Charbon : locomotive énergétique de la Chine
Certes, il faut se rappeler que la Chine est un pays largement impulsé par le charbon : il représente à peu près 60% de sa consommation énergétique et contribue approximativement à 60% de sa production d’électricité [2]. En tant que premier pays producteur, mais aussi consommateur de charbon, la dépendance de la Chine vis-à-vis de cette ressource est réelle et ne saurait s’éclipser du jour au lendemain.
C’est cette importance dépendance au charbon qui fait en sorte que le bilan sur les évolutions chinoises dans sa structure énergétique reste mitigé et ne reflète souvent pas ses objectifs fixés dans les dossiers concernés. Par exemple, en 2014, la Chine a lancé la politique de « capacity swap » [3] en vue d’alléger la surcapacité de production dans l’acier, alors que, dans les faits, la consommation énergétique de la Chine ne cesse d’augmenter : de 4.26 milliards de tonnes de charbon par an en 2014 à 5.24 milliards en 2021 avec une production quotidienne record de charbon début 2022 [4]. Au niveau de la production d’acier en Chine, en 2020, celle-ci a excédé l’objectif prévu : la Chine a battu un nouveau record en produisant 1065 mégatonnes d’acier brut au lieu de 1000 Mt prévue dans le plan d’ajustement et de mise au niveau de la sidérurgie de 2016-2020 [5]. Et de nouveaux projets s’enchaînent : selon le rapport du Centre for Research on Energy and Clean Air (CREC) et Global Energy Monitor (GEM), depuis cinq ans, l’industrie sidérurgique chinoise continue d’investir massivement dans de nouvelles capacités basées sur le charbon : plus de 70% de ces nouveaux projets sont de nature carbone et le pays est responsable de 85 % de nouveaux projets au charbon dans le monde [6].
Investissements massifs et sans discontinuer dans les énergies vertes
Au moment où la Chine enregistre une nouvelle propulsion dans sa capacité traditionnelle, elle continue à investir massivement dans les énergies vertes. La part de l’énergie renouvelable dans sa structure énergétique augmente d’année en année, de 16.9% en 2014 à 25.3% en 2021 [7]. Actuellement, le pays abrite plus du tiers du parc éolien et solaire mondial tandis qu’il développe l’énergie nucléaire. Durant les quinze prochaines années, la Chine table sur la production de 200 GW nucléaire, soit davantage que la capacité actuelle dans les pays les plus nucléarisés du monde, à savoir les États-Unis et la France [8].
Le parc éolien à Xinjiang, la région est le sixième producteur d’énergie éolienne du pays.
Développement économique, mission numéro 1 de la Chine
Cependant, malgré ses engagements pour la cause climatique, l’économie reste l’épine dorsale pour le gouvernement chinois, et cela surtout pour sa légitimité auprès du peuple chinois. Depuis la réforme économique dans les années 1980, le gouvernement chinois assoit sa légitimité dans sa promesse d’une vie meilleure et d’un avenir prospère en échange d’une société civile dynamique. Ainsi, quand l’engagement environnemental menace le bilan économique et sème le doute sur la capacité du gouvernement chinois, ce dernier intervient en peu de temps pour stabiliser son contrat social avec son peuple. En septembre dernier, la Chine a connu une pénurie d’électricité de grande envergure, touchant une large partie de provinces chinoises, notamment celles qui ont du mal à atteindre le quota de réduction d’émission de gaz à effet de serre [9] : des coupures d’électricités sans avertissement et irrégulières ont bouleversé la production et le quotidien des locaux : la panique et le mécontentement des habitants affectés se sont rapidement relayés sur les réseaux sociaux et l’effet de contamination était tel que l’autorité centrale a dû revoir son plan de réduction d’émission pour apaiser la tension entre la cause environnementale et le besoin énergétique quasi irréductible : les conséquences économiques et sociale négatives suite à cet événement ont débouché sur la délivrance de nouveaux permis à la construction de nouvelles centrales au charbon à la fin de l’année 2021 avec au moins 7,3 GW de nouvelle capacité autorisée au cours des six premières semaines de l’année 2022, soit plus du double que sur l’ensemble de 2021 [10]. Entre temps, le ton a légèrement changé : le gouvernement chinois insiste désormais sur le fait que « le charbon est basique dans le système d’énergie de la Chine » et souligne l’aspect « graduel » de la transition énergétique [11].
La coupure d’électricité a frappé une large partie de villes en Chine fin 2020, la vie quotidienne et les activités économiques sont mises à l’arrêt.
Marché d’énergie mondial instable et volatil
À la pression économique s’ajoute le défi dans l’approvisionnement énergétique : la Chine est le premier importateur du charbon et sa demande est en hausse continue ces dernières années. Alors qu’elle serait confrontée à une plus grande instabilité sur le marché mondial du charbon, en août 2020, la Chine a interdit l’importation du charbon depuis l’Australie, sa deuxième plus grande source de charbon importé, en guise d’une réponse à la demande de Canberra d’effectuer une enquête indépendante sur l’origine de la Covid-19. De plus, l’Indonésie, le premier fournisseur de charbon à la Chine, a interdit temporairement l’exportation de charbon en janvier 2022 pour privilégier son approvisionnement national, ce qui a fortement impacté l’économie chinoise [12]. Et avec la guerre en Ukraine, l’instabilité du marché mondial de l’énergie ne fait qu’augmenter.
En octobre 2021, lors d’une visite dans le champ pétrolier de Shengli, le deuxième plus grand champ pétrolier de la Chine, le président chinois insistait sur « l’autosuffisance énergétique ». L’augmentation record dans les investissements des nouveaux projets sidérurgiques, et le nouveau record dans a production interne du charbon semblent confirmer cette détermination. Tandis que les énergies vertes, malgré une croissance remarquable, restent minime pour subvenir aux besoins de la deuxième puissance mondiale. Sur fond de « nouvelle guerre froide » avec les États-Unis, les hydrocarbures revêtent d’une importance économique, politique mais aussi géostratégique pour le gouvernement chinois dans cette course à la première puissance mondiale. Devant un élan économique post-Covid, un marché d’énergie international restreint et une compétition acharnée avec les États-Unis, le gouvernement chinois aurait suspendu son projet environnemental au profit d’un développement dopé par les énergies fossiles, et celles-ci seraient plus rassurées par son marché domestique [13].