Bulletin d’analyse sur l’Asie de l’Est et du Sud-Est

Le Plan halal de la Malaisie : devenir « Éminente, Visible et Mondialisée »

mardi 14 mars 2023, par Sara Pavone

La Malaisie a pour objectif de devenir le plus grand centre mondial de produits et de services certifiés halal d’ici 2030. En vue d’investissements nationaux placés au cours de la dernière décennie, le marché halal malaisien a connu une croissance fulgurante, contribuant à hauteur de 6,6% au produit intérieur brut du pays. À ce jour, avec le Plan général de l’industrie halal 2030 (Halal Industry Master Plan, HIMP 2030) [1], le gouvernement souhaite accélérer le développement de l’industrie halal locale et encourager les entreprises étrangères à établir leurs hubs halal dans le pays pour en devenir le leader incontesté.

« Éminente, Visible et Mondialisée » [2]. L’objectif de la Malaisie est bien résumé en ces trois termes dans le Plan général de l’industrie halal 2030. Il s’agit d’un principe directeur formulé par le ministère du Commerce Extérieur et de l’Industrie (MITI) de Malaisie et la Halal Development Corporation (HDC), la première société malaisienne de développement de l’industrie halal, pour illustrer le défi dans lequel le pays s’est engagé pour la décennie en cours : celui de poursuivre le développement socio-économique, en tirant parti des opportunités de croissance offertes par l’industrie halal, et assumer un leadership mondial.

Les produits et les services halal constituent une marque reconnue et certifiée dans le monde, née au XXe siècle de la rencontre de deux idéologies - le néolibéralisme et la Charia islamique [3]. La religion musulmane prévoit, en effet, une discipline alimentaire en vertu de laquelle ses adeptes ne doivent consommer ou utiliser, dans la vie quotidienne, que ce qui est « halal », c’est-à-dire « permis », « licite », pour poursuivre la purification du corps et de l’esprit. Voilà comment la pureté alimentaire s’est traduite en pureté industrielle et comment l’usage commerciale du halal s’est développé au fil du temps. La certification halal est née précisément pour garantir aux fidèles la conformité d’un produit aux règles religieuses, ainsi qu’aux normes générales de qualité, de propreté et d’hygiène, qui assurent un contrôle minutieux de chaque étape du processus de production [4].

Les certifications halal. Photo du site web Halal Monitoring Authority

Alors que, dans le monde occidental, le terme halal se réfère principalement à la préparation d’aliments - comme l’abattage de la viande - soumise à des normes religieuses afin de ne pas être autrement « haram », soit « interdit », en fait le halal s’applique également aux vêtements, aux cosmétiques et aux services, voire à la politique et aux affaires sociales. C’est ainsi que tous les secteurs du marché mondial - des aliments aux cosmétiques, des médicaments aux produits ménagers et aux services tels que la logistique, le tourisme, etc. [5] - ont été soumis à la normalisation halal.

Le plan de développement halal de la Malaisie

En tant que pays à majorité musulmane, la Malaisie s’est engagée à fournir à sa population un système halal dans tous ses secteurs, faisant figure de pionnier de l’industrie halal en Asie du Sud-Est depuis plus de 40 ans. Grâce au récent boom mondial de la marque halal, contribuant à hauteur de 6,6 % au PIB de la Malaisie et à des exportations d’une valeur de 30,5 milliards de ringgit malaisien RM (6,8 milliards de dollars) en 2020 [6], l’économie malaisienne en a énormément profité. La demande de produits et de services halal a, en effet, considérablement augmenté dans le monde entier, en raison d’une rapide croissance de la population musulmane tout comme d’une sensibilisation de plus en plus évidente des consommateurs non musulmans [7]. Le marché halal mondial devrait d’ailleurs atteindre 5000 milliards de dollars d’ici 2030, soit près du double des chiffres de 2018 (3100 milliards de dollars) [8]. Ces chiffres expliquent en partie pourquoi la Malaisie désire exploiter son avantage concurrentiel et surfer sur la vague de ce marché croissant.

La vision de la Malaisie halal selon le HIMP 2030

Le Plan HIMP 2030, qui identifie les lignes directrices et le cadre d’intervention de la Malaisie pour profiter des opportunités de croissance du marché halal mondial, prévoit tout d’abord un investissement massif destiné aux entreprises locales des secteurs halal clés tels que l’alimentation, les cosmétiques et les soins personnels, ainsi que le secteur émergent de la médecine. Cela devrait contribuer à l’augmentation d’emploi, stimuler le PIB national de 8,1 % et générer des recettes d’exportation de 56 milliards de RM (12 milliards de dollars) d’ici 2025 [9]. Le pays deviendrait ainsi « visible » sur le marché mondial. Puis, le deuxième objectif inclut l’internationalisation de la marque halal malaisienne à travers la création d’une chaîne d’approvisionnement solide qui puisse la relier à d’autres marchés halal émergents [10]. À cette fin, la Malaisie a lancé le renforcement de recherche et développement industriels et a créé 14 parcs halal pour accueillir des hubs halal étrangers qui bénéficieraient d’incitatifs fiscaux, de main-d’œuvre qualifiée et d’accès facile aux certifications halal pour leurs propres produits et services [11]. En attirant autant d’investissements directs étrangers que possible après la crise de la Covid-19, le pays peut ainsi s’inscrire dans un contexte économique hautement interdépendant et en constante expansion, au point de devenir alors ce que le Plan appelle une « Malaisie halal mondialisée ». Le but ultime de sa vision triadique serait, enfin, de se poser comme le plus grand centre halal du monde et le leader incontesté du marché. En d’autres termes, celui de devenir « éminente ».

***

Selon le rapport Doing Business 2020 [12] de la Banque mondiale, la Malaisie se classe 12e sur 190 pays dans le monde comme pays idéal pour installer une entreprise. Si alors l’écosystème halal malaisien est si prometteur en termes d’infrastructures, de main-d’œuvre productive et de matières premières halal [13], le fait d’attirer un nombre considérable de multinationales dans le secteur halal ne passera pas inaperçu dans les années à venir.


[1Halal Development Corporation Berhad, 2020. « Executive Summary, Industry Master Plan 2030 » éd. de février 2020. En ligne. https://www.hdcglobal.com/wp-content/uploads/2020/02/Halal-Industri-Master-Plan-2030.pdf (page consultée le 25 février 2023).

[2Ibid., 2020.

[3Cairn.Info, 2017. « Le marché halal mondiale. Entrevue avec Florence Bergeaud-Blacker » Dans Revue du Mauss 2017/1 n. 49, pages 48 à 61.

[4Ai’han Mujar N., Hassan N., 2014. « The Economics of Halal Industry », note de recherche. Johor Bahru : Faculté d’Ingénierie civile, Faculté de Civilisation islamique, Universiti Teknologi Malaysia.

[5Ministry of International Trade and Industry of Malaysia, 2021. Recollective : Tapping into the US$3 trillion halal market. Kuala Lumpur : Ministry of International Trade and Industry of Malaysia.

[6Li Ping O., 2021. « Malaysia to invest RM12.63m to grow halal industry next year » in Marketing-interactive, éd. du 14 décembre 2021.

[7D’ailleurs, les valeurs halal sont compatibles avec celles occidentales telles que l’amélioration du bien-être social, le respect de l’environnement et l’éthique dans toute contexte sociale. Voir Mathew V.N., Amir Abdullah A. M. R., Mohamad Ismail S. N., 2014. « Acceptance on Halal Food among Non-Muslim Consumers » in Procedia - Social and Behavioral Sciences 121 (2014) : 262-271.

[8Ibid., Halal Development Corporation Berhad, 2020.

[9Ibid., Li Ping, 2021.

[10IQNA, 2021. « La Malaisie veut devenir la plaque tournante du commerce halal » in Agence International de Presse Coranique, éd. du 12 octobre, 2021.

[11Halal Parks, 2021. « Home to the World’s Largest Halal Hub ». En ligne, éd. de février 2021. https://hpglobal.com.my/wp-content/uploads/2021/02/HP-Booklet-8PP-1.pdf (page consultée le 25 février 2023).

[12World Bank. 2020. Doing Business 2020. Washington, DC : World Bank.

[13Ibid., Ministry of International Trade and Industry of Malaysia, 2021.

Titulaire d’un baccalauréat en Traduction et Interprétation de l’Université de Bologne (Italie), Sara est inscrite à la Maîtrise en Sciences Internationales et Diplomatiques chez le même établissement universitaire. Actuellement, elle étudie à l’Université de Montréal dans le cadre d’un programme d’échange Overseas. Ses intérêts de recherche incluent l’économie politique internationale, spécifiquement le développement économique des pays émergents, soit en Afrique soit en Asie.

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