Pandémie et marché du travail
Les secteurs informels et formels hautement féminisés, comme la restauration et l’hôtellerie, les petits services, le travail domestique, le travail manufacturier, mais aussi la santé, ont été fortement affectés par les politiques de mitigation de la Covid-19. Au Laos, le pourcentage des femmes travaillant dans le secteur informel est le plus élevé avec 90,4%, mais il s’élève jusqu’à 80% au Vietnam [3], 77,2% au Cambodge, 71,3% au Myanmar, 65,4% [4] en Indonésie, 56,4% [5] aux Philippines, 45,1% [6] en Thaïlande et 43,7% [7] en Malaisie. Une majorité des femmes occupant ces emplois ont été suspendues ou licenciées en raison des mesures de confinement, les empêchant de gagner un revenu pour leur famille.
Au Cambodge, 40% des 800 000 travailleuses du vêtement ont été suspendues pendant 11 semaines [8]. Après le secteur de l’agriculture, le secteur du textile engage le plus de travailleuses de manière informelle [9]. Les contrats de travail sont de courte durée, permettant aux employeurs de licencier les travailleuses sans répercussions et empêchant un contrôle gouvernemental assidu [10]. Pour compenser les pertes faites pendant la pandémie, les employeurs ont licencié plusieurs milliers de travailleuses sans payer leur salaire ni leurs indemnités de départ [11]. Lorsque les travailleuses du vêtement sont retournées au travail pendant la deuxième vague, peu de mesures sanitaires avaient été mises en place et 17 000 travailleuses de plus de 206 manufactures ont dû passer en quarantaine [12].
En Indonésie, 68% des travailleurs de la santé et des soins s’occupant des malades, et 74% des médecins et des infirmières, sont des femmes. Ces femmes courent un risque élevé de contracter elles-mêmes la maladie en raison de contacts étroits avec les patients des services hospitaliers et des unités de soins intensifs [13]. De plus, suite à la fermeture des écoles, elles sont forcées de jongler entre leurs responsabilités professionnelles, les tâches ménagères et les responsabilités parentales, et risquent de passer la maladie aux membres de leur famille [14].
Pandémie et hausse des violences envers les femmes
La pandémie a engendré une hausse des violences envers les femmes en Asie du Sud-Est. Avec l’entrée en vigueur du confinement, les ONG spécialisées en violence domestique ont enregistré une hausse d’appels téléphoniques de 37% [15] à Singapour et 112,2% [16] en Malaisie, alors que l’Indonésie a vu les cas de violence conjugale quintupler [17]. Au Timor oriental, où 59% des femmes ont subi des violences conjugales en 2015, la Covid-19 a exacerbé la vulnérabilité des femmes envers leurs conjoints [18]. De plus, les femmes dans la région ont généralement eu de la difficulté à avoir accès à un médecin [19].
Au Myanmar, les femmes ont été prises avec les « deux C », c’est-à-dire la Covid-19 et le coup d’État [20]. Selon une enquête de 2016, 21% des femmes birmanes avaient déjà été victimes de violence conjugale [21]. Les mesures de confinement menacent l’autonomie financière des femmes et les place dans une situation de dépendance envers leurs conjoints. De plus, depuis le coup d’état du premier février, la junte militaire aurait utilisé de la violence physique, et même sexuelle, comme moyen d’interrogation des femmes militantes qui ont été arrêtées [22]. Ainsi, la double crise amplifie le sentiment de vulnérabilité des femmes birmanes.
Les femmes migrantes, dans la région et à l’étranger [23], se retrouvent particulièrement vulnérables après avoir perdu leur emploi. Elles sont souvent dans l’impossibilité de renter dans leur pays [24], dépendent de leurs conjoints ou employeurs et courent le risque de rencontrer des trafiquants de personnes [25]. La Thaïlande compte plus de 2 millions de migrant.e.s documenté.e.s provenant des pays voisins, dont la moitié sont des femmes [26]. Beaucoup de ces migrantes se sont endettées après avoir perdu leur emploi et ont signé des prêts fixés à 25-30% par les usuriers ou les employeurs [27]. Malgré que le gouvernement ait mis à disposition des fonds d’aide d’urgence aux citoyen.ne.s, les migrantes n’avaient pas nécessairement accès à ces derniers ou n’en étaient pas au courant. Toujours en Thaïlande, les travailleuses du sexe sont également victimes d’une augmentation de la violence [28].
Femmes qui manifestent contre le coup militaire au Myanmar. Source : The Conversation, 21 mai 2021
Pandémie et communauté LGBTQIA+
La communauté LGBTQIA+ fait partie des communautés les plus vulnérables en Asie du Sud-Est, étant donné que Singapour, l’Indonésie, la Malaisie et le Myanmar ont des lois qui pénalisent les relations du même sexe et limitent l’expression de la diversité de genre [29], et que le Brunei fait partie des pays qui pénalisent les relations du même sexe par la peine de mort [30].
Or, la pandémie a empiré la réalité des personnes LGBTQIA+, qui se sont souvent retrouvées enfermées avec des membres de leur famille qui les rejetaient [31]. Aux Philippines, ces personnes ont accès à peu de services de base, 16% ayant un accès limité à de l’eau, 73% ayant un accès limité aux moyens de transport et 56% ayant un accès limité aux soins de santé [32]. En Indonésie, 50 à 60% des femmes transgenres n’ont pas de carte d’identité, une condition préalable à l’octroi d’une aide gouvernementale et à l’obtention des vaccins contre la Covid-19 [33].
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La pandémie a exacerbé les inégalités de genre qui existaient déjà auparavant dans les pays de l’Asie du Sud-Est. Malgré leur rôle essentiel dans les sociétés et économies de la région, les femmes n’ont que peu de ressources pour faire face à la crise sanitaire et économique. Or, l’Observatoire note que la pandémie a exposé le rôle fondamental des femmes, autant socialement qu’économiquement, ce qui pourrait pousser les gouvernements à inclure les secteurs de l’industrie informelle dans les régimes de sécurité sociale [34].
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Avec la collaboration de Kellyane Levac, Alexandre Pelletier, Jean-François Rancourt, Manuel Litalien et Dominique Caouette, de l’Observatoire québécois des droits de la personne.
Légende de la vignette : Manifestation de travailleuses du vêtement au Cambodge après la fermeture de plusieurs manufactures en raison de la Covid-19. Source : ABC News, 15 octobre 2020, https://www.abc.net.au/news/2020-10-16/cambodia-violet-factory-workers-demand-pay-after-coronavirus/12769364