Bulletin d’analyse sur l’Asie de l’Est et du Sud-Est

Le programme nucléaire de la Corée du Nord : enjeux et perspectives d’avenir

mardi 25 juin 2013, par Benoît Hardy-Chartrand

La crise coréenne du printemps 2013, lors de laquelle la tension sur la péninsule a atteint un niveau sans précédent depuis deux décennies, a mis en relief la nécessité pour la communauté internationale de trouver une solution à l’état de confrontation quasi permanent qui prévaut depuis la Guerre de Corée. Le programme nucléaire nord-coréen constitue toutefois un obstacle de taille à la stabilité régionale et à une résolution durable du conflit.

Plus de quarante ans après avoir maîtrisé la production du plutonium [1] avec l’aide de l’Union soviétique et après trois décennies de développement nucléaire à des fins spécifiquement militaires, quelles sont aujourd’hui les capacités de la Corée du Nord ? Si les estimations varient, la plupart des experts s’entendent pour dire que Pyongyang possède aujourd’hui entre six et douze armes nucléaires de base, avec possiblement une quantité suffisante de matériaux fissiles pour 23 bombes [2]. Si le régime de Kim Jong-un poursuit sa production de plutonium tout en produisant une quantité limitée d’uranium, la Corée du Nord pourrait posséder jusqu’à 39 armes nucléaires d’ici la fin 2016 [3].

Les sanctions imposées dans le cadre des résolutions du Conseil de sécurité de l’ONU ainsi que les sanctions unilatérales imposées par Washington ont comme objectif premier de restreindre la capacité du régime nord-coréen d’obtenir le financement et le matériel nécessaires au développement de son arsenal. Les sanctions ont sans contredit compliqué la tâche du régime, mais celui-ci jouit depuis longtemps d’un réseau illicite d’approvisionnement lui permettant de contourner les obstacles légaux et institutionnels. Il utilise entre autres des sociétés fictives ainsi que des documents falsifiés qui lui permettent d’importer des matériaux illégaux, dont une grande partie passe par le port de Dalian en Chine. Si Beijing a pris des mesures pour renforcer ses lois ainsi que les contrôles aux frontières et dans les ports, ses efforts demeurent insuffisants pour mettre un terme aux activités de contrebande de Pyongyang [4].

Compagnie féminine de l’Armée populaire de Corée, Pyongyang.

Lorsque l’on traite de la menace posée par le régime de Kim Jong-un, le programme nucléaire est indissociable de son programme de missiles balistiques. Pour poser une menace directe sur la région, Pyongyang doit non seulement être en mesure de miniaturiser ses armes nucléaires afin de monter une ogive sur un missile, mais posséder également des missiles suffisamment fiables et précis. Or, Pyongyang a affirmé avoir maîtrisé la miniaturisation de ses armes après son troisième essai nucléaire, effectué le 12 février dernier. Si le Ministère de la Défense de la Corée du Sud a exprimé des doutes quant à cette possibilité [5], certains experts [6] estiment plutôt que cette déclaration de Pyongyang est à prendre au sérieux. En revanche, les missiles à moyenne et longue portée de la Corée du Nord ne peuvent encore être considérés comme des véhicules suffisamment fiables pour des frappes nucléaires. Bien entendu, le lancement réussi d’une fusée – utilisant essentiellement la même technologie qu’un missile à longue portée – le 12 décembre 2012 a constitué une avancée importante pour le programme nord-coréen. Cependant, l’absence d’essais fréquents de missiles balistiques nécessitant une technologie très sophistiquée suscite de sérieux doutes sur la qualité de ses produits [7].

L’objectif de la communauté internationale reste toujours la dénucléarisation complète. Cela est-il réaliste ? Les efforts visant à dénucléariser la Corée du Nord ont débuté en 2003, avec le premier cycle des pourparlers à six réunissant les deux Corées, la Chine, les États-Unis, le Japon et la Russie. Bien que certains succès modestes aient été atteints au cours des six cycles de négociations, la méfiance entre Pyongyang et ses interlocuteurs a miné toute possibilité de percée réelle. En avril 2009, la Corée du Nord a claqué la porte des négociations en raison d’une déclaration présidentielle du Conseil de sécurité de l’ONU qui condamnait un lancement de fusée effectué précédemment par le régime de Kim Jong-il.

Zone démilitarisée, côté nord-coréen.

À l’issue de la crise du printemps 2013, lors de laquelle la Corée du Nord a menacé de recourir à l’arme nucléaire contre la Corée du Sud et les États-Unis, Pyongyang a laissé entendre qu’elle était prête à parler de dénucléarisation. Nous pouvons nous questionner sur ses intentions, puisque Pyongyang a démontré à plusieurs reprises depuis 2003 une ouverture aux négociations, posant toutefois peu de gestes concrets pour appuyer ses déclarations. Conséquemment, certains acteurs impliqués dans les négociations ainsi que de nombreux experts ont exprimé ouvertement leur cynisme face aux pourparlers à six depuis le dernier cycle [8].

L’immensité de la tâche ne peut être surestimée : il s’agit ici de mettre en œuvre l’un des modèles de compensation et de dénucléarisation les plus ambitieux jamais conçus [9]. De plus, l’arme nucléaire occupe une place prépondérante dans la pensée stratégique de Pyongyang ainsi que dans la propagande du régime. Pour celui-ci, l’arme nucléaire constitue non seulement un outil dissuasif indispensable à sa survie, mais également un outil de politique étrangère qui lui permet de négocier à partir d’une position de force et qui lui a permis à de nombreuses reprises de soutirer des concessions des États-Unis. On rappelle continuellement à la population que l’arme nucléaire fait du pays un « État prospère et puissant » et que sans celle-ci, les États-Unis déclencherait la guerre. De surcroît, Pyongyang a pris de nombreuses mesures pour formaliser son statut nucléaire : la constitution a été amendée en 2012, le préambule précisant que le pays possède l’arme nucléaire ; en avril 2013, l’Assemblée suprême du peuple a adopté une loi afin de rendre officiel le statut d’État nucléaire de la Corée du Nord. Dans les circonstances, compte tenu de l’importance stratégique, politique et idéologique de l’arme nucléaire pour les dirigeants nord-coréens, procéder au démantèlement constituerait un suicide politique [10].

« Longue vie à la grande victoire de la politique Songun (militaire en premier) ». L’arme nucléaire est indissociable de la politique Songun, qui donne priorité à l’armée.

Pendant que l’on attend les conditions propices à la reprise des négociations, Pyongyang poursuit avec peu de contraintes la production de matériaux fissiles nécessaires à l’avancement de son programme nucléaire et à l’accroissement de son arsenal [11]. Ainsi, malgré les sombres perspectives d’avenir, il est impératif pour les puissances régionales, incluant les États-Unis, d’assurer une plus grande coordination afin de garantir une application plus rigoureuse des sanctions et éviter tout effort de prolifération.

Légende (photo de couverture) : Image de propagande qui exhorte à avancer dans la modernité, Corée du Nord.
Crédits photos : Benoît Hardy-Chartrand.


[1« North Korea’s Nuclear Weapons Programme », The International Institute for Strategic Studies, Palgrave Macmillan, New York 2004, p.27.

[2David Albright et Christina Walrond, « North Korea’s Estimated Stocks of Plutonium and Weapon-Grade Uranium », Institute for Science and International Security (ISIS), p.2.

[3Ibid., p.3.

[4Ibid., p.32.

[5« Séoul doute des technologies de miniaturisation des ogives nucléaires du Nord », Yonhap, 12 avril 2013. En ligne. http://french.yonhapnews.co.kr/news/2013/04/12/0200000000AFR20130412001600884.HTML.

[6Voir entre autres Jeffrey Lewis, « North Korea’s Big Bang », Foreign Policy, 13 février 2013. En ligne. http://www.foreignpolicy.com/articles/2013/02/12/north_koreas_big_bang?page=0,0 et « Pyongyang capable d’équiper un missile d’une ogive nucléaire », Yonhap, 24 avril 2013. En ligne. http://french.yonhapnews.co.kr/news/2013/04/24/0200000000AFR20130424002300884.HTML.

[7Markus Schiller, « Characterizing the North Korean Nuclear Missile Threat », RAND Corporation, 2012, p.xiii

[8Benoit Hardy-Chartrand, « Quel avenir pour les négociations sur le nucléaire nord-coréen ? », Chaire Raoul-Dandurand, 7 décembre 2010. En ligne. http://www.dandurand.uqam.ca/uploads/files/publications/rflexions/Chronique_Asie/BH_Chronique_Coree_du_Nord_071110.pdf.

[9James L. Schoff, Charles M. Perry, et Jacquelyn L. Davis, Nuclear matters in North Korea, Dulles, Virginia : Potomac Books, 2008, p.17.

[10B.R. Myers, The Cleanest Race. How North Koreans See Themselves and Why It Matters, Brooklyn : Melville House, 2010, p. 167. Sur l’impossibilité de parvenir à la dénucléarisation, voir aussi Andrei Lankov, « North Korea is a Nuclear Power », Foreign Policy, 12 février 2013. En ligne. http://www.foreignpolicy.com/articles/2013/02/12/north_korea_is_a_nuclear_power.

[11Benoit Hardy-Chartrand, « L’accord Pyongyang – Washington et le défi des États-Unis », Chaire Raoul-Dandurand, 20 mars 2012. En ligne. http://www.dandurand.uqam.ca/uploads/files/publications/rflexions/Chroniques_OG/Chroniquegeopo_20mars2012.pdf.

Chercheur associé à l'Observatoire de géopolitique de la Chaire Raoul-Dandurand de l'UQAM, Benoît Hardy-Chartrand est membre associé du CÉTASE depuis février 2013.

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