Le conflit au Soudan du Sud menace les investissements chinois réalisés avant et après sa séparation d’avec le Soudan en 2011, estimés à 28 milliards de dollars [3]. Ceux-ci visaient à développer l’industrie pétrolière du jeune État et ont porté leurs fruits : durant les dix premiers mois de 2013, le Soudan du Sud a exporté 1,9 million de tonnes de pétrole vers la Chine [4]. Or, Riek Machar a fait des gisements pétroliers l’une de ses cibles [5] car les revenus qui en sont issus constituent le financement principal du gouvernement de Kiir.
- Carte du Sud-Soudan. Crédits : CIA - The World Factbook.
Officiellement, les rebelles n’ont pas l’intention d’interrompre la production. Leur porte parole a ainsi déclaré qu’ils désiraient que l’argent du pétrole soit placé sur un compte bancaire spécifique et bloqué jusqu’à la fin du conflit. Il sera ensuite dépensé pour le peuple sud-soudanais [6]. Cette politique est cependant difficile à mener étant donné que les revenus du pétrole sont versés au gouvernement sud-soudanais par les compagnies pétrolières avec qui il a fait affaire [7]. Machar ne peut pourtant pas interrompre la production de pétrole sans risquer de s’aliéner la Chine et les autres puissances ayant des intérêts pétroliers au Soudan du Sud, tels la Malaisie et l’Inde, qui sont des partenaires indispensables pour lui.
L’impact du conflit sur la production de pétrole est difficile à évaluer pour le moment. Si le ministère chinois des Affaires étrangères a déclaré que les entreprises chinoises n’avaient pas été affectées par le conflit [8], selon certaines sources, la production de pétrole a baissé de plus de 20% depuis le début du conflit et la Chine a été obligée d’interrompre son activité dans certaines zones et d’évacuer un grand nombre d’employés chinois [9].
Face à cette menace potentielle, le gouvernement chinois a appelé les deux factions à cesser le conflit [10] et le ministre chinois des Affaires étrangères, Wang Yi, a présenté une position officielle en quatre points. En premier lieu, la Chine insiste sur la nécessité de la mise en place d’un cessez-le-feu afin de créer les conditions d’un dialogue de paix. En second lieu, un dialogue politique inclusif visant à trouver une solution acceptable pour les deux camps doit être établi. Il est en outre nécessaire que la communauté internationale intensifie ses efforts pour favoriser les négociations de paix et améliorer la situation humanitaire du Soudan du Sud [11]. La présence de Wang Yi aux pourparlers qui ont eu lieu dans la capitale éthiopienne au début de l’année, mais qui ont finalement échoué, témoigne de la volonté chinoise de voir le conflit se terminer. Ces négociations ont été menées sous l’égide de l’Autorité Intergouvernementale sur le Développement (IGAD), une organisation réunissant le Soudan, le Kenya, Djibouti, l’Érythrée, la Somalie, l’Éthiopie et l’Ouganda. La Chine a exprimé à plusieurs reprises son soutien pour l’organisation, dont l’initiative s’inscrit dans la lignée de la doctrine « des solutions africaines aux problèmes africains » qui s’est développée durant les vingt dernières années [12].
A cet égard, la réponse chinoise à la crise présente une certaine ambigüité par rapport au respect du principe de non-ingérence, présenté comme l’un des piliers de la politique étrangère chinoise [13]. En effet, si les prises de position chinoises et les déplacements du ministre des Affaires étrangères peuvent être interprétés comme une entorse à ce principe, le soutien pour l’IGAD indique une volonté de ne pas s’engager plus avant dans le processus de résolution du conflit et de respecter cette doctrine. La Chine est cependant d’ores et déjà engagée dans ce processus via sa contribution à la Mission des Nations Unies au Soudan du Sud, mise en place en juillet 2011. La position chinoise oscille donc entre préférence pour l’unilatéralisme, avec des pressions exercées indépendamment de toute organisation supranationale sur les acteurs du conflit [14], et soutien et participation à des institutions multilatérales, participation rendue indispensable étant donné le statut de grande puissance acquis et revendiqué par la Chine.
La position chinoise se distingue en outre de celle privilégiée par les puissances occidentales et en particulier les États-Unis, qui ont adopté le 6 mai des sanctions contre les deux camps [15]. La Chine s’est toujours refusée à mettre en place des mesures de ce type, et l’Inde, un autre État présent dans le secteur pétrolier soudanais, a annoncé qu’elle ne soutiendrait pas ces sanctions [16]. Le cas du Soudan du Sud, comme d’autres auparavant, semble donc faire apparaitre une division entre des pays « émergents » qui refusent d’exercer toute forme de coercition dans leur politique étrangère et les puissances occidentales pour qui cela fait partie de l’arsenal des mesures possibles. Le refus d’adopter des sanctions correspond par ailleurs à la volonté de mener une politique étrangère pragmatique. En effet, cela permet de garantir des relations cordiales avec le camp qui l’emportera, quel qu’il soit. La Chine privilégie une position réaliste face à l’instabilité de ses partenaires africains, travaillant à conserver les relations commerciales avec les nouveaux chefs d’État, quelle que soit la façon dont ils prennent le pouvoir. Mettre en place des sanctions pourrait se retourner contre les intérêts chinois à la fin du conflit [17].
La Chine a donc adopté face au conflit sud-soudanais une position ambigüe caractéristique de sa politique étrangère en Afrique. Cette position ne peut être interprétée simplement comme une remise en cause du principe de non ingérence. Elle met plutôt en évidence la nécessité d’adopter une compréhension plus subtile de ce principe, en terme de degré plutôt que de binarité, pour analyser la politique étrangère chinoise.
Crédits (photo de couverture) : Oxfam International - CC BY-NC-ND 2.0.