Urne funéraire Yanghsao [3]
La découverte de la culture néolithique Yangshao 仰韶 ( 5000-3000 av. notre ère) par le géologue suédois Johan Gunnar Andersson (1874–1960) en 1921 est souvent considérée comme l’événement marquant le début de l’archéologie moderne en Chine. Outre son importance scientifique, c’est plutôt la controverse entourant sa découverte qui a fait couler beaucoup d’encre. En se basant sur des similitudes stylistiques entre la poterie Yangshao et celles provenant d’autres cultures de l’Asie centrale et du sud de la Russie, Andersson suggéra que la culture Yangshao et, par extension, la culture chinoise, auraient des origines occidentales [4]. Cette hypothèse diffusionniste fondée sur des inférences prématurées [5] provoqua alors une vive réaction de la part de l’élite intellectuelle chinoise, alimenta de nombreux débats controversés, et fut la source de motivation de plusieurs recherches archéologiques dédiées à reconstruire un nouveau narratif basé sur une origine autochtone de la civilisation chinoise [6].
Reconstruction du crâne d’Homo erectus provenant de Zhoukoudian [7]
Situé en périphérie de Beijing, Zhoukoudian 周口店 figure parmi les sites les plus importants pour retracer l’évolution humaine. Découvert en 1918 par Johan Gunnar Andersson, ce complexe composé de plusieurs grottes a livré une molaire attribuée à Homo erectus, à l’époque identifiée Sinanthropus pekinensis ou encore « l’Homme de Pékin » [8]. D’autres restes fossiles, dont une calotte crânienne complète découverte en 1929 par le paléoanthropologue chinois Pei Wenzhong 裴文中 (1904-1982) [9], ont par la suite confirmé la présence d’Homo erectus en Asie de l’Est au Pléistocène moyen. À une époque où la trajectoire évolutive de la civilisation chinoise était vivement débattue, « l’Homme de Pékin » a servi à appuyer l’hypothèse d’une origine autochtone de l’ethnie chinoise [10] en incarnant l’idée d’une espèce qui aurait donné naissance au peuple chinois [11].
Exemple d’os divinatoires (plastrons de tortues) de Yinxu [12]
Dirigée par l’archéologue Li Ji 李济 (1896-1979) entre 1928 et 1937, la première saison de fouilles scientifiques au site Yinxu 殷墟 ( 1250-1050 av. notre ère) près de la ville d’Anyang [13] a été un point tournant puisqu’elle a confirmé l’historicité doutée de la dynastie Shang [14]. Les fouilles ont notamment révélé plusieurs centaines d’objets en bronze, les fondations de temples et palais, de nombreuses tombes royales, des sacrifices humains, ainsi que des os oraculaires sur lesquels on retrouve les plus anciennes traces du système d’écriture chinoise [15]. Grâce à ces inscriptions divinatoires, les archéologues ont réussi à reconstruire, d’une part, le mode de vie de l’élite Shang [16], et d’autre part, la généalogie royale de cette dynastie. En corroborant ainsi les écrits historiques dont plusieurs intellectuels remettaient en question la véracité [17], l’archéologie a su prouver sa valeur scientifique et se tailler une place parmi les autres disciplines historiques.
Archéologues sur le site en 1979 [18]
Depuis sa découverte en 1974 près de la tombe du premier empereur Qin Shi Huang 秦始皇 (259-210 av. notre ère) à Xi’an, l’Armée de terre cuite (Bīngmǎyǒng兵马俑) ne cesse de frapper l’imaginaire collectif par sa monumentalité et le réalisme de ses statues. Le site renferme ce qui est considéré être une réplique d’une armée complète destinée à protéger l’empereur dans l’au-delà, incluant fantassins, officiers militaires, archers, cavalerie [19], de même que des membres de la cour tels que des serviteurs, musiciens et acrobates [20]. La découverte du mausolée de l’empereur fut un autre moment charnière puisqu’il s’agissait non seulement du premier cas de concordance parfaite entre textes historiques et vestiges archéologiques [21], mais aussi du premier site archéologique chinois à avoir attiré l’intérêt des médias internationaux [22].
Exemple de masque de bronze [23]
Les récentes fouilles au site archéologique Sanxingdui 三星堆 ( 1700–1150 av. notre ère) dans le bassin du Sichuan ont fait la manchette des journaux en 2021 après avoir dévoilé un masque en or, des masques et arbres en bronze, des objets en ivoire et en jade, ainsi que du riz et des graines carbonisés [24]. Sa culture matérielle a grandement attiré l’attention des archéologues puisqu’elle démontre une esthétique fort différente de celle des cultures des Plaines centrales, et ses colossales statues anthropomorphiques aux yeux exorbités, arbres et sculptures d’animaux en bronze [25] indiquent une maîtrise élevée de la métallurgie [26]. S’étant développée de manière indépendante – mais non pas isolée – à l’extérieur des Plaines centrales reconnues pour être « le berceau de la civilisation chinoise », Sanxingdui a profondément bouleversé la chronologie établie en venant ternir le narratif dominant d’une origine monolithique de la culture chinoise [27].
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Bien que la pratique archéologique en Chine soit encore jeune, ses accomplissements sont déjà nombreux. Servant à mainte reprise de contre-exemple aux conventions établies par les modèles théoriques classiques profondément ancrés dans les traditions européenne et levantine, l’archéologie chinoise est venue redéfinir notre compréhension du développement de l’agriculture, de la poterie, de l’écriture et des sociétés étatiques. Aujourd’hui, l’archéologie chinoise atteint son paroxysme et bénéficie, plus que jamais, d’une tribune privilégiée. Ainsi, à la lumière des récents développements où de plus en plus de projets archéologiques à l’étranger voient le jour et où l’expertise de la Chine commence à attirer des archéologues [28], tout porte à croire que ce second siècle sera, au contraire du premier, caractérisé par une archéologie chinoise centrée sur elle-même, celui d’une archéologie et d’une Chine tournées vers le monde.