Bulletin d’analyse sur l’Asie de l’Est et du Sud-Est

Xi Jinping et le système de crédit social : Surveiller pour mieux régner

lundi 28 février 2022, par Karel Sauvageau , Yan Lasnier-Le Quang

Ce système a été instauré en 2014, sous la présidence de Xi Jinping, dans le but d’inciter les citoyens et les entreprises à respecter les directives sociales et économiques véhiculées par le Parti communiste chinois (PCC). Le système d’attribution des points varie entre les différentes provinces et villes. Les habitants gagnent et perdent des points en fonction des gestes qu’ils posent au quotidien, ce qui détermine le rang social dans lequel ils se situent. Ceux ayant un score faible sont supervisés par les autorités locales et peuvent même se retrouver sur la liste noire du PCC, restreignant ainsi leurs droits. Cet appareil politique serait en outre devenu une mobilisation du totalitarisme chinois dirigé par la construction de données technologiques [1]. Un moyen coercitif, mais tout aussi subtil, pour un pays où le développement technologique était déjà à son summum. L’intégration de l’intelligence artificielle dans un système de contrôle, avec des efforts soutenus pour imbriquer l’individualité au sein du collectif, est devenue une « nouvelle normalité » [2].

La Chine multiplie ses initiatives pour limiter les dissidences internes, notamment en surveillant étroitement ses citoyens grâce au système de crédit social. Un plan de ce dispositif a d’abord été esquissé par le Conseil d’État chinois dans le but de solliciter les habitants à adopter de bons comportements, tels que de payer ses dettes à temps, ne pas traverser la rue lorsque le feu est rouge ou à respecter les lois [3]. Par ailleurs, pour maintenir un bon crédit social ou bien augmenter un mauvais score, les individus qui utilisent davantage les applications de paiements mobiles, qui effectuent le plus de dons d’argent ou de sang, qui respectent les consignes de signalisation ou qui passent le moins de temps à jouer à des jeux vidéo en ligne [4] conservent de meilleurs scores. Le système de crédit social vise aussi à inciter les firmes nationales et étrangères à se conformer aux lois applicables aux entreprises. L’implantation d’un tel système peut permettre d’éviter des incohérences aux niveaux de la détermination des salaires, de la sécurité alimentaire, de la sécurité au travail, ainsi que de l’inconduite vis-à-vis des contrats ou des ordres de la cour. Dans cette optique, le modèle chinois du crédit social favorise le partage des données sur la population entre agences gouvernementales [5].

Il s’agit d’un outil de surveillance interconnecté à tout moment, une sorte de black mirror [6] devenu réalité, c’est-à-dire qu’en temps réel les moindres comportements de chacun sont vérifiés puis soumis à un pointage. Les punitions auxquelles un individu peut être contraint lorsqu’il n’a pas suffisamment de points, telles que la restriction d’accès à plusieurs services sociaux et moyens de transport, l’amènent inévitablement à repenser ses actions au quotidien. Ainsi, certains actes du quotidien, tels que le fait de voyager dans le pays, deviennent des privilèges sociaux. Les individus n’ayant pas un crédit suffisamment élevé ne peuvent se les permettre.

En juin 2018, le Centre national d’information sur le crédit public a commencé à afficher publiquement une liste noire [7] contenant les données identitaires des compagnies et des individus considérés marginaux dans le but d’inciter la population à suivre les indications. Pour les Chinois, le réseau social est très important, de là la mobilisation du guanxi (un terme mandarin qui, succinctement, signifie réseau de relations interpersonnelles) consistant à faire valoir des relations profitables permettant à tous les partis d’en retirer un bénéfice. C’est pourquoi le système de crédit social les amène à performer davantage pour ainsi se prévaloir d’un bon réseau. C’est ainsi que le fait de s’assurer un score élevé devient une normalité, puisqu’une motivation à être catégorisé comme un bon citoyen est encouragée par l’entourage.

Il existe environ une quarantaine de modèles municipaux distincts du crédit social, appliqués différemment selon les régions de l’Empire du Milieu. À titre d’exemple, il y a à Rongcheng, une ville de la province du Shandong située au nord-est du pays, un Bureau de la fiabilité (chengxinban). Dans le quartier d’Aurore, les membres locaux du PCC tiennent un registre au sujet des 12000 résidents. Les familles du lotissement Aurore sont regroupées en segments de 400 foyers qui se surveillent mutuellement. Les membres du parti municipal peuvent baisser le rang des citoyens qu’ils jugent malhonnêtes. Par conséquent, ces derniers sont de plus en plus méfiants et rapportent les inconduites de leurs voisins. Conformément au Manuel des mesures administratives concernant la fiabilité des personnes physiques, la population est redevable au pouvoir municipal et vice-versa [8]. Toutefois, le gouvernement n’est, dans les faits, pas conséquent lorsqu’il est question des redevances qu’il devrait à ceux possédant les meilleurs scores. Cela s’explique par le fait que la décentralisation exacerbée ne permet pas l’attribution de récompenses équitables. En effet, la segmentation des données cause une complexité généralisée de la gestion à l’échelle nationale. Chaque municipalité ayant son propre système de crédit social, chaque système est géré de manière indépendante [9].

Un panneau qui présente des citoyens modèles de la ville de Rongcheng ayant des scores de crédit social élevés. Source : Nectar Gan/South China Morning Post

Le professeur Dai de la Peking University Law School expose une potentielle contrainte. En effet, il craint que ce système permette aux autorités de l’État de mieux asseoir leur pouvoir. Il y aurait un risque que les autorités municipales et nationales évaluent négativement la réputation des résidents locaux pour les décourager d’utiliser leurs droits de faire des plaintes en ligne, d’envoyer des pétitions ou d’organiser des manifestations [10]. Ainsi, les corps gouvernementaux de divers échelons peuvent être tentés d’utiliser ce système pour renforcer leur autorité.

Alors que la vision occidentale de ce système de contrôle est surtout négative, l’opinion de la population concernée s’avère différente. Il semblerait que, comme ils étaient déjà particulièrement connectés, les Chinois ont généralement bien accepté l’effusion d’une technologie encore plus présente que jamais dans leur vie. En effet, ce sont environ 93% [11] des répondants d’une enquête interrégionale de la Freie Universitat Berlin qui ont affirmé considérer ce système social technologique comme étant juste. Cette même étude a démontré que les citoyens étaient très sensibles au pointage, puisque plus de 94% [12] des répondants ont affirmé avoir changé leurs comportements afin d’affecter leurs scores positivement. Cette nouvelle technologie de surveillance a indéniablement permis des conséquences positives, telles que le respect de l’hygiène et des autres, dans un pays immensément peuplé. Bien que des mesures de punitions aient été mises en place, ce sont surtout les bénéfices de reconnaissance et d’avantages sociaux et économiques dont un individu peut bénéficier qui semblent l’interpeller davantage [13].

Enfin, dans ce pays totalitaire, ce système de score social est à la fine pointe du contrôle par l’utilisation des technologies à chaque instant du quotidien. C’est ce qui peut être considéré comme une institutionnalisation de la surveillance des données à l’aide de la datafication, cette dernière étant une méthode donnant légitimité à la collecte de renseignements personnels dans le but d’assurer l’homogénéité des citoyens [14]. L’adhésion par la population est pourtant significative, puisqu’une grande majorité des Chinois croient en la stabilité et l’harmonie [15] qui peuvent être ainsi favorisées.

Légende de la vignette : En Chine, une caméra de surveillance dotée d’une technologie de reconnaissance faciale. Source : Sabrie, Gilles, 2018. « Inside China’s Dystopian Dreams : A.I., Shame and Lots of Cameras » in The New York Times, éd. du 8 juillet.


[1Lee, Claire Seungeun, 2019. « Datafication, Dataveillance, and the Social Credit System As China’s New Normal » in Online Information Review 43(6) : 953.

[2Ibid., 964.

[3Lee, Amanda. 2020. «  What Is China’s Social Credit System and Why Is It Controversial ?  » in South China Morning Post, éd. du 9 août. En ligne. https://www.scmp.com/economy/china-economy/article/3096090/what-chinas-social-credit-system-and-why-it-controversial (page consultée le 19 novembre 2021).

[4Kostka, Genia et Lukas Antoine, 2019. « Fostering Model Citizenship : Behavioral Responses to China’s Emerging Social Credit Systems » in Policy & Internet 12(3) : 274.

[5Brussee, Vincent, 2021. « China’s social credit system is actually quite boring » in Mercator Institute for China Studies (MERICS), éd. du 29 septembre. En ligne. https://merics.org/en/opinion/chinas-social-credit-system-actually-quite-boring (page consultée le 3 décembre 2021).

[6Lee, « Datafication, Dataveillance, and the Social Credit System As China’s New Normal », 953.

[7Lee, « Datafication, Dataveillance, and the Social Credit System As China’s New Normal », 965.

[8Strittmatter, Kai. 2021. Dictature 2.0 : Quand la Chine surveille son peuple (et demain le monde). Paris : Tallandier, 285-297.

[9Brussee, « China’s social credit system is actually quite boring ».

[10Dai, Xin, 2018. « Toward a Reputation State : The Social Credit System Project of China » in SSRN, éd. du 10 juin. En ligne. https://ssrn.com/abstract=3193577 (page consultée le 8 décembre 2021), 33-5.

[11Kostka, « Fostering Model Citizenship : Behavioral Responses to China’s Emerging Social Credit Systems », 272-3.

[12Ibid., 276.

[13Ibid., 261.

[14Lee, « Datafication, Dataveillance, and the Social Credit System As China’s New Normal », 964.

[15Ibid., 960.

Yan Lasnier-Le Quang est bachelier en études asiatiques à l’Université de Montréal. Il y étudie présentement à la maîtrise en science politique.
Karel Sauvageau est bachelière en administration des affaires à l’Université Laval. Elle étudie présentement à l’Université de Montréal en géopolitique de l’Asie.

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