Bulletin d’analyse sur l’Asie de l’Est et du Sud-Est

La représentation de la femme dans les films de Bollywood

mardi 7 avril 2020, par Diana Dimitrova

Le succès incroyable au box-office du film de Bollywood Ham apke hain kaun (Qui suis-je pour vous ?), en 1994, a alimenté la prédominance du genre de « spectacle familial » dans les films des années mi-1990. Ce sont des histoires d’amour pleines de chansons, de danses et d’événements spectaculaires culturels comme des mariages, situées dans le contexte de familles extrêmement riches, élargies, et souvent transnationales. Ce film a créé des tendances pour le cinéma de Bollywood dans les années 1990 en termes de thèmes, styles visuels, musique, et marketing.

Le terme « film Bollywood » signifie le cinéma populaire hindi-ourdou de l’Inde, dont le centre est à Mumbai (Bombay). Il a été suggéré que le terme « Bollywood » ne soit pas parfait, étant donné qu’il implique que le cinéma hindi soit une dérivation de Hollywood ce qui pourrait donc être considéré comme un terme insultant. Néanmoins, il est le terme dominant global utilisé pour l’industrie cinématographique en langue hindi prolifique à Bombay et fait aussi partie du jargon académique dans les titres de nombreux livres récents sur le cinéma populaire hindi-ourdou. Cette appellation sera donc utilisée dans le présent article pour faire écho à sa popularité .

Quel est le rôle des films dans la marginalisation des femmes dans la société indienne ?

Même s’il n’est pas possible d’offrir une réponse complète à la question complexe de l’altérisation des femmes en Inde, une explication possible à l’objectivation, la marginalisation et la violation des droits de la femme en Inde réside dans la façon dont les images hindoues du féminin ont été affectées et interprétées dans les films, la télévision et les médias. Ceux-ci façonnent le discours public sur les positions, les droits et la perception des femmes dans la société . Cette perception publique de la femme a pour conséquence de sanctionner certains comportements et attitudes envers les femmes. Par exemple, si le cinéma Bollywood des années 1980 tolérait le viol - et même le viol collectif - des femmes instruites et « occidentalisées », et que les films d’horreur de l’Inde d’aujourd’hui promeuvent le viol des femmes, on ne devrait pas être surpris que le viol et la violation des droits des femmes représentés dans les médias et le cinéma soient imités par de nombreux agresseurs dans la société indienne d’aujourd’hui.

Si on examine certains films récents qui ne présentent pas nécessairement une interprétation ouvertement misogyne de la femme, tels que Ham apke hain kaun (Qui suis-je pour vous ?), Kuch kuch hota hai (Quelque chose se passe), Khalnayak (Le méchant), Dil cahta hai (Le cœur désire), Devdas (Devdas) et Ham Dil De Cuke sanam (Mon cœur est déjà pris), on constate que, même si le sujet est moderne, la notion du féminin dépeinte dans ces productions est principalement conservatrice et traditionnelle. Comment peut-on expliquer cette fascination pour les archétypes traditionnels du féminin ? Comme pour la plupart des traditions religieuses, la tradition hindoue a produit non seulement des images conservatrices, mais aussi des images libératrices du féminin. Ainsi, on peut se référer aux figures mythiques soumises de la déesse-conjointe, qui sont incarnées par la figure docile et obéissante de la déesse hindoue Savitri , mais aussi aux modèles mythiques de la déesse indépendante représentée par Devi et la poète bhakti Mirabai.

Ham Dil De Cuke sanam (Mon cœur est déjà pris) sorti en 1999. Source : SLB Films

Le cinéma hindi populaire renforce l’image obéissante de Savitri qui est pleine de dévotion face à son mari-seigneur et présente cette image comme étant le modèle à imiter par toutes les femmes. Les films de Bollywood représentent généralement un point de vue masculin orthodoxe ce qui alimente une vision conservatrice et traditionnelle de la féminité. Ce n’est pas Devi ou Mirabai qui incarnent l’idéal du féminin dans ces films, mais bien Savitri, la femme obéissante et dévouée.

Au-delà des relations entre les femmes et leur mari, on peut observer des représentations contradictoires au sujet de l’éducation des femmes dans le cinéma de Bollywood. Dans les films des années 1980, l’éducation des femmes est présentée soit comme indésirable, ou comme souhaitable, mais seulement dans un contexte domestique. Les femmes instruites sont dépeintes comme trop indépendantes et égoïstes, trop « occidentalisées ». Les femmes indiennes « occidentalisées » sont souvent violées dans les films hindis et sont donc « punies » pour ne pas suivre le modèle Savitri. Par contre, les femmes qui sont soumises et qui adhèrent à la tradition sont décrites comme étant « récompensées » par un mariage heureux.

Les représentations du féminin dans les films Bollywood soulèvent plusieurs questions. Quelles sont les raisons de cette image négative des femmes instruites, libérées et indépendantes ? Comment pouvons-nous expliquer cette assimilation de la femme « moderne » aux idéaux « occidentaux » du féminin ? Pourquoi ce modèle « occidental » pour les femmes est-il automatiquement compris comme l’antithèse de celui des Indiens ? Pourquoi est-ce que les films Bollywood insinuent que les femmes devraient revenir aux images traditionnelles indiennes du féminin ? Et pourquoi le modèle indien désirable pour les femmes est associé à Savitri, la femme soumise, et non pas avec Devi, le modèle de la femme habilité ? Pourquoi est-ce que le succès des films commerciaux semble subordonné à l’affirmation de notions traditionnelles du genre ?

Les raisons expliquant la construction d’un genre se référant aux images traditionnelles des femmes hindoues ne sont pas seulement de natures religieuses et littéraires. Elles confirment la complexité de la situation postcoloniale sociopolitique et culturelle de l’Inde d’aujourd’hui. Sur les plans religieux et politiques, le fondamentalisme culturel et les réactions contre l’influence ainsi que l’idéologie anglo-américaine et occidentale ont mené à une nouvelle définition de l’éthique et de l’identité hindoue dans cette période postcoloniale. La notion séculaire de l’Hindutva, qui comprend l’hindouisme comme une réalité culturelle et politique unificatrice dans l’Inde moderne et non pas comme un concept religieux de « dharma hindou » (devoir religieux et moral de chaque hindou de suivre les règles et les obligations du système de caste et de stade de vie), est la source du processus général de remythologisation conservatrice du présent. Il existe donc un appel à revenir à la tradition orthodoxe et aux valeurs religieuses. Les médias, en particulier le cinéma indien populaire, renforcent la figure soumise de pativrata, terme désignant une femme complètement loyale et dédiée à son époux, et de Savitri, comme un symbole de l’Hindutva. Par conséquent, les représentations plus libérales de la féminité sont stigmatisées, c’est-à-dire qu’elles sont considérées comme « occidentales », non indiennes et indignes d’être imitées par les femmes d’aujourd’hui.

Légende (photo de couverture) : Ham apke hain kaun (Qui suis-je pour vous ?) sorti en 1994. Source : Capture du film

Diana Dimitrova est professeure titulaire d’hindouisme et de traditions de l’Asie du Sud à l’Institut d’études religieuses de l’Université de Montréal. On lui a décerné un doctorat en Indologie moderne (études sud-asiatiques), en Indologie classique et en études anglaises et américaines à l’Université d’Heidelberg, Allemagne.

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