- L’immeuble Rana Plaza s’est effondré en avril 2013. Crédits : Rijans, CC BY-SA 2.0.
D’un point de vue économique, l’industrie du vêtement est pour le Bangladesh un succès sans précédent. À la fin des années 1970, les compagnies multinationales ont procédé à la relocalisation de leur production dans les pays en voie de développement afin de maximiser leurs profits [3]. Le Bangladesh était un compétiteur de taille face aux autres pays, avec le salaire minimum le plus bas et une main d’œuvre abondante [4]. Depuis, cette industrie a enregistré une croissance spectaculaire et le Bangladesh est aujourd’hui le deuxième plus important exportateur de vêtements au monde [5]. Il s’agit du cœur de son économie, représentant 80% de ses exportations et employant 4 millions de travailleurs, répartis dans 5600 usines [6]. Les femmes ont été et sont encore aujourd’hui la force motrice de cette industrie puisqu’elles représentent 85% de la main d’œuvre employée [7].
Toutefois, la situation est critique pour ces travailleuses. Depuis les débuts de l’industrie du vêtement au Bangladesh, de graves accidents industriels ont secoué ce secteur et représentent une menace constante. Cela est principalement dû au fait que les immeubles abritant les usines n’ont pas été construits à cette fin [8]. En plus des défaillances au plan de la sécurité, les salaires sont insuffisants pour subvenir aux besoins des familles et les conditions de travail sont souvent déplorables [9] : journées de travail de douze à quatorze heures, harcèlement verbal, physique ou sexuel par le personnel de gestion ou les superviseurs, fabriques surpeuplées, mal ventilées et humides causant divers problèmes de santé, etc.
Plusieurs éléments entrent en ligne de compte lorsqu’il s’agit de déterminer la cause des piètres conditions de travail. Il existe une intense compétition internationale entre les propriétaires d’usines pour obtenir les contrats des multinationales. Afin de rester compétitifs, les fabricants bangladais réduisent leurs coûts et offrent une grande efficacité de production, mais cela est accompli aux dépens des travailleuses [10]. Ce n’est toutefois pas dans ces usines, qui contractent directement avec les multinationales, que les conditions sont les plus déplorables, mais dans les usines sous-contractantes, telles celles qu’abritait le Rana Plaza. Ces dernières obtiennent des contrats des plus grosses usines lorsqu’elles sont surchargées [11]. Comme elles ne reçoivent pas la visite d’inspecteurs mandatés par les multinationales, elles ont encore moins à se soucier de se conformer aux normes du travail. Bien que les multinationales sachent que les usines avec lesquelles elles signent des contrats ont recours à la sous-traitance pour rencontrer les délais serrés qu’elles leur imposent, elles n’assument pas de responsabilité quant aux conditions de travail dans les usines sous-contractantes.
Le gouvernement du Bangladesh est aussi à mettre en cause. Puisque la quasi-totalité de ses membres bénéficient directement ou indirectement de cette industrie, plusieurs étant eux-mêmes propriétaires d’usines, la volonté politique de mettre en application la loi sur les normes du travail [12] est faible [13].
- Les familles des victimes suite à l’effondrement du Rana Plaza espèrent retrouver leurs proches portés disparus. Crédits : Modowymaniak, CC BY 2.0.
Après l’effondrement du Rana Plaza et face au scandale mondial qu’il a suscité, des initiatives juridiques ont été prises afin d’améliorer la sécurité et les conditions de travail dans les usines de vêtements au Bangladesh. Le gouvernement a adopté un plan d’action pour la sécurité en matière d’incendie et d’intégrité structurale [14], ainsi qu’un programme en collaboration avec l’Organisation Internationale du Travail afin d’améliorer les conditions de travail en général [15]. Des amendements ont été apportés à la loi du travail [16] et le salaire minimum a augmenté [17]. Les multinationales européennes ont signé un accord [18] et les multinationales nord-américaines ont opté pour la création d’une alliance [19], les deux mécanismes visant à améliorer la sécurité des usines.
De façon générale, ces initiatives pourraient permettre d’améliorer la sécurité dans les usines. L’accord entre les multinationales européennes a cependant un meilleur potentiel de succès que l’alliance des multinationales nord-américaines, puisqu’il est juridiquement contraignant et qu’il a été rédigé en collaboration avec les syndicats locaux, lesquels sont aussi impliqués dans sa mise en œuvre [20]. En ce qui a trait aux amendements apportés à la loi du travail, ils sont plutôt superficiels. Toutefois, le problème ne concerne pas tellement la loi "sur papier", qui est déjà substantielle, mais sa mise en œuvre. Si seulement 50% de cette loi était appliquée, ce serait déjà une révolution pour l’industrie. Quant à la hausse salariale, elle est insuffisante. Les salaires demeurent trop bas pour permettre aux travailleuses de subvenir à leurs besoins et ceux de leur famille.
Le Rana Plaza est une terrible tragédie, mais après m’être rendue à Dacca et avoir discuté avec des travailleuses, des dirigeants syndicaux et d’ONG, j’ai pu constater que la plupart ont espoir et voient cela comme une opportunité d’être entendus et d’améliorer leur condition. Les emplois créés par l’industrie du vêtement et l’entrée massive des femmes sur le marché formel du travail représentent une avancée positive vers leur émancipation et leur autonomisation [21]. Lorsqu’interrogées, les travailleuses affirment qu’elles veulent ces emplois, mais qu’elles souhaitent travailler dans la dignité. Reste maintenant à voir si les réponses juridiques qui ont suivi l’effondrement du Rana Plaza permettront d’améliorer en pratique leurs conditions de travail et la sécurité des usines. Mais alors que déjà un an s’est écoulé depuis cette catastrophe, les démarches entreprises par les multinationales et le gouvernement n’en sont encore qu’au stade préliminaire et les résultats se font toujours attendre.
Crédits (photo de couverture) : Clean Clothes Campaign. Source : http://thefableists.wordpress.com/2013/11/14/what-is-a-sweatshop/.