Bulletin d’analyse sur l’Asie de l’Est et du Sud-Est

Mumbai : urbanisation et mondialisation économique

mardi 20 novembre 2018, par Étienne Tardif-Paradis

En 2030, 8,5 milliards d’êtres humains peupleront la terre [1].C’est en Asie que la deuxième plus grande croissance sera enregistrée avec une forte concentration dans les zones urbaines [2].Si aujourd’hui plus de 50% de la population mondiale vit dans ces milieux citadins, l’ONU prévoit que ce pourcentage pourrait atteindre 66% vers 2050 [3].De plus, si cette tendance à la densification urbaine s’observe de par le monde, elle devrait particulièrement se faire ressentir en Asie. Il faut ajouter à cela le phénomène de mondialisation économique que connaissent les grandes métropoles de la région. L’entrée de l’Inde au rang de cinquième puissance mondiale [4] va non seulement consolider l’ascension économique de l’aire régionale, mais également renforcer les effets de la mondialisation. La ville de Mumbai, véritable moteur économique du pays, constitue l’exemple parfait de la conjoncture de ces phénomènes et de leurs influences sur la population autant sur le plan socio-économique qu’environnemental.

OCDE – La croissance mondiale se poursuit.
PIB réel, changement en %, en glissement annuel de 2016 à 2019
https://bit.ly/2pF87Wa

Métropole indienne et ville-monde

Depuis un demi-siècle, Mumbai connait une forte croissance urbaine. Aujourd’hui, la métropole concentre plus de 20 millions d’individus dans son agglomération (5e plus grande au monde) [5].Cette concentration de population (100 000 habitants au km2) s’explique à la fois par l’explosion démographique que connait l’Inde et par l’exode rural généré par l’industrialisation de la ville [6].Si sa place dans l’économie indienne est centrale, c’est parce que Mumbai représente 25% de la production industrielle nationale, 70% des transactions financières et 5% du produit intérieur brut (PNB) d’une économie qui est évaluée à 2 654 milliards de dollars américains en 2018 [7].Ainsi, son centre d’affaires (bourse, sièges sociaux, banques, multinationales) exerce une influence conséquente sur le reste du pays.

La libéralisation des marchés et l’essor de la ville ont été permis par son intégration rapide au processus de mondialisation [8].Dès les années 1990, la capitale du Maharashtra, qui porte le titre de ville-monde [9], est devenue le trait d’union entre l’Inde et l’économie internationale. Elle a obtenu cette place grâce à sa tendance à la privatisation, la dérégulation de son marché financier, son ouverture aux entreprises étrangères et la participation accrue de divers acteurs aux marchés internationaux [10].Cependant, la constante progression de la mondialisation ne s’est pas faite sans répercussions sur une partie de la population qui a vu ses conditions de vie se détériorer [11].

Enjeux socio-économiques : mondialisation favorable et urbanisation défavorable

L’intégration à la mondialisation de la ville de Mumbai a également favorisé l’émergence d’une classe financière et commerciale tournée vers l’international. Alors qu’elle avait déjà accès à une grande part de la richesse [12],cette élite a vu ses pouvoirs renforcés. Néanmoins, l’essor économique de la métropole a aussi accéléré les dysfonctionnements urbains. Le phénomène d’embourgeoisement, qui accentue les disparités entre quartiers et les inégalités socio-économiques, en est un bon exemple. Si la mondialisation a permis la création de quartiers adaptés aux activités de la classe émergente [13], ces espaces réservés à l’élite ont surtout été valorisés [14] au détriment des zones privées d’accès à la manne financière. Le cas du bidonville de Dharavi [15], situé entre l’aéroport de Salsette et le centre financier, illustre bien cette réalité. Alors que le gouvernement a mis en place le Dharavi Redevelopment Project, un partenariat au financement public-privé dans lequel les entrepreneurs immobiliers peuvent obtenir le droit de construire des espaces commerciaux dans les quartiers d’affaires, son coût le rend inaccessible aux habitants de Dharavi.

L’urbanisation entraine aussi une densification des zones pauvres qui amplifie les défis socio-économiques. Comme la plupart des emplois sont offerts par les industries citadines, de nombreux individus en quête de meilleures conditions fuient la pauvreté rurale pour s’installer dans les villes. L’afflux de migrants vers les bidonvilles a entrainé un élargissement des zones de pauvretés, une exacerbation des problèmes de logement, un sous-développement des réseaux de base [16] et l’augmentation des taux de chômage [17]. Ainsi, plus de la moitié de la population de Mumbai vit dans des quartiers mal intégrés aux réseaux urbains. De plus, ces bidonvilles ont des accès restreints au système d’éducation et de santé car l’administration les juge comme illégaux et refuse de les prendre en charge. L’action étatique est donc insuffisante pour affronter les défis d’une urbanisation intensive appauvrissant toujours plus les conditions de vie des habitants.

Quartier commercial et résidentiel de Parel à Mumbai
Crédits : Étienne Tardif-Paradis

Enjeux environnementaux : pollution industrielle et ménagère

L’entrée de Mumbai dans le processus de mondialisation a aussi une incidence sur l’environnement. En effet, la multiplication d’industries nationales et internationales dans les secteurs portuaires (raffineries de pétrole et usines d’engrais) et les transformations modernes (fabrication de machines-outils et d’automobiles) [18] ne sont pas sans conséquence sur le quotidien des habitants. Alors que la croissance de l’activité industrielle entraine l’augmentation d’émission de gaz à effet de serre, l’intensification du transport dans le port de Mumbai, engendrée par la hausse des échanges commerciaux par voies maritimes, crée de la pollution marine (eaux usées, trafic maritime) [19] de par les déchets industriels non traités et jetés à l’eau [20].

En outre, l’urbanisation sauvage et la densification de la population dans les zones défavorisées influencent directement la production de déchets ménagers. Alors qu’elle n’est pas prise en charge par la municipalité [21], la pollution ménagère augmente de manière constante et les quantités de déchets jetés dans la nature entrainent une contamination de l’eau [22] et la prolifération de maladies [23].Ces problèmes environnementaux s’ajoutent aux défis socio-économiques et amplifient la détérioration du quotidien des habitants.

Quartier commercial et international de Colaba à Mumbai
Crédits : Étienne Tardif-Paradis

Alors que la mondialisation économique et la forte urbanisation de Mumbai creusent l’écart entre les zones aisées et les plus défavorisées, détériorent l’environnement et paupérisent les conditions de vie des habitants, le gouvernement indien et la municipalité de la ville ne semblent ni s’alarmer de la situation ni être disposés à proposer des solutions efficaces à ces défis. Sachant que ces phénomènes sont en constante progression et qu’il y a une limite pour l’humain à voir sa condition se dégrader, plusieurs questions restent en suspens. Où est la « ligne rouge » ? Et surtout, qu’est ce que l’État attend pour agir ?

Légende (photo de couverture) : Quartier commercial et résidentiel de Parel à Mumbai
Crédits : Étienne Tardif-Paradis


[1OCDE, 2017.« L’économie de la mer en 2030 » dans Édition OCDE, Paris. En ligne. https://bit.ly/2yhnh7F (page consultée le 6 octobre 2018).

[2Ibid.

[3Ibid.

[4De Vergès, Marie, 2018. « L’Asie grimpe dans le classement des puissances économiques mondiales » dans Le Monde, éd. du 3 février. En ligne. https://lemde.fr/2RvfkVa (page consultée le 6 octobre 2018).

[5Cournoyer-Gendron, Maude, 2013. « Les grandes villes du monde, Mumbai » dans Le réseau de recherche et de connaissances sur la ville et l’urbain, éd. du 10 avril. En ligne. https://bit.ly/2NrbxF7 (page consultée le 6 octobre 2018).

[6Ibid.

[7Bouissou, Julien, 2008. « Bombay, capitale économique et symbole du « rêve indien » » dans Le Monde, éd. du 28 novembre. En ligne. https://lemde.fr/2PdHnHe (page consultée le 6 octobre 2018).

[8Krishnan, Shekhar, 2005. « Les espaces de Mumbai à l’ère post-industrielle » dans Mouvements no 39-40(3) : 31-32.

[9Ibid.,3.

[10Sassen, Saskia, 2004. « Introduire le concept de ville globale » dans Raisons politiques 3(15) : 2.

[11Op. cit, Krishnan,Les espaces, p.32-33.

[12Op. cit, Sassen, Introduire, p.16-17.

[13Op. cit, Cournoyer-Gendron, Les grandes.

[14Dans ces zones urbaines, on retrouve des services municipaux adéquats et des infrastructures de bonne qualité.

[15Le deuxième plus grand bidonville en Asie avec environ un million d’habitants vivant dans un ancien marécage.

[16Services d’électricité, d’eau, de gaz et de collecte des déchets.

[17Op. cit, Cournoyer-Gendron, Les grandes.

[18Durand-Dasyes, François, 2018. « Bombay ou Mumbai » dans Encyclopaedia Universalis. En ligne. https://bit.ly/2O8q2TQ (page consultée le 6 octobre 2018).

[19Ibid.

[20Op. cit, Cournoyer-Gendron, Les grandes.

[21Dans ces zones urbaines, aucun réseau d’égout n’est fourni, les infrastructures sont inadéquates et la collecte de déchet est occasionnelle.

[22Seulement 5% de la population des bidonvilles a accès à l’eau potable.

[23Op. cit, Cournoyer-Gendron, Les grandes.

Candidat à la maîtrise de science politique, mention affaires publiques et internationales, Étienne Tardif-Paradis s’intéresse aux questions liées à la mondialisation et particulièrement au concept de mondialisation par les villes. Dans le cadre de son stage au Bureau du Québec à Mumbai, il a mené des recherches de terrains sur les distorsions sociales, économiques et environnementales créées par la mondialisation économique et l’urbanisation intensive.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.