Bulletin d’analyse sur l’Asie de l’Est et du Sud-Est

Le trafic de drogue en Asie du Sud-Est

Une solution est-elle envisageable ?

jeudi 25 avril 2013, par William Wong

Le trafic de drogue est depuis longtemps un problème sérieux en Asie de l’Est et du Sud-Est. En effet, la région abrite les deux tiers des 33 millions d’utilisateurs de stimulants de type amphétamine (STA) dans le monde [1]. La situation semble continuer de se détériorer. Dans ce contexte, plusieurs solutions sont envisageables pour les États de la région, qui n’ont toutefois pas toutes le même potentiel d’efficacité.

En Asie du Sud-Est, le problème est particulièrement criant. En Thaïlande, 12.4% d’étudiants ont consommé des STA en 1999, une augmentation de 1.4% par rapport à l’année précédente. Aux Philippines, il y a environ 1.8 million d’utilisateurs de STA. Quant à la Birmanie, il s’agit du deuxième pays producteur d’héroïne au monde, derrière l’Afghanistan.

Pour combattre le trafic de drogue, deux stratégies principales ont été employées par les États d’Asie du Sud-Est. La première consistait en l’élaboration de solutions régionales. La seconde était la coopération bilatérale.

L’action collective régionale n’est pas une réussite. Des divergences d’intérêts et le principe de non-ingérence posent souvent des obstacles à une plus ample coopération. Cependant, les ententes bilatérales sont porteuses de solutions à court terme. Néanmoins, malgré un certain succès des mesures bilatérales de lutte anti-drogue à court terme, en l’absence d’une amélioration notoire de la situation politique en Birmanie, le trafic de drogue risque de demeurer un problème durable. De plus, les pressions de pays voisins ne sont pas suffisantes pour influencer significativement les principaux pays producteurs.

Le bilan des efforts multilatéraux

En juin 1976, une déclaration énonçant les principes de la lutte anti-drogue soulignait l’importance des mesures de partage d’information, de la coopération sur la recherche et d’une meilleure collaboration avec les Nations Unies. Or, malgré cette déclaration et les efforts de certains pays membres, l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN) n’a pas démontré la capacité d’influencer les principaux pays producteurs à mettre en place des actes concrets à ce sujet. Cette déclaration s’est révélée peu utile étant le fait que les pays signataires étaient des pays consommateurs, non producteurs [2].

En décembre 1997, les pays membres de l’ASEAN ont lancé le projet de Vision ASEAN 2020, qui incluait l’éradication totale des drogues en Asie de Sud-Est. Ce projet, dont l’ultimatum a par la suite été ramené à 2015, n’a pas produit de résultats observables. La question du financement des programmes est généralement restée lettre morte. En outre, la pression politique sur la Birmanie n’a pas résulté en une amélioration concrète de la situation [3].

La coopération bilatérale

En parallèle de l’inefficacité des efforts régionaux, les pays de la région ont démontré une préférence marquée pour le bilatéralisme dans leur combat contre la drogue. Attribuée à un rejet du multilatéralisme, cette approche fait l’objet de critiques, mais pourrait être considérée comme une réussite à court terme.

Par exemple, en juin 1992, les officiels chinois, birman et thaïlandais ont signé des accords de coopération sur l’élimination de la production de drogues, la réduction de la demande chez les consommateurs et l’introduction de programmes de cultures alternatives en Birmanie. En 1995, des représentants du Cambodge, de la Chine, du Laos, de la Birmanie et de la Thaïlande ont entériné la Déclaration de Beijing, qui mettait l’accent sur la coopération, le partage des informations entre les gouvernements, la formation des officiers de police et la mise en place de mesures d’action collective contre le trafic de drogue, particulièrement dans la sous-région du Grand-Mékong [4].

Depuis 2001, les forces policières en Chine, au Laos et en Birmanie ont intensifié leurs efforts contre le trafic de drogue. Entre 2001 et 2002, les forces policières chinoises, en coopération avec leurs homologues birmans et laotiens, ont détruit des installations de production de drogues illicites en Birmanie et au Laos. Les autorités ont également confisqué 280.3 kg d’héroïne, 120.3 kg de STA et 109.3 kg d’opium. De plus, de nombreuses armes et autres formes d’équipement ont été confisquées [5].

En 2002, les policiers chinois ont assisté à l’entrainement des policiers chargés de la lutte anti-drogue en Birmanie et au Laos. En 2003, 38 opérations coordonnées entre les trois pays ont pris place. Trois usines ont été détruites avec la confiscation d’importantes quantités de drogue. Entre novembre 2004 et septembre 2005, près de 716 kg d’héroïne ont été confisqués et environ 70 suspects ont été arrêtés. La coopération trilatérale entre la Chine, la Birmanie et le Laos a permis d’arriver à ces résultats [6].

La corruption et le faible contrôle exercé par l’État en Birmanie

La Birmanie est l’un des pays les plus importants dans la production des drogues illicites. À cause du faible contrôle de l’État sur les zones principales de production, de raisons structurelles et de la situation politique interne, le trafic de drogue en Birmanie demeure toujours un problème sérieux. Il est loin d’être évident que des opérations militaires ponctuelles soient suffisantes pour pallier cette situation.

L’endroit en Birmanie où la production de drogue est la plus importante est en grande partie à l’abri d’un contrôle direct de la part du gouvernement central. La United Wa State Army, une armée rebelle composée d’environ 10 000 soldats, maintient son contrôle sur l’État Shan. Le gouvernement a contracté des accords de cessez-le-feu en 1989 avec plusieurs armées de ce type, leur permettant tacitement de continuer d’utiliser le trafic de drogue comme source de financement en échange de quoi elles acceptaient de rendre les armes et de participer à la lutte contre des groupes ayant refusé d’endosser de telles ententes.

Les principales racines du problème du trafic de drogue restent la corruption et le faible contrôle exercé par l’État birman sur son territoire. Le bilatéralisme n’offre que des perspectives limitées. Sans une solution durable à ce problème persistant, la lutte anti-drogue dans la région est vouée à l’échec.

Crédits photo : Stéphanie Martel.
Légende : Anciennes plantations d’opium dans le Triangle d’or et cultures alternatives.


[1Ahmad, Khabir, 2003. "Asia Grapples with Spreading Amphetamine Abuse." The Lancet

[2Emmers, Ralf, 2003. "ASEAN and the Securitization of Transnational Crime in Southeast Asia", The Pacific Review 16(3) : 419-38.

[3Ibid.

[4Lijun, Sheng, 2006. "China-ASEAN Cooperation Against Illicit Drugs from the Golden Triangle", Asian Perspective 30(2) : 97-126.

[5Ibid.

[6Emmers, Ralf, 2007. "International Regime Building in ASEAN : Cooperation against the Illicit Trafficking and Abuse of Drugs", Contemporary Southeast Asia : A Journal of International and Strategic Affairs 29(3) : 506-25.

Étudiant à la maîtrise en science politique à l'Université de Montréal.

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