Après la mouvance réformatrice de la fin des années 1990 (i.e reformasi), l’enjeu de la corruption s’est taillé une place décisive dans le débat politique et électoral [3]. En effet, l’un des objectifs principaux de ce mouvement consistait à vouloir s’attaquer à la corruption endémique qui, selon les réformateurs, gangrenait la vie politique, économique et administrative du pays [4]. Tel que souligné par leurs revendications, des symptômes importants de corruption sont apparus durant la phase de développement économique malaisien des dernières décennies, émaillant le débat électoral : formation d’une nébuleuse complexe et opaque parmi les élites politiques et économiques (parfois appelé « crony-capitalism » [5]), copinage, népotisme, influence des money-politics au sein des partis [6] (i.e. achat de votes), abus de pouvoir et patronage [7].
En réponse aux désirs de réforme, le gouvernement s’est appliqué à mettre en œuvre plusieurs politiques anti-corruption de diverses natures, telles que l’amélioration de leur agence anti-corruption par l’étoffement de son cadre juridique, la mise en place de cours de justice spécialisées dans la corruption, l’adoption d’une loi protégeant les dénonciateurs ou encore l’établissement d’une académie vouée à la formation des agents anti-corruption [8]. Toutefois, sans s’attarder sur l’efficacité de ces réformes, la dimension électorale que connaît l’enjeu s’est inévitablement transposée sur le terrain des perceptions : pour chaque camp, la corruption s’est présentée comme un outil puissant pour rallier, critiquer, diviser et conquérir.
Compte tenu de ce contexte, la nomination du ministre Low n’a cessé de générer des interrogations concernant les motivations stratégiques du principal intéressé et sa signification pour la lutte anti-corruption.
- Datuk Paul Low, ministre au Département du premier ministre en Malaisie.
D’un côté, cette nomination peut être perçue comme un effort de la part du gouvernement de démontrer sa volonté politique de s’attaquer à la corruption. Après plusieurs années comme chef de TI-M, ayant de surcroît critiqué à quelques reprises le régime en place, Low aura sans doute assez d’expérience pour ne pas rechercher le conformisme. Ajoutant à cela la position privilégiée qu’il détient désormais au sein du cabinet, il est envisageable qu’il puisse interagir avec les plus hautes sphères d’influence sans faire d’auto-censure. D’autre part, son passé comme activiste lui permet d’avoir une idée claire de l’agenda qu’il souhaiterait poursuivre, afin de faire avancer la lutte anti-corruption. N’ayant actuellement aucune affiliation politique, Datuk Paul Low se présente aussi comme étant a priori indépendant de pressions potentielles tant des partis politiques que de l’électorat. Finalement, plusieurs voient dans cette nomination une démonstration claire d’une certaine transparence du gouvernement, qui cherche des solutions afin de se conformer aux attentes de l’opinion publique concernant la corruption.
De l’autre côté, les réfractaires ont mis de l’avant qu’il ne s’agissait que d’une nomination cosmétique, qui n’aurait aucun impact réel sur la situation actuelle. De plus, ils considèrent l’influence potentielle de Datuk Paul Low limitée de par son manque d’expérience du jeu politique du plus haut calibre, le manque d’alliés qui partagent sa vision, et la pression que peut exercer l’entourage de l’exécutif. De ce point de vue, le tout relève d’un calcul politique simple : apaiser les revendications populaires pour davantage d’action politique contre la corruption, sans trop s’inquiéter des risques associés au remue-ménage que cela pourrait potentiellement créer. Certains ont même mis de l’avant l’instrumentalisation de l’appartenance ethnique chinoise de Low, qui offrait un avantage de plus dans un cabinet qui représentait de manière insuffisante la deuxième ethnie la plus importante du pays.
La réalité politique de cette nomination se trouve sûrement dans un entre-deux dilué de ces deux versions. Certains auteurs identifient des mécanismes de dépendance au sentier concernant l’éthique qui s’appliquent bien aux enjeux de corruption, d’intégrité ou de transparence [9]. La nature univoque et vertueuse de l’anti-corruption est telle qu’il est pratiquement impossible de se positionner politiquement contre celle-ci, car cela se résumerait, de manière caricaturale, à prendre parti pour la corruption. Qui peut ouvertement rejeter une mesure en faveur de la diminution de la corruption ? À ce titre, Datuk Paul Low tiendrait donc un atout important dans sa manche, celui d’être difficilement ignoré. Ajoutant à l’équation que les élections fraîchement contestées ont été un douloureux rappel que le parti au pouvoir est arrivé fastidieusement à une majorité simple, le prochain quinquennat du Barisan Nasional ne peut guère se permettre de perdre davantage la confiance de la population, au risque de céder le pouvoir pour la première fois depuis l’indépendance de 1957 [10].
De ce fait, l’approche idéale pour le ministre Low serait de faire abstraction des motivations et des stratégies politiques de ceux qui tirent les ficelles, afin de poursuivre son propre agenda malgré les obstacles qui pourraient s’interposer. Certains seront peut-être surpris par la force de traction que peut prendre la lutte anti-corruption, surtout provenant de l’intérieur, et les ressources qu’il faut mobiliser pour s’y opposer.
Somme toute, loin d’être la panacée à tous les maux, Datuk Paul Low sera probablement dans une meilleure position que certains l’auraient anticipé pour instaurer des réformes durables et significatives. Compte tenu des défis qui l’attendent, il devra recourir à tous ses avantages stratégiques pour faire avancer la lutte anti-corruption. Dans un contexte politique usé, les appels à cette lutte ne cessent d’être entendus, mais peinent souvent à être écoutés.
Légende (photo de couverture) : Centre-ville de Kuala Lumpur, capitale de la Malaisie.
Crédits (photo de couverture) : Claudia Vergnolle.
Crédits (photo - corps de texte) : Wikimedia Commons.