La décriminalisation a eu lieu avant que les législateurs adoptent un cadre légal entourant l’usage, résultant en une zone grise quant à l’usage récréatif. Ainsi, malgré la décriminalisation, la légalisation de l’usage récréatif tarde à être adoptée, et consommer en public peut être passible d’une peine de 3 mois en prison et d’une amende d’environ 1000$ [1]. Le ministre de la Santé publique, Anutin Charnvirakul, avait d’ailleurs affirmé que « Thailand’s cannabis policy focuses only on medical and heatlh purposes and nothing else. The news about coming into Thailand, the land of cannabis-free [where] you can smoke freely everywhere on our soil, that’s fake news. We don’t welcome those kinds of tourists » [2].
Or, quelques mois plus tôt, le Secrétaire de la Commission de la Santé publique annonça que la décriminalisation du cannabis était « l’arme secrète » de la Thaïlande pour attirer davantage de touristes après la fin de la pandémie. En effet, selon la University of the Thai Chamber of Commerce, le marché thaïlandais du cannabis serait estimé à 28 milliards de bahts (1 milliard de dollars canadiens) et pourrait atteindre 43 milliards de bahts en 2025 [3].
À cet effet, en pratique, le flou juridique et le potentiel économique de ce marché font en sorte l’usage récréatif est toléré par les autorités… À un point tel que les gens en vendent en pleine rue sans se cacher et où les différents commerces affichent leurs produits avec des bannières les plus gigantesques les unes que les autres.
Des commerces de cannabis très visibles à Phuket (auteur, 2022)
Diversifier ses revenues pendant la Covid
Alors que la Thaïlande accueillait près de 40 millions de touristes en 2019 et contribuait à 20% du PIB du pays [4], la pandémie a donné un coup dur aux personnes travaillant dans l’industrie du tourisme. En septembre 2021, le taux d’occupation des hôtels dans les provinces touristiques de Phuket et de Surat Thani étaient respectivement de 15% et de 4%, plus de 50% des hôtels ayant dû fermer, certains de manière permanente [5]. Par conséquent, plusieurs ont dû trouver des moyens de diversifier leurs revenues. Par exemple, le propriétaire d’une auberge de jeunesse de Phuket a reconverti un dortoir de 4 lits en une chambre de production de chanvre pour combler les pertes de revenus liées à la diminution du tourisme.
D’un dortoir en auberge de jeunesse à une chambre de production de chanvre (auteur, 2022)
À Koh Phangan, où 80% des locaux ont perdu leur source de revenu pendant la Covid, une ONG a mis en place un jardin communautaire pour la population locale dans le besoin, qui a ensuite été reconverti en ferme de cannabis : « It started as an emergency food source and employment prospects for volunteers and it ended up as a community ganja enterprise, which also feed into tourism as Thailand is developing itself as a cannabis center in the world » (entrevue par auteur, 2022). Devenu un centre d’éco-tourisme, les touristes peuvent s’y rendre non seulement pour acheter du cannabis, mais également pour assister à des ateliers pédagogiques sur l’herboristerie thaïlandaise.
De backpackers à l’industrie du luxe, chacun y cherche sa part
La décriminalisation du cannabis n’attire pas uniquement le stéréotype du « stoned backpackers ». En effet, l’industrie de la santé et du bien-être diversifie également son offre pour y incorporer des produits à base de cannabis. On y retrouve notamment des crèmes pour la peau et des thés à base de CBD aux propriétés anti-oxydantes bénéfiques contre le vieillissement. Certains spas de luxe offrent également des expériences telles qu’un bain thermal de marijuana et d’un massage à huile de cannabis. L’Autorité du Tourisme de Thaïlande, un organisme gouvernemental, propose également des excursions culinaires où les visiteurs peuvent déguster des plats tels que les nachos avec trempette de cannabis ou une salade infusée au cannabis [6]. Et ce, malgré la déclaration du ministre de la Santé publique disant ne pas vouloir attirer « those kind of tourists ».
Image promotionnelle sur le site de l’Autorité du Tourisme de Thaïlande
Même le milieu académique tente d’avoir sa part du gâteau, la faculté d’Innonvation agricole de l’Université de Rangsit étant la première en Thaïlande à avoir mis en place un nouveau programme d’études sur la marijuana offrant notamment des cours sur les technologies de cultivation [7]. L’Université de Thammasat a également lancé son programme en commerce « Cannabis & Hemp » pour commercialiser les nouvelles cultures sur le marché mondial [8].
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Alors que l’expansion de l’industrie du cannabis semble effervescente, plusieurs voix dans la société s’élèvent pour réintégrer le cannabis dans la liste des drogues illicites. La Cour Administrative de la Thaïlande a d’ailleurs accepté d’entendre la demande de l’Association des médecins légistes ainsi que le parti d’opposition Pheu Thai pour annuler la décriminalisation [9]. Reste à voir si le gouvernement sera en mesure de contrôler l’explosion qu’il a lui-même créée…
Légende de la vignette : lancement du site web gouvernemental éducationnel sur le cannabis médical