Bulletin d’analyse sur l’Asie de l’Est et du Sud-Est

Requête officielle pour un État Wa en Birmanie

jeudi 18 juillet 2013, par Sarah É. Sawyer

L’ouverture progressive dont fait preuve le gouvernement birman depuis l’élection du président Thein Sein et la dissolution de la junte en 2011 a ravivé des revendications qui pourraient avoir de sérieuses retombées pour l’avenir de la Birmanie [1]. Depuis la fin du mois de mai, l’United Wa State Army (UWSA) réclame avec une insistance grandissante que le gouvernement central reconnaisse un État Wa au sein de la Birmanie [2].

L’UWSA, qui est issue d’une branche du Parti communiste birman (PCB) dissous en 1989, entretient historiquement des relations conflictuelles avec le gouvernement. Malgré la signature d’un accord de cessez-le-feu la même année, les Wa sont restés catégoriquement opposés à la junte militaire, et maintiennent l’armée de minorité ethnique la plus puissante du pays. Les troupes de l’UWSA sont estimées à environ 30 000 combattants [3], et elles exercent un contrôle relativement indiscuté sur la région spéciale no. 2, une zone montagneuse du nord de l’État Shan chevauchant la frontière chinoise.

Au mois de mai 2013, les leaders Wa ont émis une requête officielle de reconnaissance d’un État Wa autonome au sein de la Birmanie [4]. Il faut noter que contrairement à la majorité des groupes ethniques nationalistes actifs en Birmanie, l’UWSA n’entretient pas de velléités indépendantistes [5]. Cette demande, qui exprime une revendication déjà formulée à plusieurs reprises au cours des vingt dernières années, a pour objectif de permettre la reconnaissance d’un État Wa distinct de l’État Shan, dont les Wa sont actuellement dépendants pour négocier avec le gouvernement central. En effet, la constitution de 2008, adoptée à l’issue d’un processus controversé, prévoit que les autorités d’une région spéciale ne peuvent entrer en relation avec le gouvernement central sans transiger par les autorités de l’État auquel cette région est rattachée. Dans un contexte de réformes politiques et d’investissement étranger croissant, les leaders Wa revendiquent la décentralisation afin d’avoir un accès direct aux avantages découlant de l’ouverture progressive de la Birmanie.

Un État Wa autonome tel que proposé par l’UWSA comprendrait l’ensemble des territoires sous leur contrôle officiel et de facto, c’est-à-dire, en plus de la région spéciale no. 2, une partie du Sud de l’État Shan où des populations Wa ont été massivement déplacées pendant les décennies de guerre civile, ainsi que les villes de Mongton, Mong Hsat et Tachilek, qui sont sous le contrôle militaire de l’UWSA. Toutefois, malgré le processus de paix que Nay Pyi Daw a engagé avec les derniers groupes rebelles armés à travers le pays, plusieurs obstacles risquent d’entraver l’accession de la région spéciale no. 2 au statut d’État autonome.

Zones sous contrôle de groupes nationalistes ayant signé des accords de cessez-le-feu avec le gouvernement central
Les zones contrôlées par l’UWSA sont en bleu foncé. Le nom de leur branche politique (UWSP) est indiqué.

Une militarisation accrue des zones sous le contrôle de l’UWSA, associée à une hausse marquée de ton dans les échanges entre les leaders Wa et le gouvernement central, a débuté dans les semaines suivant la requête officielle. Présent lors d’une cérémonie religieuse dans le Nord de l’État Shan, un porte-parole Wa s’est adressé à l’AFP pour confirmer que les récents repositionnements des troupes de l’UWSA étaient bel et bien en lien avec la requête faite auprès du gouvernement central [6]. Des mouvements de troupes autour des villes de Mongton, de Mong Hsat et de Pongpakhem ont été rapportés au cours des derniers jours et plusieurs habitants de la région ont fui dans l’anticipation d’un conflit armé entre l’armée birmane et l’UWSA. La fragilité de l’accord de cessez-le-feu donne, depuis quelques années, lieu à nombre de spéculations sur l’éventuelle reprise des hostilités à grande échelle [7]. Cette incertitude constante représente un obstacle sérieux à l’établissement d’un climat de confiance entre les parties.

Comme dans plusieurs autres cas, l’accord de cessez-le-feu n’a pas été suivi de discussions sur le statut politique de la région, ni de reconstruction post-conflit [8]. Malgré une relative amélioration de la situation humanitaire et des droits humains, le développement démocratique et la participation de représentants civils au processus de paix demeurent faibles, celui-ci restant circonscrit à des négociations entre militaires alors même que la prise en compte de la population Wa semble essentielle à sa réussite. La région continue d’être gouvernée par des seigneurs de guerre dont les intérêts sont souvent bien distincts de ceux des paysans Wa. De plus, le refus systématique de l’UWSA de rendre les armes et d’être intégrée comme force armée frontalière par le biais du plan BGF (Border Guard Forces) du gouvernement central contribue périodiquement à un regain du niveau de tension entre les parties.

L’association de l’UWSA au narcotrafic pèse également lourd dans la balance. En effet, la région spéciale no. 2 est la source d’une importante production d’opium en Birmanie, ce qui a valu à l’UWSA d’être caractérisée d’armée narcotrafiquante [9]. Or, si une part des revenus du trafic de drogue a sans contredit servi à soutenir les activités militaires de l’UWSA, ils servent également à financer depuis plus de vingt ans la construction et le maintien d’infrastructures, notamment des routes et des réseaux électriques, dans la région spéciale [10]. Cela a jusqu’ici permis aux leaders de l’UWSA de contribuer au développement de la région sans devoir avoir recours au gouvernement central, et de se présenter ainsi comme une instance gouvernementale légitime.

L’UWSA considère qu’une mise à jour du statut politique de la région Wa est un droit que lui confèrent sa gouvernance autonome et ses capacités militaires, dans un contexte d’ouverture progressive du pays depuis la dissolution de la junte. Toutefois, les réticences du gouvernement central sont également tributaires de ces développements récents : sous la surveillance accrue de potentiels bailleurs de fonds internationaux, le fait de transiger avec des seigneurs de guerre financés par des narcodollars est moins attrayant que par le passé [11]. De plus, la délimitation des revendications territoriales de l’UWSA est une question particulièrement épineuse. Depuis plusieurs décennies, les Wa n’occupent plus uniquement le territoire de la région spéciale. Cela est dû à la fois aux déplacements forcés de population vers le Sud de l’État Shan et aux gains territoriaux réalisés de facto par l’UWSA aux dépens de l’armée birmane. La question de l’emplacement exact des frontières d’un éventuel État Wa reconnu officiellement entraînerait inévitablement des désaccords au sein de la population. Ainsi, les revendications de l’UWSA reflètent plus généralement une situation complexe où le processus de paix avec les différents groupes armés nationalistes dépend de l’inclusion effective de l’ensemble des acteurs concernés comme préalable aux discussions sur le statut politique des régions spéciales au sein de la Birmanie.

Légende (photo de couverture) : ville de Nandeng, région spéciale Wa.
Crédits photo : treasuresthouhast.
Crédits carte : Pye, Daniel et Lawi Weng. 2013. « Ethnic Armies’ Role in Burma Drug Trade Off Table at Six-Nation Talks. » The Irrawaddy (Rangoon), 7 mai 2013.


[1L’emploi du terme Birmanie plutôt que Myanmar s’explique parce qu’il s’agit, sur le plan linguistique, de l’utilisation correcte de la sémantique francophone . De plus, la littérature scientifique américaine et européenne emploie traditionnellement le nom Birmanie pour souligner que le nom de Myanmar peut être considéré comme invalide par le droit international s’il a été donné par un régime illégitime, et pour démontrer leur support à la société civile birmane.

[2La Birmanie comprend actuellement 7 régions spéciales de minorités ethniques, dont la région spéciale no. 2 Wa.

[3Pye, Daniel et Lawi Weng. 2013. « Ethnic Armies’ Role in Burma Drug Trade Off Table at Six-Nation Talks. » The Irrawaddy (Rangoon), 7 mai 2013.

[4Naing, Saw Yan et Lawi Weng. 2013. « Tensions Escalate Between UWSA and Govt Troops. » The Irrawaddy (Bangkok).

[5Chin, Ko-lin. 2009. The Golden Triangle : inside Southeast Asia’s drug trade. Ithaca, N.Y. : Cornell University Press.

[6« Drug-powerful Wa Seek State of their Own. ». 2013. The Bangkok Post (Bangkok), 28 May 2013.

[7Kramer, Tom. 2009. « Twenty Years on, the Wa-Burmese Cease-fire looks shakier. » The Nation (Bangkok), 24 avril 2009.

[8Jones, Lee. 2013. « The Political Economy of Myanmar’s Transition. » Journal of Contemporary Asia : 1-27.

[9Chouvy, Pierre-Arnaud et Joël Meissonier. 2004. Yaa baa, production, traffic, and consumption of methamphetamine in mainland Southeast Asia. Singapore ; Bangkok

[10Chin, Ko-lin. 2009. The Golden Triangle : inside Southeast Asia’s drug trade. Ithaca, N.Y. : Cornell University Press.

[11L’exemple de Khun Sa, seigneur de guerre Shan qui fut à la fois ennemi de la junte militaire et protégé par elle contre la DEA qui réclamait son extradition pour avoir joué un rôle majeur dans le trafic d’héroïne vient à l’esprit. Lo Hsing-Han, un autre trafiquant important pendant les années 1970, a également été mandaté par la junte pour jouer un rôle de médiateur entre la junte et les différentes factions issues de l’implosion du Parti Communiste Birman pendant la première vague d’accords de cessez-le-feu au début des années 1990. Au sujet de la coopération entre la junte birmane et les trafiquants de drogue, voir notamment : Lintner, Bertil. 1993. The politics of the drug trade in Burma. Edited by I. O. C. f. P. Studies. Nedlands, W.A. : Indian Ocean Centre for Peace Studies, University of Western Australia.

Candidate à la maîtrise en science politique à l'Université de Montréal, Sarah É. Sawyer travaille à l'Office des Nations Unies contre la drogue et le crime, à Bangkok.

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