Bulletin d’analyse sur l’Asie de l’Est et du Sud-Est

Droits de la personne, minorités ethniques et Asie du Sud-Est

jeudi 7 avril 2022, par Kellyane Levac, Manuel Litalien

L’Asie du Sud-Est est une des régions les plus ethniquement diversifiées au monde où l’on trouve fréquemment des tensions entre identité nationale, régionale, communautaire et religieuse. [1] Les raisons des hostilités et des abus des droits de la personne sont complexes : légitimité de l’État, désir d’autodétermination, politique de discrimination, inégalités sociales, programmes de développement et intégrisme religieux.

La pandémie n’a certes pas dissipé cette méfiance politique face aux minorités [2], elle l’a plutôt intensifiée, résultat de problèmes historiques et structurels préexistants. Le rapport annuel d’Amnesty (2020/21) est révélateur puisque la violence à l’encontre des minorités ethniques et religieuses en Asie du Sud-Est a augmenté pendant le confinement [3].

Loin d’être exhaustif sur cet épineux sujet des droits de la personne, minorités ethniques et Asie du Sud-Est, l’Observatoire des droits de la personne du Cérium fait un bref et succinct tour d’horizon à travers diverses thématiques.

Liberté d’expression et minorités ethniques

L’Asie Pacifique détient le record du « plus grand nombre de prédateurs de la liberté de presse » au monde [4]. La pandémie n’a pas amélioré cette réalité puisque l’accès à l’information est devenu difficile pour les groupes minoritaires, car sous le prétexte de sanctionner la « désinformation », certains gouvernements intensifient une répression du droit à la liberté d’expression, d’association et de réunion (Thaïlande, Malaisie, Myanmar, Philippines) [5].

Droits des LGBTQ+ et Asie du Sud-Est

La répression touche les populations LGBTQ+. Au Vietnam, les étudiants de cette communauté sont victimes d’intimidation et de menaces, même si le gouvernement tolère le mouvement [6]. Aux Philippines, la communauté LGBTQ+ est confrontée à la discrimination policière et au manque de législation. En Malaisie et en Indonésie, la discrimination et les persécutions sont sévères [7]. La Covid-19 a davantage accentué cette ségrégation sociale.

Traite humaine, trafic d’organes et minorité ethnique

De manière générale, les groupes minoritaires sont plus susceptibles d’être victimes de la traite humaine à cause de leur statut social précaire (apatride, pauvreté, faible niveau d’éducation) [8]. Selon Caballero-Anthony, les deux tiers du marché mondial se situent en Asie de l’Est et du Pacifique, ce qui représente plus de 25 millions de personnes [9]. De plus, les minorités ethniques sont vulnérables à la traite humaine dans les zones de conflits (Myanmar, Philippines). Désespérés, pour subvenir à leurs besoins, certains groupes se tournent parfois vers le don d’organe.

Pandémie, migration, réfugiés et droits de la personne

Plusieurs groupes de travailleurs migrants sont constitués de minorités ethniques cherchant à améliorer leur situation [10]. Les raisons de leurs déplacements sont multiples : économiques (manque d’opportunités, pauvreté), politiques (répression, trafic humain, conflits armés, instabilité politique, expropriations), environnementales (désastres naturels, inondations), sociales et personnelles (qualité de vie, voyages, relations, familles) [11]. Vivant souvent déjà dans des conditions précaires (absence de protection juridique ou de services sociaux), la pandémie n’a guère amélioré leur sort. Dans certains cas, ils ont été privés d’un accès à des soins de santé adéquats, victimes des contraintes sanitaires nationales limitant leur accès au travail et ont manqué de mesures d’hygiène appropriées à leur emploi pour se protéger contre la COVID (Singapour, Thaïlande, Myanmar).

Politiques de développement et minorités ethniques

Les programmes de développement sont également la source d’hostilités pour les communautés montagnardes ou autochtones, car leurs impacts environnementaux sont importants. Ces programmes menacent souvent l’intégrité et l’accès au territoire ancestral [12]. Difficile dans ces conditions de concilier ambitions économiques, transition énergétique, sécurité nationale et minorités ethniques (Chine, Thaïlande, Myanmar, Cambodge, Laos, Malaisie, Philippines).

Site de construction du controversé barrage Bengoh, Sarawak, Malaisie, juin 2008. La photo est une courtoisie de ©Andrew Garton, Flickr

Minorités religieuses et discriminations

La pandémie accentue le sentiment antipathique envers certains groupes de profession religieuse différente. Notons les Cham musulmans au Cambodge et au Viêt Nam. Human Rights Watch rapporte aussi l’adoption d’un discours haineux antimusulman au Myanmar et en Thaïlande [13].

Conflits et minorité ethnique

Une des conséquences des conflits ethniques est un flot de réfugiés dans les pays avoisinants qui soulève souvent les passions et force parfois la déportation ou crée des tensions politiques. Cette situation constitue un véritable défi diplomatique pour l’Association des Nations de l’Asie du Sud-Est qui adhère au principe de non-ingérence. Soulignons le cas notoire de la Thaïlande qui accueille depuis plus de 30 ans des réfugiés issus de groupes minoritaires du Myanmar [14].

Femme Kayan (Padaung Karen), Mae Hong Son, nord de la Thaïlande. La Photo est une courtoisie de ©Songwit Chuamsakul, Ph. D.

Jeune fille Karen pêchant pour survivre, nord de la Thaïlande. La photo est une courtoisie de ©Songwit Chuamsakul, Ph. D.

Citoyenneté et minorités ethniques

Les minorités ethniques ont parfois un statut d’apatrides ou encore de citoyens de seconde classe dans la région. Les exclusions sont nombreuses comme le droit de vote et le droit à la détention de terre. Cette discrimination a pour conséquence de réduire ou encore d’enlever leur accès à l’éducation, au système de santé et à des opportunités d’emplois. Pour plusieurs tribus montagnardes, elles se voient également limitées dans leurs déplacements et leurs accès aux services publics.

Cette femme détient une carte confirmant qu’elle n’a pas de carte d’identité. Plusieurs groupes ethniques minoritaires n’en possèdent pas en Thaïlande, limitant ainsi leur mobilité au royaume et leur accès aux services sociaux tels que l’éducation, le système de santé, ou l’accès à un emploi. Ils sont également privés du droit de vote, de prêts bancaires et d’accès à la propriété. La photo est une courtoisie de ©Songwit Chuamsakul, Ph. D.

Jeune mère Kensiu (Mani) avec ses enfants, sud de la Thaïlande. La photo est une courtoisie de ©Songwit Chuamsakul, Ph. D.

Projet Dream School/Dream Centre au Laos financé par la Corée. La photo est une courtoisie de ©Songwit Chuamsakul, Ph. D.

Au Laos, enfants à l’école, projet « Dream School/Dream Centre ». La photo est une courtoisie de ©Songwit Chuamsakul, Ph. D.

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La question des droits de la personne et des minorités ethniques en Asie du Sud-Est est vaste et dépasse largement les thématiques suggérées dans ce texte. Pourtant, malgré ses limites, les pistes de réflexion énumérées dépeignent une situation préoccupante. En effet, l’Observatoire s’inquiète de constater que sous le prétexte de mesures sanitaires pour lutter contre la pandémie, certains groupes et gouvernements de la région ont accentué leurs discriminations contre des minorités. Dans un contexte où la transparence et l’accès à l’information sont limités, où l’accès au système judiciaire indépendant et impartial n’est pas garanti, comment tenir les détenteurs du pouvoir responsables de leurs actions ? C’est que sans statut légal, plusieurs groupes se trouvent démunis face aux injustices commises.


[1Ordoñez, Matthew David D. et al., « Southeast Asia’s ethnic crises in modernity » dans New Mandala, éd. Du 07 déc. 2018. En ligne. https://www.newmandala.org/southeast-asias-ethnic-crises-in-modernity (page consultée le 10 mars 2022).

[2Haut Commissariat des Nations Unies pour les Réfugiés (UNHCR), 2011. Travailler avec les minorités et les peuples autochtones dans les situations de déplacement forcé - Notes d’orientation 3. Genève : UNHCR. En ligne. https://www.refworld.org/cgi-bin/texis/vtx/rwmain/opendocpdf.pdf?reldoc=y&docid=50d041122 (page consultée le 12 mars 2022). Selon l’UNHCR, « une minorité est un groupe ethnique, religieux ou linguistique dont les membres sont moins nombreux que le reste de la population et partagent une identité commune ».

[3Amnesty International, 2021. « Résumé régional Asie-Pacifique » dans Rapport 2020/21 : La situation des droits humains dans le monde. Londres : Peter Benenson House, 42. En ligne. https://www.amnesty.org/en/wp-content/uploads/2021/06/franc%CC%A7ais.pdf (page consultée le 10 mars 2022).

[4Reporteurs Sans Frontières, 2021. « Asie – Pacifique » dans Pays et Régions. En ligne. https://rsf.org/fr/asie-pacifique (page consultée le 10 mars 2022).

[5Ibid., 43.

[6Dauray, Anna, 2021. « Vietnam : discrimination envers la minorité LGBT dans les écoles » dans Blogue sur l’Asie du Sud-Est, éd. du 6 mai. En ligne. https://redtac.org/asiedusudest/2021/05/06/vietnam-discrimination-envers-la-minorite-lgbt-dans-les-ecoles/ (page consultée le 15 mars 2022).

[7Amnesty International, 2018. « Les voix critiques pacifiques toujours prises pour cible, malgré une lueur d’espoir en Malaisie » dans Asie du Sud-Est et Pacifique : les défenseur.e.s des droits humains en première ligne. En ligne. https://www.amnesty.org/fr/latest/research/2018/12/rights-today-2018-south-east-asia (page consultée le 16 mars 2022).

[8Box, Heidi. (n.d.) “Human Trafficking and Minorities : Vulnerability Compounded by Discrimination”. Topical Research Digest : Minority Rights (n.d.) : 28-29. En ligne. https://www.du.edu/korbel/hrhw/researchdigest/minority/Trafficking.pdf (page consultée le 11 mars 2022).

[9Caballero-Anthony, Mely, 2018. « A Hidden Scourge : Human Trafficking in Southeast Asia » dans Finance & Development 55–3 (September) : 18–21. En ligne. https://www.imf.org/external/pubs/ft/fandd/2018/09/human-trafficking-in-southeast-asia-caballero.htm (page consultée le 18 mars 2022).

[10Kaur, Amarjit, 2010. « Labour Migration Trends and Policy Challenges in Southeast Asia » dans Policy and Society 29 (4) : 385–97. Wickramasekera, Piyasiri, 2002. « Asian Labour Migration : Issues and Challenges in an Era of Globalization », International Migration Papers. Genève : International Labour Organizations. En ligne. https://www.ilo.org/wcmsp5/groups/public/---asia/---ro-bangkok/documents/publication/wcms_160632.pdf (page consultée le 19 mars 2022) ; Migration Data Portal, 2020. « Migration Data in South-eastern Asia ». En ligne. https://www.migrationdataportal.org/regional-data-overview/south-eastern-asia (page consultée le 20 mars 2022) ; Harkins, Benjamin et al., 2018. « Labour Migration in the ASEAN Region : Assessing the Social and Economic Outcomes for Migrant Workers” dans Conférence : Migration out of Poverty. En ligne. http://www.migratingoutofpoverty.org/files/file.php?name=harkins-labour-migration-in-asean-update.pdf&site=354 (page consultée le 20 mars 2022).

[11Wickramasekera, « Asian Labour Migration : Issues and Challenges in an Era of Globalization », 2.

[12Guérin, Mathieu, Andrew Hardy, Nguyễn Văn Chính, and Stan Tan Boon Hwee, 2018. Des Montagnards Aux Minorités Ethniques  : Quelle Intégration Nationale Pour Les Habitants Des Hautes Terres Du Viêt Nam et Du Cambodge  ? Bangkok : Institut de recherche sur l’Asie du Sud-Est (IRASEC).

[13Human Right Watch (HRW), 12 mai 2020. « Covid-19 Fueling Anti-Asian Racism and Xenophobia Worldwide : National Action Plans Needed to Counter Intolerance ». En ligne. https://www.hrw.org/news/2020/05/12/covid-19-fueling-anti-asian-racism-and-xenophobia-worldwide (page consultée le 26 mars 2022).

[14CIA, 10 marc 2022. « Thailand. East Asia/Southeast Asia » The world Factbook. En ligne. https://www.cia.gov/the-world-factbook/countries/thailand/#people-and-society (page consultée le 26 mars 2022).

Manuel Litalien est professeur agrégé à l'Université Nipissing. Il est co-directeur de PhiLab Ontario du Réseau canadien de recherche partenariale sur la philanthropie (PhiLab) financé par le CRSH. Ses intérêts de recherches portent sur les régimes providentiels, la philanthropie en milieu éloigné, le bouddhisme engagé, les mouvements théologico-politiques transnationaux, les politiques identitaires, les inégalités sociales et le développement communautaire en Asie du Sud-Est (Thaïlande, Laos, Cambodge, Myanmar). Ses projets actuels touchent aux relations entre gouvernements et organisations religieuses dans les politiques sociales (santé, vieillesse, famille, éducation, assurance-emploi, droits des minorités, réfugiés, pauvreté). Il se spécialise également sur les enjeux juridiques entourant le pluralisme religieux, la question du genre et de leur accès à la justice en Thaïlande. Il occupe depuis 2013 un poste de professeur adjoint à l'Université Mahidol (Thaïlande).
Diplômée au baccalauréat de l'université McGill en développement international et détentrice d'une maîtrise en science politique de l'Université de Montréal, Kellyane poursuit ses études en environnement minier pour mieux comprendre les enjeux dont font face les communautés autochtones tant au Canada qu'à l'étranger. Ses recherches portent principalement sur la gouvernance environnementale chez les peuples autochtones ainsi que sur le rôle des femmes dans les sociétés d'Asie du Sud-Est.

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