Bulletin d’analyse sur l’Asie de l’Est et du Sud-Est

L’extraction minière philippine : une lutte sans fin ?

jeudi 28 janvier 2021, par Kellyane Levac

Le 20 juin 2019 annonçait l’expiration du permis de la Financial or Technical Assistance Agreement (FTAA) de 25 ans de la compagnie OceanaGold pour sa minière située à Didipio sur l’île de Luçon, à quelque 270 kilomètres au nord de Manille. À la suite de plusieurs violations environnementales et des droits de l’homme, la communauté ainsi que le gouvernement provincial, l’Église catholique et plusieurs organismes non gouvernementaux se sont réunis pour s’opposer au renouvellement du permis et aux activités nocives de la compagnie [1]. Néanmoins, un an est alloué à la compagnie par le gouvernement philippin pour qu’elle puisse poursuivre ses activités pendant la mise en examen de son application, cela malgré la résistance populaire [2]. Est-ce que les lois mises en place favorisent les compagnies irrespectueuses des droits humains ?

Les Philippines, riches en ressources minières et classées mondialement comme deuxième producteur d’or, quatrième pour le cuivre et cinquième pour le nickel, ont décidé d’ouvrir leurs frontières aux investisseurs étrangers avec l’introduction de la Republic Act No. 7942, aussi connue sous la Philippine Mining Act of 1995 [3]. Cet acte, une tentative mise en place pour attirer les investissements étrangers directs et renforcer l’économie fragile du pays, permet aux compagnies minières étrangères de s’établir aux Philippines à la fois sur les terres publiques et privées [4]. Avec cette loi préférentielle, l’acte permet aux investisseurs de détenir 100 % de leur production via la Financial or Technical Assistance Agreements. D’autres incitatifs, tels qu’un congé fiscal de quatre ans et des importations d’équipement en franchise de droits et hors taxes, ont été mis en place pour encourager les investissements étrangers [5].

Néanmoins, cette loi a mené à des violations des droits humains et des normes environnementales de la part de plusieurs compagnies minières ainsi qu’à des réglementations laxistes du côté du gouvernement philippin. Par exemple, l’île de Marinduque, située dans la région de Mimaropa, a connu l’un des pires déversements miniers causé par une fracture dans le tunnel de drainage de la fosse Tapian de Marcopper Mining Corporation, une compagnie canadienne. Le désastre environnemental, survenu en 1996, continue d’affecter la population locale. Les résidents, plus de 10 ans après l’incident, sont toujours dans l’incapacité de consommer et d’utiliser l’eau de la rivière Mogpog en raison de sa contamination [6].

Pour remédier aux règlementations laxistes, tant au niveau gouvernemental qu’à l’échelle corporative, l’introduction des responsabilités sociales des entreprises (RSE) par le secteur privé reconnaît les impacts des minières sur l’environnement et les communautés locales. Ces initiatives volontaires, en partie mises en place pour modifier l’opinion publique des compagnies minières, visent à répondre aux critères demandés par leur permis et à la pression d’organismes non gouvernementaux. De plus, les responsabilités sociales des entreprises attestent des décisions prises par les compagnies pour s’assurer que leur croissance et activités soient durables et dans le respect des acteurs impliqués, ce qui encourage des investissements dans le secteur [7].

Des minières responsables ?

Aux Philippines, deux minières se démarquent pour leurs efforts environnementaux et sociaux, soit la minière Rio Tuba Nickel Mining Corporation (RTNMC) sur l’île de Palawan et Agata Mining Ventures Inc. (AMVI) sur l’île de Mindanao. Récipiendaires de nombreux prix dans les années précédentes, dont le prestigieux Presidential Mineral Industry Environmental Award pour leurs bonnes pratiques en matière de gestion de la sécurité et de la santé, de protection de l’environnement et de développement communautaire, RTNMC et AMVI continuent de figurer parmi les meilleurs lauréats [8].

Site de la minière Rio Tuba Nickel Mining Corporation situé à Palawan, Philippines. Source : John Edison Ubaldo, 2017.

En accord avec la Social Development and Management Program (SDMP) sous la Philippine Mining Act of 1995, toute compagnie minière est dans l’obligation d’implémenter des programmes de développement social pour les communautés touchées par ses activités [9]. Pour cette raison, les responsabilités sociales des entreprises de Rio Tuba Nickel Mining Corporation incluent, entre autres, le soutien à l’enseignement dès le primaire jusqu’au secondaire, ainsi que des logements abordables pour les peuples autochtones [10]. De plus, les programmes mis en place par RTNMC ne sont pas exclusivement axés sur les communautés immédiates, la province de Palawan étant aussi bénéficiaire avec la construction de 13 nouvelles salles de classe et la distribution de 41 ordinateurs iMac à neuf écoles publiques situées dans diverses municipalités [11]. Depuis 2004, quelques 22 barangays (villages) ont pu bénéficier des programmes offerts par la compagnie minière [12].

Dans le cas de Agata Mining Ventures Inc., l’éducation, la santé et les moyens de subsistance durables de ces communautés sont au premier plan de leur agenda. Parmi les initiatives de la compagnie sont incluses la mise en place d’un programme de bourses d’études collégiales pour les bénéficiaires de Subanon CADT avec un total de 81 boursiers, dont 24 diplômés à ce jour, la construction de réseaux d’eau communautaires dans neuf barangays et un programme d’acquisition de compétences et de moyens de subsistance [13].

Des gardes de sécurité bloquent les manifestants anti-mines alors qu’ils tentent d’entrer dans un hôtel où se tient la conférence annuelle des Philippines sur l’exploitation minière à Pasay, dans le Grand Manille en septembre 2017. Source : Reuters, 2017.

Néanmoins, malgré ces mesures exemplaires, plusieurs faiblesses planent au-dessus de l’implémentation des responsabilités sociales des entreprises. Étant donné que les responsabilités sociales des entreprises sont des initiatives volontaires, elles sont principalement créées pour répondre aux intérêts des compagnies et pour faire taire les pressions exercées par les acteurs externes [14]. Aucune loi ne les rend donc responsables si la mise en place des responsabilités sociales des entreprises n’est respectée, l’opinion publique étant la seule force les contraignant à honorer et implanter de telles mesures. De plus, dans le cas des compagnies minières étrangères, telles que OceanaGold, RTNMC et AMVI, les pays hôtes ne tiennent pas responsables les multinationales étrangères pour leurs transgressions et les pays d’origine n’ont souvent pas les moyens politiques nécessaires pour réglementer ou réparer les inconduites de leurs entreprises à l’étranger [15]. Finalement, en dépit des nombreux prix obtenus pour leurs bonnes pratiques, RTNMC et AMVI se sont vus critiqués pour leurs inconduites. À la suite d’une étude menée par des groupes environnementaux, RTNMC s’est vu pointé du doigt en raison de la contamination de la rivière Togupon [16]. AMVI, pour sa part, s’est vu accusé de violence envers les communautés autochtones avoisinantes, une plainte ayant été déposée en 2007 par la communauté Subanon du mont Canatuan où la mine tient ses opérations [17].

Plusieurs efforts ont été mis en place pour répondre aux défis auxquels les communautés à proximité des minières font face, mais les responsabilités sociales des entreprises ainsi que les lois régulant le secteur minier ne sont pas assez rigoureuses pour tenir les compagnies minières fautives responsables. Malgré certains cas positifs, tels que Rio Tuba Nickel Mining Corporation et Agata Mining Ventures Inc., les gouvernements doivent établir des normes et sanctions pour s’assurer que les droits humains et environnementaux soient respectés.

Légende de la vignette : Installation de stockage de résidus miniers de la mine de Didipio appartenant à OceanaGold. Source : OceanaGold, 2019.


[1Sarmiento, Bong et Uwe Parpart, 2020. « Gold mining policy chaos in Philippines » in Asia Times, éd. du 2 mars. Disponible au : https://asiatimes.com/2020/03/gold-mining-in-the-philippines-chaos-and-opportunity/

[2Rappler, 2019. « Environment group hits Oceanagold for operating without gov’t contract » in Rappler, éd. du 24 juin. Disponible au : https://www.rappler.com/nation/233771-oceanagold-license-denr-kalikasan-pne

[3Mines and Geosciences Bureau of Republic of the Philippines, 2019. The Philippines Mineral Industry at A Glance. Manille : Mines and Geosciences Bureau of Republic of the Philippines. Disponible au : http://mgb.gov.ph/attachments/article/162/mining%20facts%20and%20figures%20updated%20March%202019.pdf

[4Republic of the Philippines, 1995. Republic Act No. 7942. Manille : Republic of the Philippines. Disponible au : http://www.mgb.gov.ph/images/stories/RA_7942.pdf

[5Raymundo, Roberto B., 2014. The Philippine Mining Act of 1995 : Is the law sufficient in achieving the goals of output growth, attracting foreign investment, environmental protection and preserving sovereignty ? Manille : DLSU Research Congress. Disponible au : https://www.dlsu.edu.ph/wp-content/uploads/pdf/conferences/research-congress-proceedings/2014/SEE/SEE-III-026-FT.pdf

[6Dizon, Nikko, 2019. « The Marcopper disaster : A tragedy that continues in people’s veins » in Mining Watch.

[7Jenkins, Heledd et Obara, Louise, 2008. « Corporate Social Responsibility (CSR) in the Mining Industry – The Risk Of Community Dependency » in ResearchGate. Disponible au : https://www.researchgate.net/publication/229002791_Corporate_Social_Responsibility_CSR_in_the_mining_industry_-_the_risk_of_community_dependency

[8Mines and Geosciences Bureau of Republic of the Philippines, 2018. PH Mining industry’s finest recognized at the 65th ANMSEC. Manille : Mines and Geosciences Bureau of Republic of the Philippines. Disponible au : http://mgb.gov.ph/2015-05-13-02-02-11/mgb-news/661-ph-mining-industry-s-finest-recognized-at-the-65th-anmsec

[9ASEAN, 2017. Sustainable Minerals Development : Best Practices in ASEAN. Jakarta : ASEAN. Disponible au : https://asean.org/wp-content/uploads/2017/12/Best-Practices-on-Sustainable-Mineral-Development-in-ASEAN_Final.pdf

[10ASEAN, 2017. Sustainable Minerals Development : Best Practices in ASEAN. Jakarta : ASEAN. Disponible au : https://asean.org/wp-content/uploads/2017/12/Best-Practices-on-Sustainable-Mineral-Development-in-ASEAN_Final.pdf

[11ASEAN, 2017. Sustainable Minerals Development : Best Practices in ASEAN. Jakarta : ASEAN. Disponible au : https://asean.org/wp-content/uploads/2017/12/Best-Practices-on-Sustainable-Mineral-Development-in-ASEAN_Final.pdf

[12ASEAN, 2017. Sustainable Minerals Development : Best Practices in ASEAN. Jakarta : ASEAN. Disponible au : https://asean.org/wp-content/uploads/2017/12/Best-Practices-on-Sustainable-Mineral-Development-in-ASEAN_Final.pdf

[13TVI Resource Development Philippines, 2013. Our Responsibility. Manille : TVI Resource Development Philippines. Disponible au : https://tvird.com.ph/.

[14Coumans, Catherine, 2010. « Alternative Accountability Mechanisms and Mining : The Problems of Effective Impunity, Human Rights, and Agency » in Canadian Journal of Development Studies/Revue canadienne d’études du développement 30(1-2) : 27-48.

[15Coumans, Catherine, 2010. « Alternative Accountability Mechanisms and Mining : The Problems of Effective Impunity, Human Rights, and Agency » in Canadian Journal of Development Studies/Revue canadienne d’études du développement 30(1-2) : 27-48.

[16Silverio, Ina Alleco, 2012. « Palawan river poisoned with cancer-causing chemicals- Kalikasan PNE » in Bulalat, éd. du 25 février. Disponible au : https://www.bulatlat.com/2012/02/25/palawan-river-poisoned-with-cancer-causing-chemicals-kalikasan-pne/

[17Doyle, Cathal et Carino, Jill, 2013. Free Prior and Informed Consent in the Philippines - Regulation and reality. Boston : OXFAM America Briefing Paper. Disponible au : https://www.oxfamamerica.org/static/media/files/fpic-in-the-philippines-september-2013.pdf

Diplômée au baccalauréat de l'université McGill en développement international et détentrice d'une maîtrise en science politique de l'Université de Montréal, Kellyane poursuit ses études en environnement minier pour mieux comprendre les enjeux dont font face les communautés autochtones tant au Canada qu'à l'étranger. Ses recherches portent principalement sur la gouvernance environnementale chez les peuples autochtones ainsi que sur le rôle des femmes dans les sociétés d'Asie du Sud-Est.

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