L’introduction du consumérisme dans l’art et la promotion des « images du Japon » comme expression du soft power [4] japonais apparaissent sous l’impulsion de l’artiste Murakami Takashi (1962-) et du mouvement Superflat [5] qu’il a initié. L’art est alors considéré comme une marque, que l’on consomme à travers de nombreux objets dérivés [6]. Le mouvement Superflat permet au Japon de propulser l’art contemporain japonais sur le devant de la scène artistique mondiale dès la fin des années 1990.
- Takashi Murakami, Tate Modern de Londres, 2009. Crédits : DANIEL DEME/EPA/SIPA.
Cependant, après plus d’une décennie de monopole, ces images du « Cool Japan », exportées à travers le monde entier, finissent par lasser le public, notamment en raison d’un écart considérable avec la réalité sociale [7]. Dès 2010, une autre tendance artistique, plus revendicatrice, marginalisée et peu connue à l’étranger, émerge doucement. Un certain nombre d’artistes, vivant jusqu’alors dans l’ombre de Murakami et du mouvement Superflat, commencent à se démarquer autant d’un point de vue esthétique que thématique. À travers des œuvres provocatrices et politisées, la nouvelle génération d’artistes attire une attention grandissante.
L’année 2011 est décisive dans cette évolution artistique. Dans un premier temps, l’exposition « Bye Bye Kitty » [8] à la Japan Society de New York, décide de ne pas exposer d’artistes appartenant au mouvement Superflat [9], afin de mettre en avant cette nouvelle garde de l’art contemporain japonais. L’exposition amorce une transition du « Cool Japan » vers un art plus contestataire. Selon le commissaire de l’exposition, David Elliott [10], le Superflat a su faire connaître l’art contemporain japonais à l’étranger mais a véhiculé une image erronée, superficielle et infantilisante de la société japonaise. La transition vers un art plus proche du réel peut et doit maintenant être entreprise. Dans un second temps, suite à la « catastrophe du 3/11 » à Fukushima, l’intérêt du public, des collectionneurs et des institutions s’oriente de plus en plus vers un art engagé et politique, délaissant l’art consumériste du Superflat jugé, dans le contexte de l’actualité japonaise, trop superficiel [11]. C’est ainsi que l’image du « Cool Japan » conçue pour l’exportation est mise de côté au profit d’un questionnement du rôle de l’État dans l’incident nucléaire.
Le collectif Chim Pom, influencé par l’artiste controversé Aida Makoto, est l’un des groupes les plus provocateurs à ce jour. Il a d’abord marqué les esprits en apposant illégalement un dessin dans le métro japonais en mai 2011, sur la fresque Myth of tomorrow (1968) de l’artiste Okamoto Taro. L’œuvre initiale, installée en 2008, dépeignait les effets de la bombe atomique et les retombées radioactives qui ont contaminé le bateau Lucky Dragon le 1er mars 1954. Le collectif a ajouté au coin inférieur droit de l’œuvre un dessin représentant les centrales fumantes de Fukushima, dans le même style que la fresque d’Okamoto. Ils intitulèrent leur œuvre Level 7 (2011) en référence au niveau 7, le plus haut sur l’échelle de gravité des catastrophes nucléaires.
- Chim↑Pom a apposé "LEVEL 7 feat. ’Asu no Shinwa’" en 2011 dans le coin droit de la fresque "Myth of Tomorrow" (1968) de Okamoto Taro, dans le métro de Tokyo. Crédits : Chim↑Pom, gracieuseté de Mujin-to Production, Tokyo.
- "LEVEL7 feat. ’Asu no Shinwa’", 2011. Crédits : Chim↑Pom. Gracieuseté de Mujin-to Production, Tokyo.
La nouvelle vague d’artistes post-Fukushima cherche à représenter par ses créations les doutes, la tristesse et les déceptions du peuple japonais face à la nucléarisation du pays. Chaque artiste prend position, sans tabou, et se fait l’opérateur du corps social. En plus de Chim Pom, l’artiste Ikeda Manabu, par son œuvre Meltdown (2012), dépeint les impacts écologiques des centrales nucléaires. Aida Makoto montre quant à lui les effets sociaux de la catastrophe de Fukushima dans l’œuvre monumentale Monument to Nothing IV (2012), en superposant de nombreux tweets en réaction à la catastrophe. Aujourd’hui, il paraît important de se questionner sur le rôle de porte-parole du peuple que l’artiste incarne désormais au Japon.
- Manabu Ikeda, “Meltdown” (2013). Crédits : IKEDA Manabu, gracieuseté de la Mizuma Art Gallery.
- Aida Makoto, "Monument for Nothing IV" (2012) ; acrylique, papier sur bois, boulon de bois. 570 x 750 cm. Gracieuseté de la Mizuma Art Gallery. Crédits (photo) : Osamu Watanabe, gracieusté du Mori Art Museum, Tokyo.
Légende (photo de couverture) : "REAL TIMES", 2011. Par le collectif Chim↑Pom.
Crédits (photo de couverture) : Chim↑Pom, gracieuseté de Mujin-to Production, Tokyo.