Crise climatique en Inde
La pollution a été responsable de la mort de 1,2 million d’indien.nes seulement en 2017 [1]. Les effluents industriels, les émissions des véhicules, la pollution chimique, pétrolière et par les hydrocarbures ainsi que l’utilisation de la biomasse en sont les principales causes. Cela continue de s’aggraver : la croissance démographique du pays impose un fardeau de plus en plus lourd sur les ressources naturelles limitées et en constante dégradation [2]. La pollution de l’eau, aggravée par la difficile gestion des déchets, fait également partie des défis importants auxquels fait face la fédération indienne [3].
De 2000 à 2018, l’Inde a réussi à atteindre une croissance économique phénoménale, qui s’illustre par une moyenne de 7 % par année [4]. Or, ce développement n’a pas été couplé à des mesures de conservation de l’environnement et n’a pas permis de réduire les inégalités. Au contraire, 600 millions d’indien.nes vivent toujours sous le seuil de l’extrême pauvreté et l’empreinte écologique par habitant du 1 % le plus riche en Inde est 17 fois supérieure à celle des 40 % les plus pauvres [5]. Ce sont les plus vulnérables [6] qui vivent concrètement les impacts de la dégradation environnementale et l’élite indienne profite, quant à elle, de cette croissance économique.
La quête de solutions pour réduire les effets de la crise climatique en Inde se situe donc à l’intersection entre les besoins qui émergent de la pression démographique, des modes de vie de la population indienne, du taux élevé de pauvreté et de la persistance des inégalités. L’Inde fait ainsi face à un paradoxe : continuer de se développer économiquement tout en réduisant de façon significative les impacts environnementaux de cette croissance.
Fédéralisme environnemental en Inde : une histoire de centralisation
Puisque l’Inde est un État fédéral [7], des compétences sont partagées entre le gouvernement fédéral à Delhi, les États indiens et les gouvernements locaux. Tout ce qui touche à l’environnement y est depuis longtemps administré par le pouvoir central [8] puisque l’environnement est un pouvoir résiduaire dans la Constitution indienne et qu’en vertu de l’article 253, le gouvernement fédéral a le pouvoir d’émettre des lois afin de respecter ses engagements internationaux. Concrètement, cela lui permet donc d’agir sur tout ce qui concerne l’environnement.
C’est suite à la crise de Bhopal en 1984 qui s’est traduite par l’adoption d’une loi-cadre sur la protection de l’environnement que les pouvoirs de Delhi ont été confirmés en la matière. Plusieurs politiques nationales ont été adoptées, sans que soient intégrés les États dans le processus d’élaboration. Ceux-ci se sont plutôt vus confier les pouvoirs et l’obligation de les mettre en œuvre [9]. À travers le temps, cette centralisation des pouvoirs a permis au gouvernement fédéral d’avoir une mainmise sur l’affectation des ressources pour la mise en œuvre de projets d’exploitation à grande échelle et de poser les lignes directrices en matière de politiques environnementales.
La gouvernance de Modi
L’élection de Narendra Modi en 2014 a ajouté une nouvelle composante à la politique climatique indienne : il invoque plusieurs principes culturels hindous qui symbolisent la nature comme puissance au-delà des humains qu’il faut protéger, afin de positionner l’Inde comme ultime défenseur de celle-ci [10]. Ainsi, sous sa gouvernance, le sujet des changements climatiques a reçu une attention croissante.
Toutefois, derrière cela se cachent plusieurs décisions qui permettent de réduire les obstacles au développement économique de l’État et de restreindre les droits des communautés touchées par les projets d’exploitation. Alors que d’un côté le gouvernement Modi a été reconnu pour son rôle pionnier au sein de l’Alliance Solaire Internationale (ASI) [11], de l’autre il a adopté plusieurs mesures visant à protéger l’énergie à base de charbon de la réglementation environnementale. Concrètement, il a exempté plusieurs projets d’extraction de charbon de la tenue d’audiences publiques et de l’obligation d’obtenir des autorisations environnementales [12].
- Narendra Modi, premier ministre de l’Inde. Source : Michel Euler/AP, 2015.
Par ailleurs, son gouvernement a retiré l’obligation que les assemblées de village donnent leur consentement pour la prospection de minéraux dans les régions forestières [13]. Il a, en outre, réduit le nombre d’experts indépendants dans plusieurs conseils nationaux, excluant de plus en plus les groupes environnementaux des processus d’élaboration des politiques environnementales [14].
Paradoxe, vraiment ?
Les décisions du gouvernement Modi illustrent la difficile balance à trouver entre les impératifs de développement économique et la réduction des impacts environnementaux en Inde. Il est certain que ce pays est limité dans sa capacité à donner la priorité aux enjeux environnementaux par la nécessité d’offrir des services de base à sa population notamment.
Or, ce que le cas indien démontre est que la centralisation des pouvoirs en environnement pose le risque que soit promu le développement économique de l’État et l’extraction des hydrocarbures pour des raisons autres que celles de répondre aux besoins locaux. À titre d’exemple, la politique climatique indienne peut très bien être comprise comme étant plutôt une confrontation entre l’intérêt stratégique du gouvernement Modi de devenir un leader sur la scène internationale et sa volonté de poursuivre un agenda d’expansion économique nationale [15].
La question qui se pose est particulière dans le contexte indien : comment exiger qu’un pays aussi peuplé, et faisant face à des enjeux majeurs de développement, agisse pour lutter contre la crise climatique ? La réalité rattrape toutefois, le degré de pollution en est la parfaite illustration. Le cas de l’Inde invite à repenser les structures de développement et constitue une expérience unique pour identifier les possibilités qu’offre le système fédéral pour répondre à la crise environnementale.
Source de la photo de couverture : Simon Racicot