La croissance économique a façonné différemment les destins des régions rurales et urbaines en Chine, la pauvreté et la dureté de la vie rurale déterminant des millions de paysans à se diriger vers les villes industrialisées. Les métropoles attirent, par la demande grandissante de main d’œuvre, les travailleurs migrants, qui y arrivent dans l’espoir d’une vie meilleure. Le lourd prix à payer consiste en des millions d’enfants laissés derrière dans les villages, qui vivent dans des conditions précaires, sans opportunités futures ni éducation adéquate. Mis à part l’écart de développement entre les régions rurales et urbaines, les politiques publiques discriminatoires (dont le système d’enregistrement des ménages en fonction du lieu d’origine [Hukou]) réservées aux migrants ruraux dans les villes et le système d’éducation sont des facteurs majeurs qui influencent ce phénomène [2].
On compte actuellement en Chine environ 61 millions d’enfants laissés derrière [3], dont le nombre augmente et les besoins s’alourdissent, étant localisés majoritairement (55,8 % du total) dans les zones moins développées économiquement de l’Ouest et du Centre du pays [4].
- Échelle de la population des enfants laissés derrière en Chine.
Source : ACWF, 2013. « Research Report on Situation of China’s Rural Left-behind Children and Urban and Rural Migrant Children ».
- Distribution géographique des enfants laissés derrière en Chine.
Source : ACWF, 2013. « Research Report on Situation of China’s Rural Left-behind Children and Urban and Rural Migrant Children ».
Un tiers du total des enfants ruraux vit sans la supervision des parents, 10 % n’ayant que de brefs contacts avec eux [5]. Un quart d’entre eux vivent sous le seuil de pauvreté de 1,6 dollars par jour [6] et 3,37 % habitent seules [7]. Pour beaucoup d’entre eux, qui vivent sans parents dès l’âge préscolaire, l’impact négatif sur leur développement psychologique, social, cognitif et scolaire est majeur. Certains enfants abandonnés en viennent à se suicider ou sont victimes d’abus [8]. « Environ 60 % des jeunes en Chine grandissent dans des zones rurales appauvries, et des recherches récentes suggèrent que, par rapport à leurs homologues urbains, ils sont plus susceptibles d’échouer dès le départ en matière d’éducation et d’opportunités futures » (notre traduction) [9].
Dans ce contexte, les parents migrants attachent une grande importance à l’éducation, qu’ils financent et privilégient comme stratégie pour assurer l’avenir de leurs enfants, exigeant en retour la réussite scolaire. La littérature montre que l’argent envoyé par les parents migrants n’influence pas la performance scolaire et ne compense que partiellement les conséquences négatives de la séparation [10]. Plus encore, l’effet peut être contraire. L’enfant commençant à apprécier davantage la valeur de l’argent que celle des études, il est peut être amené à quitter l’école, préférant le travail [11].
En Chine, la loi prévoit 9 ans de scolarisation obligatoire gratuite. Mais la gratuité n’est pas garantie dans les régions rurales, où les dépenses pour la scolarité sont plus élevées que dans les villes, bien que le revenu disponible, par ménage rural, ne représente qu’un tiers de celui d’une famille urbaine [12]. De plus, les écoles rurales font face à de multiples difficultés. Sans ressources et débordées d’enfants abandonnés, elles ne peuvent pas fournir un enseignement de qualité. L’absence d’opportunités et la précarité des conditions de travail rendent difficile la rétention des enseignants qualifiés dans les régions rurales [13]. Comme conséquence, les écoles en viennent parfois à fermer, faisant place aux pensionnats d’État, éloignés des villages et difficilement accessibles aux élèves.
- Deux enfants laissés derrière suivent leur enseignant à l’école,
dans une région montagneuse de la province de Jiangxi.
Source : China Daily, dans ACWF, 2016. Voir : http://www.womenofchina.cn/womenofchina/html1/opinion/1606/450-1.htm.
Souvent confiés aux grands-parents illettrés, pauvres et surchargés de responsabilités, les jeunes ne bénéficient pas d’aide aux devoirs. Eux-mêmes accablés par des corvées domestiques, ils se démotivent et délaissent les études, la majorité des abandons scolaires en Chine provenant des régions rurales [14].
- Enfants laissés derrière à Anshun, réalisant des tâches ménagères.
Source : Mailonline, par Dave Burke. Publié le 16 février 2017
http://www.dailymail.co.uk/news/article-4231478/China-s-left-children-deserted-parents.html.
Les chances de réussite des enfants laissés derrière sont encore plus minces si on considère l’écart de performance entre les écoles rurales et les écoles urbaines.
Pour ceux qui suivent leurs parents dans les villes, les politiques discriminatoires réservées aux Mingong sont un obstacle majeur à leur éducation. « Sous le double mécanisme de l’exclusion visible et de la discrimination invisible, le niveau de scolarité et l’avenir des enfants migrants ne peuvent être qu’un processus continu d’inégalité […] » (notre traduction). C’est pourquoi il est essentiel de renforcer légalement l’élimination dans les écoles des pratiques discriminatoires basées sur le Hukou [15]. L’accès des enfants migrants dans les écoles urbaines est inégale, limité et sans gratuité ni avantages sociaux [16]. Discriminés, les élèves sont regroupés dans des écoles réservées aux migrants d’origine rurale [17]. À ceux qui y sont admis, on exige des frais additionnels. Ces obstacles, auxquels on ajoute l’impossibilité des parents de les surveiller à cause des longues heures de travail et l’incertitude d’une source constante de revenu, sont les raisons pour lesquelles les Mingong laissent leurs enfants dans leur village d’origine [18].
La Chine a initié en 2010 le Plan national de réforme et développement de l’éducation à moyen et à long terme sur 10 ans, axé sur la modernisation de l’enseignement. Il prévoit la mise en place d’un système d’éducation commun, pour les régions rurales et urbaines, afin de diminuer les inégalités scolaires [19]. Pourtant, l’admission des enfants migrants dans les écoles urbaines reste tributaire au système d’enregistrement résidentiel, Hukou. L’impossibilité des enfants laissés derrière d’accéder aux écoles urbaines contribue à l’augmentation de leur nombre dans les villages [20]. « Compte tenu de ce contexte, les enfants des travailleurs migrants ont été largement désavantagés, qu’il s’agisse d’enfants migrants dans les villes urbaines ou d’enfants laissés dans les zones rurales » (notre traduction) [21].
Un pas prometteur a été fait, en décembre 2014, quand le Bureau des affaires juridiques du Conseil d’État a proposé l’allégement du Hukou dans les petites villes [22]. Le gouvernement prévoit également créer un système d’enregistrement résidentiel plus souple, d’ici 2020, qui permettra aux Mingong de jouir des avantages sociaux dans les villes où ils travaillent [23].
Résoudre le problème des enfants laissés derrière réclame un engagement ferme pour protéger le droit à l’éducation des plus démunis. Cela nécessite également des réformes coordonnées de l’éducation, du travail et de l’habitation, afin de reconnaître aux Mingong le statut de citoyen urbain, là où ils travaillent. Mais, les reformes progressives et partielles restent inefficaces face au rythme de développement du pays et au nombre croissant des Mingong, continuant de laisser derrière des millions d’enfants, dont les perspectives restent incertaines.
Image de couverture : Enfants laissés derrière, dans la provence de Hunan.
Source : Horace, 29 octobre 2011. One Step Closer. Lien : https://horace0714.wordpress.com/2011/10/29/children-left-behind-by-chinas-modernization/.
Messages
1. Enfants oubliés entre villes et ruralité en Chine, 6 décembre 2017, 15:17, par Constantin Calistru
Bravo Raluca !
J’aime ton approche humanitaire !