Un accord signé dans le dos de Paris
En 2016, la France signe un contrat avec Canberra pour la vente de 12 sous-marins à propulsion diesel-électrique. Cependant, le 15 septembre 2021, le nouvel accord Australie-Royaume-Uni-États-Unis (AUKUS) annoncé par le président américain Joe Biden vient entraver les plans français [1]. Cela sera perçu par Paris comme un « coup dans le dos » selon son ministre des Affaires étrangères, Jean-Yves Le Drian [2]. Concrètement, ce partenariat se manifeste sous la forme d’un accord concernant la fourniture de sous-marins à propulsion nucléaire à l’Australie, mais va bien au-delà : partage d’informations et de technologies, intégration dans les domaines de la recherche scientifique [3], présence accrue de l’armée américaine en Australie, potentielle mise en place de chaînes d’approvisionnement autonomes en terres rares et semi-conducteurs [4].
Les Inquiétudes de la Chine
Ce nouvel accord fait parler en Asie, puisque la Chine y suspecte un objectif implicite : endiguer sa montée en puissance par le contrôle des eaux internationales [5]. Le partenariat AUKUS pourrait en effet être considéré comme une menace puisqu’il met en place un ordre régional dominé par des puissances occidentales et pouvant générer des comportements de complaisance vis-à-vis de Washington [6]. Les visites de haut-représentants américains en Asie du Sud-Est se multiplient, témoignant également de l’intérêt américain pour la région [7]. L’accord peut aussi être considéré comme un concurrent de l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN) capable d’établir une réponse coordonnée à la montée en puissance de la Chine [8]. C’est alors toute la centralité et la vision Indo-Pacifique de l’ASEAN qui sont remises en cause par l’influence de l’Occident.
Enjeux Stratégiques pour une ASEAN qui se veut neutre
La Chine n’est pas la seule inquiète puisque l’annonce de l’AUKUS fait réagir au sein de l’ASEAN : Singapour et les Philippines craignent une escalade sino-américaine [9] ; l’Indonésie s’inquiète pour sa frontière maritime directe avec l’Australie ; et le Vietnam y voit un bénéfice quant à ses litiges insulaires avec l’empire du milieu [10]. Le principe de non-intervention de l’ASEAN fait également l’objet de discours malais et indonésiens, qui redoutent d’être poussés à prendre parti entre ces grandes puissances. En effet, les membres de l’ASEAN, déjà très dépendants de la Chine, prônent leur neutralité et leur centralité au sein de la région [11]. C’est pourquoi, historiquement, ils ont été réticents à la présence d’acteurs extérieurs [12]. Bien qu’une consolidation de l’ASEAN en vue d’un nouveau jeu de puissances en Indo-Pacifique puisse être envisageable, le Cambodge, qui a la présidence de l’organisation pour 2022, n’est pas un leader doté des prérogatives nécessaires à l’amorce de ladite consolidation [13].
Sous-marin australien. Source : IStock.
L’Australie, bénéficiaire mais prudente
Par l’acquisition de sous-marins avec ce système de propulsion, l’Australie aura la possibilité de déplacer ses navires rapidement et efficacement dans l’Océan Indien, un océan vaste dans lequel la vitesse de déplacement est primordiale. Un nouveau revers pour Pékin. Un traité fait également de l’Asie du Sud-Est une zone exempte d’armes nucléaires et d’armes de destruction massive. C’est la raison pour laquelle l’Australie tient à souligner que les sous-marins qui lui seront fournis ne sont pas des sous-marins nucléaires [14]. Dans le cas où il s’agirait bel et bien de sous-marins nucléaires, l’Australie se verrait alors dans l’illégalité aux yeux du Traité de non-prolifération.
La France ne renonce pas
En France, Jean-Yves Le Drian avait rappelé à l’Australie la présence de contrats et d’engagements précis desquels il sera difficile de sortir [15]. Invité à New Delhi en mars 2018, le président français souhaitait faire de l’Inde le premier partenaire stratégique français dans la région, incluant l’Australie, pour répondre à la montée de la Chine, au terrorisme, et au changement climatique [16]. Il avait aussi qualifié la vente de sous-marins à l’Australie comme « la première étape d’un approfondissement de la coopération » [17]. C’est dans le cadre du retrait de l’Australie du contrat et de la création de l’AUKUS qu’Emmanuel Macron a rencontré le président indonésien afin de travailler à un « véritable partenariat stratégique » dans l’Indo-Pacifique, selon les termes de l’Élysée [18].
Le partenariat AUKUS vient mettre de l’huile sur le feu dans une région déjà très instable, animée de conflits entre l’Inde et la Chine, de litiges sur la possession de nombreuses îles, et de tensions concernant le statut de Taïwan. Il est difficile de prévoir comment la géopolitique régionale se présentera dans les années à venir, mais une chose reste cependant certaine : les diplomates seront mis à rude épreuve.