La langue est l’un des vecteurs de la culture. La Chine, pays historiquement multiethnique, présente une forte diversité linguistique : 56 ethnies (les Han constituant la majorité) dont la plupart possèdent leur propre langue, voire deux pour certaines. On dénombre environ 80 langues en Chine, utilisant une trentaine de types de caractères différents. La complexité inhérente à cette situation linguistique particulière a rendu nécessaire la mise en place d’une « politique linguistique [...] (qui) se réfère à l’ensemble des orientations, implicites ou explicites, prises par une autorité politique, [...], ayant pour but ou pour effet de régir l’usage des langues au sein d’un espace social donné » [2].Cette politique s’est globalement déroulée en trois étapes.
- Carte des principales langues en Chine
Source : Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_langues_chinoises
De 1949 à 1979
L’une des premières réformes menées par le Parti communiste chinois après son arrivée au pouvoir était le « plan linguistique de la Nouvelle Chine ». Celui-ci était fondé sur trois mesures : la désignation du mandarin en tant que langue officielle et sa promotion à travers le pays, la simplification des caractères et la mise en place du système du Pinyin (écriture phonétique latinisée). Ainsi, pour faciliter l’apprentissage de l’écrit et réduire le taux d’analphabétisme sera adoptée en 1956 une liste de 515 caractères et 54 particules simplifiées en lieu et place des caractères traditionnels. En 1958, la « loi de la langue et écriture communes de République Populaire de Chine » fera du Pinyin la référence pour l’orthographe et la phonétique romanisés des caractères [3].
De 1979 à 2000
La Chine a dû repenser sa politique linguistique dans les années 80 avec la politique de réforme et d’ouverture du pays, le développement de l’informatisation, l’essor de l’anglais et de l’utilisation des caractères sur internet. D’une part, l’influence de la culture hongkongaise et taïwanaise a maintenu l’emploi des caractères traditionnels dans les usages courants. D’autre part, l’intensification des échanges avec l’étranger a poussé certaines entreprises à prendre des noms ou à créer des mots translittérés [4].Il en va de même pour de nombreuses publications, publicités, enseignes de magasins, emballages de marchandises et instructions. Dans les années 80, l’accent a été mis sur la promotion et la généralisation du mandarin (clause ajoutée à la Constitution en 1982) plus que sur la réforme de l’écriture. Dès 1993 sera établi un test d’évaluation des compétences en chinois HSK [5], institutionnalisé à partir de 2003, dont la réussite subordonne l’accès à certains métiers (enseignants, fonctionnaires d’État, présentateurs dans les médias, acteurs, etc.). La loi nationale sur la langue et l’écriture communes de la Chine, promulguée en 2000, confirme le statut du mandarin en tant que langue commune et l’usage des caractères standardisés deviendra obligatoire notamment dans les domaines de l’administration, de l’éducation, des médias et des services publics. Enfin, dans le cadre du “Projet de Pinyin” [6],celui-ci sera enseigné dès le primaire.
- Le président Xi Jinping (en bas au centre), lors de son discours pour le quarantième anniversaire de l’ouverture de la Chine à l’économie de marché, à Pékin, le 18 décembre
Source : Mark Schiefelbein / AP Source : La Chine, puissance impérieuse, Le Monde : https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/12/21/la-chine-puissance-imperieuse_5400790_3232.html
De 2000 à aujourd’hui
La mondialisation de son économie et son adhésion à l’OMC ont progressivement conféré à la Chine un rôle central sur la scène internationale. Une série de projets et de campagnes [7] ont été mis en place pour appliquer la loi linguistique nationale [8], et on conduit à la révision de la langue chinoise.Sur une cinquantaine d’années, nous pouvons donc constater le renforcement et l’institutionnalisation du mandarin. Désormais, le pourcentage de la population chinoise sachant le parler est estimé à 70 % contre 54 % en 2000 [9].
Le mandarin : une langue d’importance mondiale
Si la politique linguistique chinoise a octroyé au mandarin une place de choix au sein du pays, elle a aussi participé à la promotion et au rayonnement de cette langue partout dans le monde. Le développement économique d’une Chine devenue l’atelier du monde [10], a généré de nombreuses opportunités commerciales ainsi que d’importants débouchés. La connaissance du chinois peut s’avérer utile voire indispensable pour les entreprises étrangères investissant en Chine comme pour les entreprises chinoises investissant à l’étranger. En effet, ces dernières réclament souvent des locuteurs maîtrisant le chinois. Le chinois, en passe de détrôner les autres langues étrangères dans plusieurs pays africains, pourrait ainsi devenir la principale langue du commerce mondial d’ici 2050 [11].
Ces besoins s’expriment également dans le tourisme, avec une forte augmentation de la classe moyenne chinoise désireuse de voyager à l’étranger. Certains parlent alors d’un « boom chinois » qui serait largement porté par le gouvernement via des actions comme la promotion du HSK [12], la mise en œuvre du « Chinese Bridge Project » (汉语桥工程 ) [13], la création des « Instituts Confucius » (孔子学院 ) à l’étranger [14], l’envoi d’enseignants de chinois à l’étranger ou la formation de professeurs de chinois destinés à l’enseignement local.
- Enseignement du mandarin dans une école
Source : http://www.happylearn.net.cn/news-65249.html
Le développement économique de la Chine et son ouverture sur le monde ont façonné une certaine « idéologie chinoise » [15] dont la promotion de la langue révèle un soft power destiné à conforter l’image et le prestige de la culture nationale. La langue et l’écriture, en tant qu’outils indispensables de communication et ressource culturelle de la société humaine, sont donc un enjeu fondamental pour l’État. Leur importance rend indispensable la mise en place d’une politique linguistique.
Celle-ci ne peut cependant être purement théorique. Elle doit s’appuyer sur la réalité sociale et économique du pays pour être adaptée à ses besoins et ambitions. Si l’anglais reste la première langue étrangère enseignée en Chine, la généralisation du mandarin peut être vue comme l’expression d’un certain patriotisme [16]. Le “boom chinois” résulte quant à lui du volontarisme linguistique de l’État et reflète également l’influence croissante du pays sur la scène internationale.
Légende (photo de couverture) : La politique linguistique : reflet du développement économique et culturel de la Chine
Crédit : Chen Lian