Bulletin d’analyse sur l’Asie de l’Est et du Sud-Est

Le tourisme de luxe comme solution néolibérale à la dégradation de l’environnement naturel en Thaïlande

mardi 15 septembre 2020, par Alexandre Veilleux

La Thaïlande mise depuis plusieurs années sur l’industrie du tourisme comme vecteur de développement économique. Or, la popularité de la destination auprès des voyageurs a provoqué des conséquences environnementales majeures. Le gouvernement thaïlandais a donc misé sur un tourisme de luxe comme solution durable afin de préserver l’environnement local sans nuire aux bénéfices économiques. Alors que le gouvernement tente de faire de la Thaïlande une destination de qualité par le développement d’un tourisme durable et inclusif [1], cet article explore ce modèle de développement avec une approche critique en remettant en question son aspect durable.

Le tourisme comme choix de développement économique

Le tourisme a été ciblé par plusieurs pays en développement [2] comme principal outil pour générer une croissance économique et réduire l’écart entre pays développés et en développement. C’est notamment le cas de la Thaïlande, dont l’industrie touristique apporte une contribution économique non négligeable dans le pays. En effet, pendant plusieurs décennies, le tourisme était l’un des principaux revenus en devises étrangères de la Thaïlande [3]. Ce secteur contribue à 20 % du produit intérieur brut du pays, en plus de contribuer à 15,5 % du taux d’emploi [4]. Comme plusieurs États, la Thaïlande a longtemps misé sur une augmentation quantitative du nombre de touristes. En effet, le succès associé au tourisme est généralement mesuré en fonction du nombre de visiteurs plutôt qu’en fonction de l’impact de ces touristes sur la population locale et l’environnement [5]. En Thaïlande, le nombre de touristes a doublé entre 2009 et 2019 et ce nombre devrait de nouveau doubler d’ici 2030 pour atteindre les 79 millions de visiteurs par an [6]. Bangkok, la capitale du pays, est d’ailleurs la ville la plus visitée au monde. Cette dernière accueillant annuellement près de 30 millions de touristes internationaux.

L’environnement : la grande victime du tourisme de masse

Le nombre fulgurant de touristes en Thaïlande est venu avec son lot de problèmes environnementaux. L’absence de politique de développement touristique durable a entrainé le pays au 130e rang sur 140 pays du classement du Forum Économique Mondial concernant la durabilité environnementale, la priorité du pays étant accordée à une croissance économique plutôt que sur le développement d’un modèle de tourisme durable. Comme conséquence, on peut notamment citer la fermeture de la célèbre plage de la baie de Maya pour réhabilitation ou alors l’ensemble des déchets plastiques qui s’amassent dans la mer lors des célébrations du « full moon party » et « half moon party ». À ce jour, plus de 77 % des récifs coralliens du pays ont été endommagés en raison du tourisme de masse [7].

Source : Adams, Sam, 2015. « Full-Moon Party in Thailand ends with disgusting scenes as revelers leave beach covered in plastic rubbish » in The Mirror, éd. du 28 décembre.

Ce n’est que dernièrement que le ministère du Tourisme et des Sports a entrepris de mettre l’accent sur un tourisme durable dans le Plan National de Développement du Tourisme 2017-2021. Dans ce plan, l’accent est mis sur un tourisme de qualité plutôt que sur un tourisme de masse dans le but d’atténuer les effets néfastes de cette industrie sur l’environnement et les populations locales. Par « tourisme de qualité », la Thaïlande mise sur un tourisme de luxe ayant une haute valeur monétaire dans lequel moins de touristes visitent le pays, mais où ceux-ci sont plus fortunés et dépensent davantage. L’objectif est donc de trouver un équilibre entre la capacité d’accueil du pays pour préserver les ressources naturelles et culturelles tout en continuant d’accroitre les bénéfices économiques [8].

Le tourisme de luxe comme solution ?

Un tel changement de cap signifie que de nouveaux projets de développement luxueux sont développés notamment dans les villes de Bangkok et de Phuket. À Bangkok, la route Rama IV se transforme en centre financier et commercial notamment à cause du développement d’hôtels de luxe, de centres commerciaux et de condominiums afin d’accueillir des touristes aisés [9]. Quant à la ville de Pattaya, célèbre pour son industrie du sexe, elle connait également des transformations majeures. La ville possède maintenant des hôtels et condominiums cinq étoiles, des parcs aquatiques et des restaurants gastronomiques, faisant en sorte que Pattaya n’est plus la destination sexuelle qu’elle était autrefois.

IconSiam, situé sur les rives du fleuve Chao Phraya à Bangkok, comprend deux résidences de luxe et un hôtel haut de gamme, un immense complexe cinématographique et deux centres commerciaux, dont l’un des plus grands d’Asie. Source : Icon Siam. « The Residences Mandarin Oriental Bangkok ». En ligne. https://www.iconsiammandarinoriental.com/.

Par conséquent, de nombreuses entreprises locales disparaissent pour faire place à un développement haut de gamme et aux complexes de luxe. Cela concentre davantage les bénéfices entre les mains de l’élite, alors que le pays connait déjà l’un des plus grands écarts de richesse entre les plus riches et les plus pauvres. En effet, l’homme d’affaires derrière bon nombre de ces projets est Charoen Sirivadhanabhakdi, le plus grand promoteur immobilier de Thaïlande. Ce dernier a d’ailleurs fait face à plusieurs scandales d’abus de ses relations politiques. D’autres projets comprenant des résidences de luxe, un emporium haut de gamme avec un grand parc sur le toit, ainsi qu’un hôtel de luxe de 250 chambres sont réalisés par le groupe Dusit Tani (une multinationale thaïlandaise) et le Central Group, un conglomérat dont le PDG fait partie des familles les plus riches de Thaïlande. Cela entraîne une hausse importante du coût de l’immobilier, faisant en sorte que les résidents locaux ont de plus en plus de difficulté à payer leur loyer. Ces derniers sont ainsi déplacés au profit de confort et luxe offerts aux touristes étrangers [10]. Ce modèle néolibéral de développement touristique recherche donc le profit comme ultime objectif, en faisant abstraction des besoins des communautés locales et de l’environnement.

Le tourisme de luxe s’inscrit d’ailleurs dans la stratégie du gouvernement visant la relance du tourisme post Covid-19. À cet effet, le pays ouvre tranquillement ses frontières, mais spécifiquement aux voyageurs plus fortunés tels que des chefs d’entreprise afin de leur permettre de voyager au sein des complexes de luxe du pays [11]. Bref, une clientèle prête à payer un prix élevé pour voyager en confort et sécurité.

Une solution élitiste ?

Ce modèle de développement touristique axé sur le luxe est considéré comme étant durable par le gouvernement thaïlandais puisqu’il permettrait de freiner le tourisme de masse en misant sur un nombre de touristes plus restreint, mais mieux nantis. Cependant, plusieurs auteurs réfutent le lien entre tourisme de luxe et durabilité [12]. Alors que l’Organisation mondiale du tourisme indique dans son code d’éthique un droit universel au tourisme, la Thaïlande développe plutôt une industrie sélective et élitiste où la richesse est le critère de base pour obtenir un droit de visite. Bref, un tourisme développé par et pour l’élite. Conséquemment, peut-on réellement parler d’une solution durable et inclusive ?

Légende de la vignette : Centara Grand Mirage, Pattaya. Source : Domaine public.


[1Ministère du Tourisme et des Sports de Thaïlande, 2017. The Second National Tourism Development Plan. Bangkok : Ministère du Tourisme et des Sports de Thaïlande.

[2Britton, Stephen, 1982. « The Political Economy of Tourism in the Third World » in Annals of Tourism Research 9(3) : 331-358.

[3Syngellakis, Stavros, Ulrike Probstl-Haider et Francisco Pineda, 2018. Sustainable Tourism VIII. Southampton : WIT Press.

[4Bangkok Bank, 2019. Tourism : Still a reliable driver of growth ? Bangkok.

[5Becker, Elizabeth, 2017. « Only governments can stem the tide of tourism sweeping the globe » in The Guardian, éd. du 6 août.

[6World Travel & Tourism Council, 2018. Travel & Tourism Economic Impact 2018. Londres.

[7Hess, Jantos, 2019. « Thailand : too popular for its own good » in R. Dodds & R. Butler (dir.), Overtourism : Issues, realities and solutions. Boston : de Gruyter.

[8Sritama, Suchat, 2017. « Focus on quality urged for tourism » in The Bangkok Post, éd. du 29 décembre.

[9Srimalee, Somluck, 2017. « Rama IV becoming ‘new landmark’ for mixed-use developments » in The Nation, éd. du 6 avril.

[10Kuntz, Katrin, 2018. « Bangkok : Losing its soul. Southeast Asia Globe » in Southeast Asia Globe, éd. du 19 juillet.

[11Chuwiruch, Natnicha, 2020. « Thailand Aims to Turn Away From Mass Tourism and Target the Wealthy » in Bloomberg, éd. du 18 juin.

[12Moscarto, Gianna et Pierre Benckendorff, 2011. « Sustainable luxury : oxymoron or comfortable bedfellows ? » in Proceedings of the 2010 International Tourism Conference on Global Sustainable Tourism, 709-728.

Alexandre Veilleux est candidat au doctorat en science politique à l’Université de Montréal et diplômé en développement territorial durable de l’Université KU Leuven en Belgique. Il s’intéresse aux dimensions politiques et sociogéographiques du tourisme en Asie du Sud-Est dans un contexte de mondialisation.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.