Bulletin d’analyse sur l’Asie de l’Est et du Sud-Est

Comment l’élection américaine influencera-t-elle la relation entre les États-Unis et la Corée du Nord ?

lundi 4 janvier 2021, par Étienne Daoust

Pour tenter de répondre à cette question qui sera d’actualité en 2021, on peut remonter au concept sociologique du « Han » Coréen qui a fait l’objet de nombreuses études [1]. Nous pourrions résumer ce « Han » par le fait que la Corée a été souvent envahie durant son histoire, en étant un pays petit juxtaposé à des géants (Chine, Mongolie, Japon…), soulignant ainsi la précarité du fait coréen jumelée à une richesse convoitée par ces empires. Pour la Corée du Nord, le « Han » présente une particularité locale : les Nord-Coréens ont réussi à vaincre un tout nouvel envahisseur, les États-Unis, lors de la guerre de Corée (un énoncé très discutable) contrairement à la Corée du Sud. Le Nord est donc la seule vraie Corée qui existe, qui a réussi à repousser un envahisseur, et qui doit aider le peuple du Sud face au gouvernement local corrompu par cet ennemi.

Nécessairement, il importe d’établir la perception du gouvernement nord-coréen de Donald Trump et de Joe Biden au moment de l’élection américaine de 2020 afin d’actualiser ce positionnement historique dans les évolutions récentes de la relation. Pour ce faire, un exercice simple permet d’arriver à cette fin, c’est-à-dire en analysant le ton des publications des médias nord-coréens au sujet des États-Unis.

Dans son récent livre « Rage », Bob Woodward [2] expose des échanges de messages entre Donald Trump et Kim Jong-Un évoluant dans le temps au fil de l’évolution des négociations et de leurs échanges. En comparant la teneur de ces échanges avec les publications journalistiques nord-coréennes de dates comparables, on remarque une forme de corrélation presque parfaite entre la qualité de la relation Trump-Kim et le choix des mots utilisés pour qualifiés les Américains dans les médias, ce qui pourrait faire l’objet d’une longue étude en soi. Reporter sans Frontière place la Corée du Nord au dernier rang mondial en termes de liberté de Presse, expliquant probablement cette corrélation.

Depuis la fin des échanges cités dans ce livre, soit il y a environ un an, on peut extrapoler l’évolution de la perception de Trump par Kim. Celle-ci serait actuellement plutôt mauvaise sans pour autant être aussi critique que lors des escalades de tension que nous avons vues en 2017. En comparaison avec la période sous l’administration Obama, nous pouvons également statuer que la relation entre Trump et Kim en 2020 est malgré tout meilleure que la relation entre Obama et les autorités nord-coréennes durant toute la durée de sa présidence.

Ligne de temps qui démontre l’évolution de la relation entre la présidence américaine et la Corée du Nord depuis l’arrivée d’Obama jusqu’à l’élection de Joe Biden. Source : Auteur

En 2020, les critiques des médias coréens ont été dirigées envers les « États-Unis » en général, mais jamais directement envers le président américain. De plus, lorsque Trump fut atteint de la Covid-19 en octobre 2020, Kim lui a officiellement envoyé des vœux de prompts rétablissements, malgré l’apparente absence d’évolution dans les négociations stratégiques récentes.

Pour ce qui est de Biden, un article publié par le journal nord-coréen Korean Central News Agency (KCNA) [3] le 21 mai 2019, au moment où il était perçu comme favori au début de l’investiture démocrate, était dévastateur en termes d’attaques personnelles. KCNA répond ainsi à un propos de Biden où la question nord-coréenne (RPDC) était abordée : « Ce qu’il a dit n’est qu’un sophisme d’un imbécile dépourvu des qualités élémentaires qu’un être humain doit posséder, sans parler de celles d’un politicien (…) Pour être clair, nous ne pardonnerons jamais à quiconque osera provoquer la direction suprême de la RPDC, mais nous le fera certainement payer. Biden ferait mieux de repenser à la raison de ses deux derniers échecs aux élections présidentielles et de se souvenir que la prudence devrait faire partie intégrante de la démarche d’un candidat à la présidentielle. » [4]

Bref, bien qu’on ait vu la relation évoluer rapidement et plutôt positivement avec Trump, les choses semblent mal débuter pour la présidence de Biden. En plus, cet article est le seul ayant été publié à l’international par les Nord-Coréens au sujet de Joe Biden jusqu’à l’élection américaine de 2020. Et depuis l’élection américaine ? Rien, aucun article n’a été publié en Corée du Nord selon nos sources. Cette abstention peut être analysée de plusieurs façons, par exemple :

-  Biden n’a pas encore fait de grandes déclarations au sujet de la Corée du Nord, il n’y a pas de presse.

-  La contestation de l’élection par Trump semble légitime pour la Corée du Nord, alors annoncer sa défaite serait précipitée.

-  L’état de santé de Kim Jong-Un, faisant l’objet de rumeurs en 2020, ne serait pas suffisamment bon pour reprendre un rythme de pourparlers diplomatiques.

En septembre 2018, alors que la relation Trump-Kim était particulièrement favorable, j’étais de nouveau en Corée du Nord et un guide local a accepté de me parler politique. Il m’a dit : « Au moins Trump essaie de faire quelque chose, Obama n’a rien fait. Ce n’est pas important s’il fait ça pour de mauvaises raisons comme son égo, ça rapportera à des millions de personnes, et c’est ça qui est le plus important. (…) Le peuple coréen est séparé uniquement à cause d’étrangers, pourquoi nous n’avons pas le droit d’être unis comme les autres peuples de la planète ? Alors toute action posée en vue de la réunification est une bonne chose. »

L’arrivée de Biden se fera dans ce contexte. L’inaction serait mal perçue par la Corée du Nord, alors Biden devrait poursuivre les pourparlers sans risquer d’être vu par les démocrates comme poursuivant l’œuvre de Trump : il doit faire mieux sans l’imiter. Une visite de Biden à Pyongyang et non à la frontière, serait mieux perçue qu’un sommet en territoire neutre (Mongolie ?). Rappelons-nous qu’en 1994, Jimmy Carter fut envoyé par le démocrate Bill Clinton négocier à Pyongyang. Alors pour les Nord-Coréens, le parti politique américain derrière les négociations importe peu.

Malgré ce texte de KCNA, Biden débute en meilleure position que Trump après la valse d’insultes de 2017, alors Kim Jong-Un a tout à gagner à attendre de voir comment Joe Biden discutera de la situation nord-coréenne. Les prochains mois seront très intéressants car, même si la relation semble débuter sur de mauvaises bases, nous avons vu qu’il est possible qu’elle change très rapidement !

Légende de la vignette : Kim Jong-Un. Source : Korean Central News Agency (KCNA), 30 novembre 2020.


[1Par exemple, voir Myers, B. R., 2010. The cleanest race : How North Koreans see themselves and why it matters. New York : Melville House. 153-171.

[2Woodward, Bob, 2019. Rage. New York : Simon & Schuster.

[3Le site KCNA.kp est disponible pour tous par internet, mais l’utilisation d’un proxy est souvent nécessaire afin d’y accéder.

[4Traduction de « What he uttered is just sophism of an imbecile bereft of elementary quality as a human being, let alone a politician (…) Explicitly speaking, we will never pardon anyone who dare provoke the supreme leadership of the DPRK but will certainly make them pay for it. Biden had better think back the reason for his past two failures in presidential elections and remember that prudence commensurate with the object is integral to a presidential candidate. »

Titulaire d’un maîtrise en administration de HEC Montréal et actuellement en rédaction d’un mémoire sur les Impacts des Nouvelles Technologies sur la Société Nord-Coréenne via le programme de Science, Technologie et Société de l’UQAM, Étienne Daoust est spécialisé sur la société nord-coréenne. Ayant effectué 4 voyages distincts pour un total de 36 jours à travers les différentes régions de ce pays, il est l’un des québécois ayant la plus grande expérience sur place. Son mandat de chercheur le conduit à titre de conférencier sur les questions nord-coréennes, ainsi que sur les ondes de Radio-Canada et du groupe TVA.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.