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Le 5 février dernier, alors qu’ils quittaient un centre de dépistage de la Covid-19 au cœur de la capitale Phnom Penh, six membres d’un syndicat de travailleurs ont été arrêtés. Trois d’entre eux ont été accusés, sans preuve, d’avoir entravé les efforts du gouvernement pour lutter contre la propagation de la pandémie [1]. Ces arrestations ont eu lieu après qu’une grève ait débuté en fin 2021, à la suite d’un licenciement massif de 1 329 employés d’un casino [2]. Suite à la nouvelle loi sur l’état d’urgence (aussi appelée loi sur la Covid-19), adoptée en mars 2020, ils sont passibles d’une peine pouvant aller jusqu’à cinq ans de prison [3].
Des employés du Casino Naga World brandissent des pancartes lors d’une manifestation devant l’Assemblée nationale, à la suite de l’arrestation de plusieurs syndicalistes [4]
L’organisation Human Rights Watch explique que cette nouvelle loi sur la Covid-19 met en péril les droits humains au Cambodge, car les autorités peuvent facilement abuser de ses mesures trop larges, abstraites et mal définies [5]. En effet, depuis le début de la grève, il est rapporté que 35 syndicalistes ont été arrêtés et que, dans les 7 mois qui ont suivi la mise en place de la nouvelle loi, plus de 700 personnes ont été détenues sur la base d’allégations d’avoir enfreint les mesures liées à la pandémie [6]. Ces personnes sont les victimes les plus récentes de l’effort de Hun Sen, et de son parti, de renforcer leur emprise autoritaire sur le pouvoir.
Dissolution de l’opposition
Bien que la dérive autoritaire du Cambodge remonte à plusieurs années déjà, elle a pris une tout autre ampleur en septembre 2017 lorsque le chef de l’opposition, Kem Sokha, fut arrêté et accusé de trahison, sous prétexte de vouloir mener le pays à une révolution avec l’aide des États-Unis [7]. Deux mois plus tard, à la demande du PPC, la Cour suprême prend la décision de dissoudre le principal parti d’opposition du pays – le parti du sauvetage national du Cambodge (PSNC) – laissant de facto le gouvernement sans réel contre-pouvoir [8]. Sans véritable opposition, l’année suivante, lors des élections législatives, le PPC remporta la totalité des 125 sièges de l’Assemblée nationale et faisait du Cambodge, officiellement, un État à parti unique [9].
Sanctions internationales
À la suite de la dissolution du PSNC et de la détérioration des droits humains, la communauté internationale, en particulier les États-Unis et l’Union européenne, ont mis en place des sanctions et ont supprimé les accords commerciaux préférentiels au Cambodge [10]. Les États-Unis ont, en outre, adopté la politique des sanctions ciblées, visant à geler les avoirs et à refuser l’octroi de visas aux hauts placés du gouvernement cambodgien [11]. L’Union européenne, quant à elle, a mis en place la plus lourde des sanctions en suspendant le Cambodge de l’accord commercial préférentiel « Tout sauf les armes » [12] ; une initiative visant à encourager la croissance des pays les plus pauvres en supprimant les barrières tarifaires pour toutes marchandises – sauf les armes et munitions – à destination de l’Union européenne.
Face aux sanctions, à l’isolement sur la scène internationale et au fort mécontentement de la population, le Premier ministre Hun Sen n’a d’autre choix que de se rapprocher davantage de son allié chinois, qui continue de lui offrir un soutien sans faille malgré le recul démocratique au Cambodge. Aujourd’hui, Pékin est le premier partenaire politique, économique et militaire du royaume. En 2018, l’empire du Milieu représentait 41,3% des investissements directs étrangers du pays, ainsi que 49% de sa dette extérieure [13]. Alors que cette dépendance croissante du Cambodge à l’égard de la Chine suscite des inquiétudes au sein de la population, le soutien politique, économique et militaire de Pékin continu d’être essentiel pour Hun Sen et ses efforts de renforcer son régime autoritaire [14].
Livraison de matériel médical en provenance de la Chine à l’aéroport international de Phnom Penh, lors de la crise sanitaire en 2020 [15]
Instrumentalisation de la Covid-19
Depuis, le PPC et Hun Sen ont continué de verrouiller leur emprise sur le pouvoir à travers l’adoption d’une série de nouvelles initiatives législatives, contentant des dispositions portant atteinte aux droits humains et à la liberté d’expression, telles que la loi contre le crime de lèse-majesté, la loi sur la cybercriminalité ou encore la loi sur l’ordre publique [16].
Récemment, avec l’arrivée de la pandémie de la Covid-19, le gouvernement cambodgien a introduit de nouvelles mesures pour contrer la propagation du virus, notamment avec l’adoption de la loi controversée sur l’état d’urgence [17]. La loi permet aux dirigeants de déclarer l’état d’urgence en temps de chaos menaçant l’ordre public ou la sécurité nationale. Elle donne au gouvernement des pouvoirs larges et étendus afin de s’engager dans la surveillance, mais aussi pour limiter les rassemblements et interdire la transmission d’informations [18]. Toute personne qui enfreint ces restrictions peut encourir jusqu’à 10 ans de prison [19].
L’arrestation des syndicalistes, qui manifestaient pacifiquement, montre que la nouvelle loi est déjà devenue une arme dans l’arsenal croissant des stratégies de Hun Sen pour consolider son pouvoir et réprimer quiconque s’opposerait à ses politiques et à ses actions, ainsi qu’à celles de ses alliés. Cependant, le fait que Hun Sen perçoive le besoin d’avoir un ensemble toujours plus important d’instruments pour réprimer toute forme de dissidence semble également être une indication de la diminution de son soutien populaire et, en particulier, pour ses ambitions dynastiques. En plaçant ses enfants dans des positions clés afin de pouvoir largement contrôler les médias, l’armée, les renseignements et l’économie, Hun Sen espère ainsi forcer sa succession [20]. Or, l’histoire nous démontre que les successions dynastiques de régimes totalitaires se font rarement sans résistance, le mécontentement au sein de la population, notamment de la jeunesse de plus en plus rétive laisse présager que le Cambodge n’y fera pas exception.
Premier Ministre Hun Sen et son fils Hun Manet, lors d’une cérémonie militaire à Phnom Penh en 2009 [21]