Bulletin d’analyse sur l’Asie de l’Est et du Sud-Est

La crise immobilière au Vietnam et ses effets sur la production des villes

lundi 20 janvier 2014, par Clément Musil, Danielle Labbé

Depuis 2008, après plus de vingt ans d’emballement et d’euphorie, le marché immobilier vietnamien connait une importante période de ralentissement. Pour plusieurs observateurs, il s’agit d’une crise majeure, puisque celle-ci pèse sur les autres secteurs économiques et maintient l’économie du pays dans une incertitude de croissance. La croissance économique est ainsi passée d’environ 8% en 2000 à 5,7% en 2008. Cette crise produit des effets singuliers sur les villes, questionnant les modes de production des métropoles vietnamiennes.

Bien que l’essoufflement du marché immobilier au Vietnam se soit fait sentir après l’éclatement de la bulle des subprimes américaines, le phénomène apparaît n’être que partiellement lié au ralentissement économique global. Dans la seconde moitié des années 2000 le système financier vietnamien était en effet encore peu connecté aux marchés internationaux. Dans son amorce, cette crise présente deux particularités. D’abord, elle résulte d’une spéculation effrénée à laquelle ont participé de nombreux acteurs économiques (promoteurs immobiliers, particuliers, banques, etc.). Ensuite, elle a débuté après que le gouvernement ait adopté des mesures visant à juguler l’inflation dans le pays – inflation en partie due à l’envol des encours de crédits immobiliers.

Concrètement, entre 2008 et 2013, la crise s’est traduite par un effondrement de l’ordre de 50% des prix des logements neufs résidentiels destinés aux classes moyennes et aisées, par un ralentissement de l’activité de construction et par des retards dans la livraison des projets. Les bénéfices de grands promoteurs locaux tels que Hoang Anh Gia Lai et Sacomreal ont chuté respectivement de 89% et 83% entre 2010 et 2011. Le marché immobilier est désormais plombé par un surplus de l’offre résidentielle et tertiaire. À la fin de l’année 2012, le Ministère de la Construction recensait ainsi 50 000 appartements et villas invendus à l’échelle nationale [1].

Maisons particulières invendues, zone de développement urbain de Viet Hung, Hanoi, Juillet 2013

Malgré l’adoption en juin 2013 d’un plan gouvernemental de sauvetage du secteur immobilier de 1,4 milliard USD, la crise s’installe et bouscule le développement des villes. Trois effets sont particulièrement révélateurs des transformations à l’œuvre.

Tout d’abord, la crise a suscité l’apparition de conflits inédits, notamment entre particuliers et promoteurs d’opérations résidentielles à Hanoi et Hô Chi Minh-Ville. En cause, le mode de financement de ces opérations qui repose sur la « vente sur plan ». Dans ce système, les acheteurs paient au promoteur, soit partiellement ou en totalité, un bien dont la construction n’est pas achevée. Tant que le cycle de l’immobilier était à la hausse, ce mode de financement avantageait les promoteurs, qui limitaient leurs apports en capitaux et leurs emprunts bancaires, et les particuliers, qui pouvaient revendre leurs logements avant leur livraison et empocher de fortes plus-values. Mais avec les restrictions fixées par le gouvernement sur les crédits hypothécaires et le fléchissement des ventes, de nombreux promoteurs sont dans l’incapacité de livrer les logements prévus, certains ayant même fui avec les acomptes des acheteurs. Les conflits générés par ce mode de financement imposent désormais à l’Etat de légiférer afin de protéger les acheteurs des dérives de la « vente sur plan » et de contraindre les promoteurs à plus de transparence dans le financement et la gestion de leurs opérations.

La crise immobilière a ensuite poussé à une redistribution des rôles sur le marché entre acteurs étrangers et locaux. Concernant les particuliers étrangers, de nombreuses contraintes leur limitaient jusqu’à présent l’accès à l’achat d’un bien immobilier. Le gouvernement envisage désormais un assouplissement de la réglementation [2]. L’objectif est clair, les particuliers étrangers sont des acheteurs potentiels, ces derniers pourraient accélérer la liquidation des invendus et relancer le marché.

Pour les promoteurs étrangers, des changements sont également apparus. Alors que ces derniers investissaient principalement dans l’immobilier de bureaux ou l’hôtellerie, la crise a ouvert de nouvelles opportunités, notamment dans l’immobilier résidentiel, segment jusque-là dominé par les promoteurs locaux. Outre l’investissement direct, de nouvelles voies d’investissement se sont précisées tel que le rachat de projets de promoteurs locaux en difficulté. C’est le cas du projet de condominiums « Parc Spring » à Hô Chi Minh-Ville où le promoteur vietnamien, Khang Dien, a revendu 95% de son opération à un concurrent singapourien. Des investisseurs étrangers sont également entrés dans le capital d’importants groupes de promotion vietnamiens. Le groupe Vincom a ainsi cédé en 2013 20% de sa filiale Vincom Retail au fonds d’investissement Warburg Pincus.

Un autre effet de cette crise mérite d’être mentionné, car il touche directement le fonctionnement des villes. Depuis 2003, l’Etat central a accordé aux provinces et aux grandes villes le pouvoir de collecter les taxes foncières de façon autonome et d’intégrer ces recettes à leurs budgets. A Hô Chi Minh-Ville, la part du revenu généré par les taxes foncières dans le budget municipal était de 28% en 2010. Or avec la crise immobilière, cette part est descendue à 20% en 2012, ce qui représente un manque à gagner de plus de 2200 milliards de VND (soit 120 millions USD) pour la ville. La majeure partie des revenus fonciers ne provient pas des taxes liées à l’utilisation de terrains, mais des taxes portant sur les transactions et les mutations de parcelles. Alors que le marché immobilier est actuellement gelé, les villes sont privées de revenus importants qui normalement contribuent au financement de leurs infrastructures.

La crise immobilière qui persiste depuis cinq ans au Vietnam ne touche pas seulement les acteurs du marché, promoteurs et particuliers. Elle affecte de manière préoccupante les villes qui rencontrent de réelles difficultés à assurer la production de logements destinés à toutes les catégories sociales de citadins ainsi qu’à produire les nouvelles infrastructures permettant leur expansion et leur développement socioéconomique.

Crédits (photo de couverture) : Clément Musil.
Crédits (photo - corps de texte) : Clément Musil.


[1VIR (2013) « Is the big bail-out really helpful », Vietnam Investment Review, 22-28/04/2013, p.12.

[2CBRE (2013) « The Ministry of construction : foreign nationals should have more chances to buy houses in Vietnam », 14/09/2013. http://www.cbrevietnam.com/wp-content/uploads/2013/08/130816-CBRE-ViewPoint-on-Foreigner-Purchasing-House-EN.pdf

Chercheur associé à l’IPRAUS (Institut Parisien de Recherche Architecture Urbanistique Société - Ecole Nationale Supérieure d’Architecture de Paris-Belleville) et à l’IRASEC (Institut de Recherche sur l’Asie du Sud-Est Contemporaine), Clément Musil s’intéresse aux questions associant transport et utilisation du foncier dans les villes du sud-est asiatique.
Professeure adjointe à l'Institut d’urbanisme de l'Université de Montréal, Danielle Labbé est membre associée du Centre d'études de l'Asie de l'Est et vice-présidente du Conseil canadien des études sur l'Asie du Sud-Est (CCEASE).

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