Le déclin de l’idéologie communiste en Chine depuis les années 1980, la croissance économique et le développement d’une société de consommation ont contribué à l’émergence d’un vide spirituel que plusieurs citoyens ont cherché à combler à travers la religion. Dans un contexte de croissance caractérisé par de fortes inégalités socio-économiques, la religion est perçue comme étant porteuse de solutions matérielles et sociales pour certaines couches pénalisées par la croissance. Pour d’autres, la foi constitue un refuge spirituel dans un système politique encore fermé où l’individu moyen demeure peu libre de s’exprimer ouvertement sur un certain nombre de questions. Pourtant, si ces facteurs structurels nous aident à mieux comprendre le renouveau religieux, ils ne nous permettent pas d’expliquer pourquoi le protestantisme se répand plus rapidement sur le sol chinois que le catholicisme, le bouddhisme, le taoïsme et l’islam.
Plusieurs villes telles Beijing, Chengdu, et Shanghai possèdent de grandes églises protestantes activement impliquées dans le prosélytisme. Celles-ci détiennent des ressources leur permettant de créer de nouvelles communautés ecclésiastiques à travers le pays. Leurs pasteurs sont parfois de riches entrepreneurs qui profitent de l’ouverture de nouvelles usines dans des provinces avoisinantes afin d’y construire une église et de convertir le plus de travailleurs possible. Une usine de fabrication de chaussures à Wenzhou, par exemple, a réussi à convertir le quart de ses 700 employés au cours des dix dernières années, grâce à la présence d’une chapelle sur son site de production. Un pasteur souligne l’ironie du système : « Dans certaines usines, la chapelle se trouve à côté du bureau du Parti communiste chinois ! » [3].
Selon les règlements du gouvernement central, la pratique de la religion doit avoir lieu dans l’enceinte d’un site religieux enregistré auprès des autorités. Toute église ne répondant pas à ce critère est illégale.
- Église protestante, Zhengzhou, Henan, 2010.
Les pasteurs officiels sont diplômés de séminaires théologiques de l’État et accrédités par le Mouvement des trois autonomies, une association patriotique sous l’égide de l’Administration d’État pour les affaires religieuses qui s’occupe de régir la pratique de la religion. Le régime craignant que la religion soit instrumentalisée à des fins de mobilisation politique, les leaders religieux se doivent d’être patriotiques et fidèles à la loi, au socialisme et aux grandes lignes du Parti.
Les pasteurs clandestins pour la plupart refusent de se soumettre aux règlements du gouvernement en matière de pratique de la religion. Pour certains, il s’agit d’un choix politique au nom d’une stricte séparation entre l’État et l’Église. Plusieurs s’amusent à comparer les membres du clergé officiel à des bureaucrates. « Les pasteurs des églises officielles sont en quelque sorte des représentants du gouvernement. Il ne sont pas du genre à prioriser la foi, mais plutôt à faire primer les intérêts de l’État, » a déclaré un ancien pasteur officiel à Zhengzhou devenu clandestin [4]. De même, un prêcheur à Shanghai a affirmé que « Le Mouvement des trois autonomies [nous] fait lire la politique, et non la Bible » [5].
Si pour certains la clandestinité est un choix politique, pour plusieurs elle représente un choix d’orientation confessionnelle. Contrôlée par un État laïque, l’église officielle se veut « post-confessionnelle ». Plusieurs pasteurs la perçoivent comme ayant des penchants séculaires et manquant de conservatisme. L’expansion des églises clandestines symbolise un tournant conservateur dans l’interprétation et la pratique du protestantisme. Le tiers des églises non-enregistrées se voudraient évangéliques et le calvinisme est à la mode parmi l’élite intellectuelle chrétienne des grandes villes chinoises.
Bien que la clandestinité soit perçue comme facteur de vulnérabilité politique, pour de nombreux membres du clergé, elle est avantageuse dans la mesure où elle leur permet de se « protéger » contre une intervention étatique trop fréquente dans la pratique de la religion. « Si mon église n’est pas inscrite auprès des autorités, elle n’est pas régie par ces dernières. J’ai [donc] plus de marge de manœuvre », affirme un pasteur à Ningbo [6].
L’expansion du protestantisme clandestin remet en cause la légitimité du contrôle de l’État sur la religion. Selon un sondage de l’Institut Pushi en 2008-2009, 15,8% des répondants protestants étaient en faveur des règlements du gouvernement central et 59.7% estimaient que les églises devraient être indépendantes de l’État [7]. Le gouvernement central demeure pourtant silencieux sur la possibilité d’éventuelles réformes du système. La légalisation des églises clandestines en tant qu’organisations religieuses autonomes constituerait une première étape vers une société civile indépendante, ce que le Parti cherche à éviter à tout prix. Entre-temps, le régime se contente de fermer les yeux sur l’existence de bon nombre de ces églises.
Crédits photo (couverture) : meckleychina.
Crédits photo (corps de texte) : Marie-Eve Reny.