Bulletin d’analyse sur l’Asie de l’Est et du Sud-Est

La politique linguistique : reflet du développement économique et culturel de la Chine

dimanche 24 mars 2019, par Lian Chen

En Chine, la politique linguistique est encadrée par des textes réglementaires et juridiques. Cette dernière reflète la volonté de l’État de gérer ou planifier l’usage de différentes langues nationales dans un pays multiethnique et multilinguistique. En effet, la langue et l’écriture chinoises ont fortement été influencées par ce multiculturalisme comme par les effets de la mondialisation. La politique linguistique chinoise a donc également du évoluer avec le développement économique et politique du pays. Les quarante années qui ont suivi la politique de réforme et d’ouverture [1] du pays l’ont considérablement ouvert à la scène internationale et cela a eu un effet direct sur la politique linguistique nationale.

La langue est l’un des vecteurs de la culture. La Chine, pays historiquement multiethnique, présente une forte diversité linguistique : 56 ethnies (les Han constituant la majorité) dont la plupart possèdent leur propre langue, voire deux pour certaines. On dénombre environ 80 langues en Chine, utilisant une trentaine de types de caractères différents. La complexité inhérente à cette situation linguistique particulière a rendu nécessaire la mise en place d’une « politique linguistique [...] (qui) se réfère à l’ensemble des orientations, implicites ou explicites, prises par une autorité politique, [...], ayant pour but ou pour effet de régir l’usage des langues au sein d’un espace social donné » [2].Cette politique s’est globalement déroulée en trois étapes.

Carte des principales langues en Chine
Source : Wikipédia : https://fr.wikipedia.org/wiki/Liste_des_langues_chinoises

De 1949 à 1979

L’une des premières réformes menées par le Parti communiste chinois après son arrivée au pouvoir était le « plan linguistique de la Nouvelle Chine ». Celui-ci était fondé sur trois mesures : la désignation du mandarin en tant que langue officielle et sa promotion à travers le pays, la simplification des caractères et la mise en place du système du Pinyin (écriture phonétique latinisée). Ainsi, pour faciliter l’apprentissage de l’écrit et réduire le taux d’analphabétisme sera adoptée en 1956 une liste de 515 caractères et 54 particules simplifiées en lieu et place des caractères traditionnels. En 1958, la « loi de la langue et écriture communes de République Populaire de Chine » fera du Pinyin la référence pour l’orthographe et la phonétique romanisés des caractères [3].

De 1979 à 2000

La Chine a dû repenser sa politique linguistique dans les années 80 avec la politique de réforme et d’ouverture du pays, le développement de l’informatisation, l’essor de l’anglais et de l’utilisation des caractères sur internet. D’une part, l’influence de la culture hongkongaise et taïwanaise a maintenu l’emploi des caractères traditionnels dans les usages courants. D’autre part, l’intensification des échanges avec l’étranger a poussé certaines entreprises à prendre des noms ou à créer des mots translittérés [4].Il en va de même pour de nombreuses publications, publicités, enseignes de magasins, emballages de marchandises et instructions. Dans les années 80, l’accent a été mis sur la promotion et la généralisation du mandarin (clause ajoutée à la Constitution en 1982) plus que sur la réforme de l’écriture. Dès 1993 sera établi un test d’évaluation des compétences en chinois HSK [5], institutionnalisé à partir de 2003, dont la réussite subordonne l’accès à certains métiers (enseignants, fonctionnaires d’État, présentateurs dans les médias, acteurs, etc.). La loi nationale sur la langue et l’écriture communes de la Chine, promulguée en 2000, confirme le statut du mandarin en tant que langue commune et l’usage des caractères standardisés deviendra obligatoire notamment dans les domaines de l’administration, de l’éducation, des médias et des services publics. Enfin, dans le cadre du “Projet de Pinyin” [6],celui-ci sera enseigné dès le primaire.

Le président Xi Jinping (en bas au centre), lors de son discours pour le quarantième anniversaire de l’ouverture de la Chine à l’économie de marché, à Pékin, le 18 décembre
Source : Mark Schiefelbein / AP Source : La Chine, puissance impérieuse, Le Monde : https://www.lemonde.fr/idees/article/2018/12/21/la-chine-puissance-imperieuse_5400790_3232.html

De 2000 à aujourd’hui

La mondialisation de son économie et son adhésion à l’OMC ont progressivement conféré à la Chine un rôle central sur la scène internationale. Une série de projets et de campagnes [7] ont été mis en place pour appliquer la loi linguistique nationale [8], et on conduit à la révision de la langue chinoise.Sur une cinquantaine d’années, nous pouvons donc constater le renforcement et l’institutionnalisation du mandarin. Désormais, le pourcentage de la population chinoise sachant le parler est estimé à 70 % contre 54 % en 2000 [9].

Le mandarin : une langue d’importance mondiale

Si la politique linguistique chinoise a octroyé au mandarin une place de choix au sein du pays, elle a aussi participé à la promotion et au rayonnement de cette langue partout dans le monde. Le développement économique d’une Chine devenue l’atelier du monde [10], a généré de nombreuses opportunités commerciales ainsi que d’importants débouchés. La connaissance du chinois peut s’avérer utile voire indispensable pour les entreprises étrangères investissant en Chine comme pour les entreprises chinoises investissant à l’étranger. En effet, ces dernières réclament souvent des locuteurs maîtrisant le chinois. Le chinois, en passe de détrôner les autres langues étrangères dans plusieurs pays africains, pourrait ainsi devenir la principale langue du commerce mondial d’ici 2050 [11].

Ces besoins s’expriment également dans le tourisme, avec une forte augmentation de la classe moyenne chinoise désireuse de voyager à l’étranger. Certains parlent alors d’un « boom chinois » qui serait largement porté par le gouvernement via des actions comme la promotion du HSK [12], la mise en œuvre du « Chinese Bridge Project » (汉语桥工程 ) [13], la création des « Instituts Confucius » (孔子学院 ) à l’étranger [14], l’envoi d’enseignants de chinois à l’étranger ou la formation de professeurs de chinois destinés à l’enseignement local.

Enseignement du mandarin dans une école
Source : http://www.happylearn.net.cn/news-65249.html

Le développement économique de la Chine et son ouverture sur le monde ont façonné une certaine « idéologie chinoise » [15] dont la promotion de la langue révèle un soft power destiné à conforter l’image et le prestige de la culture nationale. La langue et l’écriture, en tant qu’outils indispensables de communication et ressource culturelle de la société humaine, sont donc un enjeu fondamental pour l’État. Leur importance rend indispensable la mise en place d’une politique linguistique.

Celle-ci ne peut cependant être purement théorique. Elle doit s’appuyer sur la réalité sociale et économique du pays pour être adaptée à ses besoins et ambitions. Si l’anglais reste la première langue étrangère enseignée en Chine, la généralisation du mandarin peut être vue comme l’expression d’un certain patriotisme [16]. Le “boom chinois” résulte quant à lui du volontarisme linguistique de l’État et reflète également l’influence croissante du pays sur la scène internationale.

Légende (photo de couverture) : La politique linguistique : reflet du développement économique et culturel de la Chine
Crédit : Chen Lian


[1改革开放 Gǎigé kāifàng (La réforme économique chinoise ou Réforme et ouverture), est un programme de réformes économiques mené à partir de décembre 1978 en République Populaire de Chine, sous la direction du nouveau secrétaire général du Parti communiste chinois, Deng Xiaoping.

[2Loubier, C. (2002) « L’aménagement linguistique : fondements de l’aménagement linguistique ». Montréal : Office québécois de la langue française. P. 4.

[3Le Pinyin est utilisé en Chine continentale, alors qu’à Taiwan on utilise le bopomofo ou zhuyin fuhao (注音符号) notamment pour transcrire le mandarin à des fins pédagogiques et didactiques.

[4Par exemple, l’enseigne « 小卖部 » (épicerie) a été traduite littéralement de l’anglais « Small buy ».

[5Test sur le niveau de mandarin (普通话水平考试).

[6汉语拼音方案 Hànyǔ pīnyīn fāng’àn ou « Projet de transcription de la langue chinoise » sous forme romanisée, a été approuvé lors de la cinquième session plénière de l’Assemblée populaire nationale de la République Populaire de Chine en 1978. Le gouvernement chinois a ensuite adopté le pinyin l’année suivante.

[7Par exemple : la campagne d’« Évaluation de la politique linguistique en zone urbaine » (城市语言文字工作评估) en 2001, pour évaluer le degré de standardisation de la langue dans les domaines administratifs, éducatifs, médiatiques et les services publics dans chaque ville chinoise. Cité par : Guo Yufei, 2018. « Politique linguistique intérieure de la Chine : entre unité et diversité. Le débat autour du cantonais au début du 21e siècle », p. 58. Paris : Département de Langues, littératures et sociétés du monde, Institut National des Langues et Civilisations Orientales.

[8C’est le cas de 《中华人民共和国国家通用语言文字法》(La loi de la République populaire de Chine sur la langue et les caractères nationaux)qui a été adoptée lors de la 18ème réunion du Comité permanent du neuvième Congrès populaire national de la République populaire de Chine, le 31 octobre 2000. Elle est entrée en vigueur à partir du 1er janvier 2001.

[9French.china.org.cn, 2017. « 73% de la population chinoise parle le mandarin standard ». En ligne. http://french.china.org.cn/china/txt/2017-09/08/content_50014239.htm?fbclid=IwAR3_kccRZR0U6HxT9_li27VO_iUKFGeF-60JqGLtuxc-j86CSeAN6E9sGTA

[10Avec une croissance supérieure à 6% par an. (cf. Banque Mondiale. « Croissance du PIB (% annuel en Chine) » En ligne.https://donnees.banquemondiale.org/indicateur/NY.GDP.MKTP.KD.ZG?fbclid=IwAR07LPwJ-CDDvj1Oxt9Eb04bblEIsi-Y3_AMzNbTYh3b4FXvO1T08M5tkwk&locations=CN&name_desc=false

[11Martin Mateso, 2015,« Le mandarin triomphe sur le continent africain ». En ligne. https://www.francetvinfo.fr/monde/chine/le-mandarin-triomphe-sur-le-continent-africain_3067295.html

[12Test sur le niveau de mandarin (普通话水平考试).

[13Le « Chinese Bridge Project » est un projet de promotion du chinois, de sa culture et de sa langue, sous la forme d’un concours organisé entre des étudiants d’écoles du monde entier et de tous niveaux. Il permet de renforcer la compréhension et l’amitié de tous les pays du monde.

[14525 en 2017 répartis dans près de 140 pays, cité par Institut Confucius. En ligne. http://www.hanban.edu.cn/confuciousinstitutes/node_10961.htm

[15Selon la définition de Howard (2008), l’idéologie linguistique est « un ensemble de notions de sens commun, partagées, à propos de la nature de la langue dans le monde » (Howard, 2008 : 188).

[16Par exemple : « utiliser la langue et l’écriture standard, c’est promouvoir et développer la culture traditionnelle chinoise » (2010) ; « renforcer ses compétences dans la langue commune et écrire en caractères standards, c’est promouvoir et développer la culture nationale chinoise » (2011) ; « promouvoir le mandarin, c’est réaliser le rêve chinois » (2013). Cités par : Guo Yufei, 2018. « Politique linguistique intérieure de la Chine : entre unité et diversité. Le débat autour du cantonais au début du 21e siècle », p. 64-65. Paris : Département de Langues, littératures et sociétés du monde, Institut National des Langues et Civilisations Orientales.

Doctorante au sein du Laboratoire Langues, Textes, Discours, Dictionnaires (EA 7518 LT2D) de l'Université de Cergy-Pontoise et lectrice à l'Université de Grenoble-Alpes, Lian Chen rédige présentement sa thèse sur l'« analyse comparative des expressions idiomatiques chinoises et françaises concernant les parties du corps humain et les animaux».

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