Les médias soulignent que la BRI n’est pas une stratégie pour atteindre l’hégémonie, mais une initiative proposant un nouvel ordre mondial [1] [2] basé sur la coopération [3] entre les pays selon leurs intérêts communs et promouvant la paix et le développement [4]. Dans un discours de 2013, Xi parle de reconstruire la route de la soie dans l’esprit de Zheng Qian, un envoyé de la dynastie Han dont les missions de « paix et d’amitié » en Asie centrale ont pavé la route qui lia l’Orient à l’Occident [5]. Le discours se concentre sur les intentions bienveillantes de la BRI [6] [7] [8], les valeurs d’inclusion et de non-interférence [9] dans la politique d’autres pays [10] [11], la différence fondamentale d’avec les projets impérialistes européens, américains ou japonais, du siècle précédent. Ce discours s’intègre parfaitement dans le récit national mis de l’avant par le gouvernement depuis la période de Réformes et Ouverture (改革开放) de Deng Xiaoping dans les années 1980 : la nation Chinoise, après un siècle d’humiliation commencé par les guerres de l’opium et achevé par la révolution de 1949, renaît, se développe, et s’ouvre sur le monde, prenant une route différente de celle de ses bourreaux, son ascension portée par le développement et la coopération économique des pays laissés pour compte au siècle précédent, dans le respect des intérêts de tous [12].
- "Poursuivons l’esprit du 4 mai, réalisons le rêve de la renaissance nationale."
Photo prise sur le campus de l’université Shantou. Source : Léa Gruyelle
Cette vision et le discours sur la BRI font partie intégrante de l’éducation patriotique reçue par les jeunes Chinois [13] [14]. Il n’est ainsi pas étonnant que les étudiants interviewés aient été fortement exposés au discours sur la BRI. Tous les étudiants se rappellent avoir étudié la BRI à l’école, l’avoir vue à la télé, ou dans les slogans et affiches dans les lieux publics. La grande majorité des étudiants interviewés gardent un œil critique quant aux conséquences de la BRI sur le monde et sont très conscients de l’environnement médiatique chinois qui ne leur permet pas d’être aussi informés qu’ils le souhaiteraient : « Bien sûr, nous espérons que la Chine accomplira beaucoup, et je veux croire aux bons résultats de la BRI, si dans le futur, il ne sort pas de scandale qui contredise ce que nous savions jusqu’ici ». « Nos points de vue politiques sont très contrôlés par le gouvernement, nous pouvons lire ce que le gouvernement souhaite que nous lisions. » Cependant, « les jeunes ont un œil critique, nous ne nous contentons pas de croire, nous attendons que la situation se développe. » Les étudiants réfléchissent aux possibles conséquences négatives sur l’autonomie ou la culture d’autres pays. Toutefois, ils donnent beaucoup d’importance au discours de bonnes intentions décrit plus tôt. « Nous sommes devenus forts, maintenant, nous ne devrions pas seulement renforcer notre pays, mais aider nos voisins. » Ils mentionnent souvent l’importance du « bénéfice mutuel » (同赢) au cœur de la BRI : aider d’autres pays à se développer est une partie essentielle du développement de la Chine, qui a besoin d’ouvrir les marchés des pays voisins pour alimenter sa propre croissance. Beaucoup voient la BRI comme une initiative dont l’objectif est d’aider les pays voisins à se développer pour le bien réciproque du pays en question et de la Chine. Si en se développant, « on peut aider d’autres pays à se développer par la BRI, je serais très fière. »
Beaucoup insistent sur la différence d’intentions entre la BRI et l’impérialisme : « l’impérialisme, c’est l’invasion d’autres pays, l’appropriation de ressources (…) notre pays met en avant la coopération et le développement mutuel. » « Je pense que la plupart des intentions de la Chine sont bonnes, elles ne sont pas de voler, ou d’envahir. » « Personnellement, je ne pense pas que la Chine veuille contrôler d’autres pays. Elle cherche principalement le bénéfice mutuel et le développement pacifique. » « Pensez à l’histoire de la Chine (…) elle a souffert de l’impérialisme, elle ne se développera pas de manière impérialiste. » « La Chine sait ce que ça fait d’être oppressée et envahie, les Chinois ne veulent pas se voir devenir ce genre de personnes. » « Ce serait terrible si la Chine faisait comme l’Allemagne et le Japon, et manipulait la nation entière. »
Certains sont inquiets, d’autres convaincus, mais tous, sans exception considèrent qu’un projet de développement international similaire aux projets impérialistes serait inacceptable. Le discours mettant en avant les bonnes intentions de la Chine et la justification de la BRI en des termes s’accordant avec le discours historique présent tout au long du parcours scolaire des étudiants chinois ont donc une importance non-négligeable pour la construction de la légitimité du projet à leurs yeux.
Légende (photo de couverture) : "Forger un nouveau moteur de développement innovant et construire une plaque tournante sur la route de la soie maritime du 21e siècle." Photo prise dans un abribus dans la ville de Shantou, province du Guangdong. Source : Léa Gruyelle