L’élection d’avril 2019 s’est terminée avec la victoire du Parti démocratique indonésien de lutte de Jokowi ou PDIP (gauche) contre Prabowo Subianto du parti Gerindra (droite), qui ont obtenu respectivement 55,5% et 44,5% des voix du peuple indonésien [2]. Avec un taux d’abstention de 18%, en constante baisse depuis 2004 [3], il est possible de constater une plus grande volonté des Indonésiens à participer à la vie politique.
Lors d’une élection en Indonésie, les citoyens choisissent, en votant 1 ou 2, un futur président accompagné d’un vice-président (Ma’ruf Amin pour Jokowi, ouléma et chef de la plus grande organisation islamiste du pays Nahdlatul Ulalama). Il est alors courant en période de campagne de voir les dirigeants politiques et les citoyens faire en public le signe 1 ou 2 avec leurs doigts pour montrer leur positionnement politique. À la suite de l’annonce des résultats de la victoire du président sortant Jokowi, des manifestations parfois violentes ont éclaté après que Prabowo eut déclaré le résultat faussé [4]. Malgré cela, ce dernier rejoint le nouveau gouvernement de Jokowi en tant que ministre de la Défense quelques temps plus tard [5] en vue de former une coalition gouvernementale.
Bulletin de vote
Jokowi et Prabowo (de gauche à droite)
Cap sur 2024
L’élection de 2024 sera globalement de la même veine. La grande nouveauté résidera dans la nature des principaux concurrents. Jokowi ne se représentant pas, son successeur pour le PDIP (gauche) semble être Ganjar Pranowo. Bien qu’il ne le soit pas encore officiellement, sa popularité dans les sondages poussera la cheffe du parti, Megawati Sukarnoputri, à le nommer candidat. Face à lui, Anies Baswedan concourra pour le Parti national démocrate ou Nasdem (centre-gauche) et Prabowo Subianto sera en course pour une 3e élection présidentielle pour le parti Gerindra (droite) [6].
Ganjar, Anies et Prabowo (de gauche à droite)
Cœur économique et politique du pays, l’île de Java est essentielle dans l’élection car elle représente 56% de la population totale et 58% des votants. L’archipel étant historiquement centralisé autour de Java, des divisions existent entre ceux qui souhaitent décentraliser l’archipel et ceux qui refusent. Les débats autour du déplacement de la nouvelle capitale dans la région de Kalimantan ces dernières années entraient d’ailleurs dans ce contexte.
Vivant généralement sur d’autres îles, il ne faut pas oublier le rôle des minorités religieuses (environ 15% de la population totale) comme les Hindous à Bali ou les Protestants en Papua qui donnent généralement leur voix à un candidat de gauche comme Ganjar [7]. Un clivage politique peut d’ailleurs généralement être observé entre certains citoyens de confession musulmane qui souhaitent que l’islam ait plus d’importance dans les politiques de l’État (votant plutôt Prabowo) et d’autres Indonésiens venant soit de minorités religieuses, soit davantage laïques ou sécularisés, qui votent davantage pour Ganjar ou Anies.
Journée d’élection présidentielle à Pontianak (Kalimantan) en 2019 (auteur, 2019).
Par ailleurs, l’Indonésie suit depuis 1998 un processus de développement économique important. Bien que les inégalités augmentent, de nombreux Indonésiens sortent tous les jours de l’extrême pauvreté [8]. Le projet socio-économique (croissance, emplois, santé, lutte contre la corruption…) des candidats en vue de poursuivre ce processus a alors de nos jours un poids important dans le vote des citoyens. Alors que le parti de Jokowi et de Ganjar (PDIP) a tissé des liens étroits avec la Chine ces dernières années et a ouvert le pays au capitalisme mondial, le parti d’Anies (Nasdem) met davantage en avant la « souveraineté économique » [9]. Prabowo, de son côté, a dans le passé beaucoup critiqué les projets économiques de Jokowi et a tendance à soutenir les paysans et les artisans, mais son projet reste relativement flou.
Un scénario qui se dessine
Bien qu’il existe encore beaucoup de temps en vue de la victoire finale et de discussions entre les chefs des partis en vue de former une coalition, un scénario commence à se dessiner. Un article du Jakarta Post du 26 décembre 2022 donne le possible vainqueur. L’article met en avant un sondage réalisé par Polltracking indiquant que Anies (centre-gauche) et Ganjar (gauche) arriverait au second tour durant lequel, selon une étude du Centre pour les études stratégiques et internationales (CSIS), les électeurs de Prabowo (droite) se tourneraient majoritairement vers Anies. Ce dernier, candidat du Parti national démocrate (Nasdem), deviendrait alors le nouveau président de la République d’Indonésie [10]. Anies et le Nasdem semblent être une synthèse des projets de Ganjar et de Prabowo. D’un côté, le Nasdem remet en partie en cause l’ouverture économique et culturelle au monde de Jokowi et du PDIP, mais d’un autre côté se bat contre l’autoritarisme et ne souhaite pas plus d’influence de l’islam dans les politiques de l’État, au contraire de Prabowo [11]. Les principaux changements que pourraient connaître l’Indonésie sous Anies sont alors un plus grand protectionnisme économique et culturel, incluant un certain éloignement de la Chine. Dans un contexte de lutte entre les grandes puissances en Asie du Sud-Est, principalement entre les États-Unis et la Chine, l’élection d’Anies signifie-t-elle un désir de l’Indonésie de se dissocier de ces rivalités stratégiques ?