matsutake Nobuyuki, Asahi Shinbun https://www.asahi.com/articles/DA3S15550073.html, page consultée le 15 décembre 2023
Quoi que décide le PCJ dans les prochaines années, il ne peut faire l’économie d’un débat franc et transparent pour que la voie choisie soit légitime. La formule qu’il trouvera alors, entre désir d’un gouvernement alternatif et devoir de revitalisation partisane, déterminera pour partie l’avènement ou non du gouvernement progressiste et social qu’il appelle de ses vœux.