- Carte des Philippines. Crédits : http://www.allonneau.com/blog/philippines/public/images/Philippines-carte2.jpg
Tout comme pour plusieurs États de l’Asie du Sud-Est, les Philippines sont depuis l’époque précoloniale aux prises avec des rapports complexes entre le centre et la périphérie, qui impliquent un certain nombre d’intérêts divergents entre les différentes strates de gouvernement [4]. L’importance de cette dynamique est particulièrement observable sur les questions d’accès aux ressources [5] autour desquelles il existe de véritables réseaux clientélistes entre les autorités locales et certains entrepreneurs et investisseurs par l’entremise d’arrangements extra-légaux aux bénéfices mutuels et souvent contraire à une territorialisation planifiée par les gouvernements centraux. Pour plusieurs, il s’agit ici de l’une des manifestations les plus évidentes d’une faiblesse généralisée des institutions sur le terrain et du décalage entre l’élaboration hiérarchique de politiques de gestion des ressources naturelles et leur application sur le terrain, en particulier dans la périphérie [6]
D’autres observent que les agendas de conservation et de gestion des ressources naturelles promus par les organisations paysannes et environnementales auprès des différents paliers de gouvernement divergent et sont souvent contradictoires. Ce sont souvent les impacts environnementaux nocifs des exploitations minières qui sont les plus dénoncés, ainsi que l’absence de processus de réhabilitation de l’environnement à la suite de la fermeture de mines. La diversité des agendas et des stratégies prônées font en sorte que ces organisations se retrouvent imbriquées dans des systèmes d’alliance qui les mettent parfois en opposition les unes avec les autres [7], y compris lorsque les formes de résistance des populations sont moins virulentes, comme dans les régions où les risques de répression sont plus élevés [8].
- Narra, sur l’île de Palawan. Source : https://upload.wikimedia.org/wikipedia/commons/8/83/Ph_locator_palawan_narra.png
L’île de Palawan, souvent présentée comme un modèle de gestion écologique durable avec ses espaces de conservations, parcs et réserves aquatiques, est aussi prisée par une panoplie d’entreprises minières. Au cours des années, celles-ci ont parfois utilisé, parfois contourné différents règlements et lois, mais ont aussi eu recours à des stratégies de fusion, de dé-fusion et de coentreprises (joint ventures) pour maximiser l’accès aux ressources minérales. C’est le cas de la municipalité de Narra, située dans le sud de l’île où, depuis les années 1970, différentes compagnies minières opèrent des sites d’extraction de Nickel. L’histoire de la communauté de San Isidro illustre bien les paradoxes de ce type de développement.
Dès 1971, la compagnie Olympic Mines and Development obtient des droits d’exploitation sur plus de 2 100 hectares sillonnant la communauté de San Isidro. Suite à l’établissement d’une entente de partenariat signée en 2003, Olympic transfert l’exclusivité de ses droits à l’entreprise Platinum Group Metal Corporation, qui devient responsable de l’exploitation des mines Toronto Nickel Mines et Pulot Nickel Mines. Dès lors, les deux minières convoitent un permis d’exploitation à petite échelle, lequel restreint les opérations sous la barre des 50 000 tonnes d’extraction annuelle sur une surface maximale de 20 hectares. Confrontées aux nouvelles politiques de zonage pour la protection environnementale des zones considérées critiques, Platinum et Olympic bénéficient alors de l’appui de la mairesse de l’époque (en fait, le même couple détient le pouvoir municipal depuis 1998), laquelle consent à la reclassification du territoire, ce qui permettra aux minières d’obtenir, en 2004, deux permis distincts d’exploitation sur une zone initialement jugée critique. Après deux ans d’activité, le Secrétaire de l’Environnement ordonnera, en septembre 2006, l’arrêt des opérations après que le Bureau de la gestion environnementale ait constaté que la compagnie avait extrait près de 287 770 tonnes de minerais, soit cinq fois plus que la limite permise.
- Narra-Palawan – Tiger Municipality. Crédits : http://www.narra-palawan.com/wp-content/uploads/2015/01/narra-trademark-logo.jpg
Dès octobre 2006, la compagnie Olympic annule unilatéralement son entente avec Platinum et transfère ses droits d’exploitation à la Citinickel Mines. S’en suivra une longue saga juridique, au cours de laquelle la compagnie obtient un permis d’exploitation minière industrielle sous l’égide du Mineral Production Sharing Agreement (MPSA), un permis normalement valide pour une durée de 25 ans. Au même moment, une bataille bureaucratique prend place entre le Secrétaire à l’Environnement Reyes et le secrétaire exécutif et porte-parole de la présidente Gloria Macapal, une fervente alliée du secteur minier, qui permettra de prolonger temporairement les activités de Platinum jusqu’en 2008. A la suite d’une entente négociée entre Platinum et Citinickel, cette dernière entame les premières opérations extractives de grande échelle dans la région trois ans plus tard, soit en mars 2011. Cependant, dans les 16 mois qui suivent, elle est forcée d’interrompre les opérations suite à un déversement de résidus miniers sur des terres agricoles d’une superficie de 6,8has. Après avoir versé une compensation totale de 513 745 pesos philippins (environ 13 000$), soit l’équivalent de 2,7% de ces profits nets pour 2011 [9], la compagnie reprend ses opérations en 2014.
- Programmes de Scholarships. Crédits : Citinickel Mines and Development Corportation, n.d. Fourth Quarter Social Development and Management Program (SDMP) 2014 - Accomplishment Report for Narra, Narra : Présentation non publiée : p.10.
Tant la complexité juridique que l’enchevêtrement des liens et des litiges légaux entre les entreprises et les liens avec l’appareil politique rendent difficiles l’organisation et surtout la mise en place d’un moratoire sur les exploitations minières à grande échelle dans la municipalité. Ce passage d’une exploitation à petite échelle à une exploitation industrielle, malgré l’opposition de certains villageois et de groupes environnementalistes, révèle la malléabilité des lois, l’importance des liens d’affaires avec les autorités locales, et aussi comment un cadre juridique, qui exige pourtant l’acceptabilité sociale, se révèle peu contraignant face aux intérêts économiques en jeu. Ceux-ci arrivent à exercer une grande influence sur les autorités municipales et même provinciales pour qui ces entreprises sont sources de revenus tant publics que privés. Encore aujourd’hui, force est de constater que les zones périphériques constituent toujours des espaces d’appropriation de ressources caractérisés par des logiques prédatrices tout aussi puissantes que diffuses auxquelles les discours sur la bonne gouvernance, la responsabilité sociale des entreprises, et le développement durable ne semblent avoir que peu d’emprise.
Crédits (photo de couverture) : Un chantier sur l’île de Palawan. Source : CM Pancho Construction http://www.cmpancho.com/abts_visionstatement.asp