L’implémentation de la robotique vs les politiques d’immigration
Historiquement, le gouvernement japonais s’implique dans le développement technologique du pays, notamment en encourageant la recherche dans ce domaine à partir des années 1950 [6]. Dans les années 1970, le gouvernement, en partenariat avec diverses firmes japonaises, entreprend d’identifier des domaines de développement technologique, dont la robotique fait partie [7]. En 1978, les premières politiques en faveur de la robotique furent développées, le Japon étant depuis les années 1980 le leader en robotique industrielle [8]. Depuis les années 2000, le Japon cherche à étendre ses applications à d’autres domaines. Ainsi, le gouvernement développe régulièrement divers plans et projets liés à la robotique. En 2012, le METI [9] et le MHLW [10] développent une liste d’applications potentielles dans les soins pour personnes âgées, révisée en 2014 et 2017 [11]. La robotique est ici envisagée comme une façon d’assister les soignants et de conserver l’autonomie des personnes âgées. Le gouvernement explore en priorité les robots d’aide à la mobilité, à la toilette, et à la surveillance, mais il existe aussi des recherches sur les robots de communication.
Arai-san [12], employé dans une entreprise développant des solutions robotiques pour des résidences pour personnes âgées, explique en entrevue les difficultés de la prise en charge du vieillissement au Japon et la nécessité d’avoir plus de soignants, notamment d’origine étrangère. Néanmoins, il ajoute : « […] des préparations sont nécessaires. Qu’ils apprennent le japonais, qu’on leur enseigne. Ensuite, l’aspect législatif pour qu’ils viennent n’est pas encore réglé, je pense que ça devrait être fait. […] Mais ça prend du temps ».
Comparant les préparations nécessaires pour encourager l’arrivée de travailleurs étrangers et le développement de la robotique, Arai-san souligne que l’implémentation de robots pour le soin est plus rapide : beaucoup existent déjà et ne demandent qu’à être adaptés, et les soignants formés.
Arai-san conçoit ces robots comme une réponse partielle a un problème de société plus large. Pour lui, les robots sont une partie de la solution, et non la solution tout entière, un point de vue partagé par ses collègues. Parallèlement, il précise aussi qu’il est important qu’il existe un cadre législatif et organisationnel clair pour les travailleurs étrangers et que ces derniers reçoivent une formation appropriée, c’est-à-dire adaptée aux réalités japonaises. Selon lui, l’intégration de travailleurs étrangers au milieu médical japonais ne doit pas être un pis-aller, mais doit être menée de manière réfléchie.
Des robots japonais pour moins de tensions ?
Par ailleurs, Murakami-san, un autre employé dans cette entreprise, s’interroge sur les potentielles tensions qui pourraient émerger entre les soignants d’origine étrangère et les personnes âgées dont elles prennent soin : « les personnes âgées s’attendent à ce qu’une personne japonaise s’occupe d’eux. […] Mais [les travailleurs étrangers] ne sont pas japonais. Et les personnes âgées sont vieux jeu et s’attendent à une manière de faire à la japonaise ». Murakami-san fait ici écho à un sentiment de nationalisme ethnique, qui se traduirait notamment par une volonté de voir les étrangers adopter un comportement « japonais » [13].
Par opposition, les robots sociaux utilisés en établissements pour personnes âgées étant manufacturés par des entreprises japonaises [14], il est possible d’observer pendant leur utilisation que ces robots agissent selon des habitudes « typiquement » japonaises et communiquent dans un japonais courant, empêchant de ce fait les supposées frictions pendant l’interaction. De plus, à ces robots peuvent être donnés des droits, égaux ou même parfois supérieurs à ceux d’étrangers résidant au Japon [15], comme avoir un koseki [16] – un registre familial – non accessible aux personnes n’ayant pas la nationalité japonaise. Paro, un robot social à la forme de phoque, ayant un koseki, il peut donc être de facto considéré de nationalité japonaise. Certains droits, autrefois réservés aux Japonais et parfois attribués à des robots, des personnages fictifs (comme Doraemon) ou à des animaux [17], comme le fait d’avoir un jūminhyō, un certificat de résidence, sont maintenant accessibles aux résidents étrangers [18], révélant donc toutefois une évolution des mentalités qui s’inscrit dans une réflexion plus large sur le changement des politiques d’immigration japonaises [19].
Le robot comme support, la nécessité d’avoir des soignants
Malgré l’existence de certaines discriminations envers les travailleurs étrangers, les robots ne sont pas considérés, comme le précise Arai-san, comme l’unique solution pour la prise en charge du vieillissement, ni comme un remplacement des soignants. Au contraire, ils sont plutôt perçus comme un support. Ils agissent comme substituts, ils « […] remplacent quelqu’un d’autre sans prendre sa place, c’est-à-dire sans lui enlever sa fonction » [20]. Ainsi, les robots aident plutôt qu’ils ne remplacent, le déficit de soignant restant un problème majeur. La robotique devient un moyen d’aider les soignants pendant que la question de l’immigration de travailleurs étrangers est discutée et que des politiques adaptées sont mises en place. Il est certain qu’il existe de la discrimination envers les travailleurs étrangers, peut-être même une xénophobie plus profonde, mais la situation du vieillissement est suffisamment préoccupante pour entraîner un changement profond de la société japonaise.
Légende (photo de couverture) : "High hopes : Residents of the Fuyouen senior home interact with tiny robot Palro and two Paro therapy bots in Yokohama"
Crédits : Kyodo. https://www.japantimes.co.jp/news/2013/06/19/national/social-issues/robot-niche-expands-in-senior-care/#.Wfi1PxPWxE4