Se rêvant en « civilisation écologique », la Chine reste dépendante des énergies fossiles
Sur le campus d’une université chinoise en octobre 2019, de larges panneaux vitrés mettent à l’honneur les principaux accomplissements de la RPC depuis 1949 : les grandes réformes de Deng Xiaoping, l’envoi du premier satellite dans l’espace, ou encore l’organisation des Jeux olympiques [1]. Parmi ces réalisations contemporaines, la construction d’une « civilisation écologique » revêt une importance particulière, car elle fait partie intégrante du « rêve chinois », grand dessein politique de Xi Jinping [2]. Apparue dans le discours officiel en 2012 lors du 18e Congrès national du Parti communiste chinois (PCC), la construction d’une « civilisation écologique » traduit en filigrane la prise de conscience du PCC que la protection de l’environnement et la gestion des énergies sont intrinsèquement liées aux performances économiques du pays. La même année, la Chine à la tribune des Nations Unies insiste sur la nécessité d’accélérer « la construction d’une société qui assure la conservation des ressources et développe une conscience écologique » [3]. Si les enjeux écologiques s’intègrent peu à peu dans les discours du gouvernement chinois, il reste que la crise environnementale en Chine s’est aggravée au rythme d’une croissance économique effrénée, soutenue par un modèle très énergivore.
La publication du 13e plan de l’énergie, législation-cadre de la politique énergétique en Chine pour la période 2016-2020, apparaît comme le véritable aggiornamento politique en la matière. La phrase liminaire du document est sans équivoque : « 可再生能源是能源供应体系的重要组成部分 » [4], que l’on pourrait librement traduire par « les énergies renouvelables sont une partie importante du système d’approvisionnement énergétique ». L’administration chinoise fixe un taux de 20 % pour la part d’énergies non-fossiles dans le mix d’énergies primaires du pays et souhaite diminuer la dépendance de la Chine au charbon, de 62 % actuellement à 58 % du mix énergétique en 2020 [5]. La réduction de consommation de charbon doit permettre à l’État de respecter les exigences de l’Accord de Paris sur le climat adopté le 12 décembre 2015. Tandis que les négociations sur ce texte en marge de la COP21 furent marquées par la proactivité de la Chine, la transition énergétique amorcée dans ce pays représente une occasion d’assumer un rôle de leadership dans le domaine des énergies renouvelables. Premier pollueur de la planète et leader incontestable du développement des énergies nouvelles (c.-à-.d. éolien, photovoltaïque, biomasse, géothermie), tel est le paradoxe de la puissance énergétique chinoise.
Le subterfuge d’une Chine plus « verte »
Les investissements chinois dans les énergies propres ont été multipliés par quinze en plus d’une décennie, passant de 8,8 milliards de dollars américains (US$) en 2005 à 132 milliards US$ en 2017 [6]. De plus, ceux-ci devraient plus que tripler d’ici 2020 (360 milliards US$). Selon les prévisions des autorités chinoises, les sources d’énergie non carbonées qui composaient 9 % du mix énergétique en 2015 représenteront près de 20 % en 2030 [7]. Parmi les secteurs stratégiques dans lesquels la Chine se démarque déjà, on peut citer la production de panneaux photovoltaïques, d’éoliennes (la Chine en est le leader mondial) et de batteries destinées entre autres aux voitures électriques.
- Investissements par pays dans les énergies renouvelables (2005-2017), en milliards de dollars américains. Source : BloombergNEF, Clean Energy Investment Trends, 2Q 2018, 9 juillet 2018. (Tableau de l’auteur)
Bien que la Chine produise des panneaux solaires et des éoliennes, les brevets scientifiques sont largement détenus par les États-Unis, les pays européens et le Japon [8]. Le retour sur investissement de ce « virage vert » serait donc relativement faible puisque le montant des redevances liées à l’utilisation de ces brevets par la Chine s’élèverait chaque année entre 25 et 30 milliards US$ [9]. D’autres exemples, tels que la surproduction d’électricité – c’est-à-dire qu’une partie de l’énergie produite par le solaire et l’éolien est gaspillée –, soulignent les limites de la transition énergétique « aux caractéristiques chinoises ».
La conception occidentale de la transition énergétique témoigne du recours systématique aux énergies dites vertes ou renouvelables. En Chine, la transition énergétique signifie un meilleur équilibre entre les différentes sources d’énergie qui devrait réduire l’importance du charbon au profit notamment du gaz naturel et du nucléaire civil [10]. Cette stratégie de diversification des sources d’énergie et donc des pays partenaires occupe une place de plus en plus importante dans la formulation de la politique étrangère de la Chine.
La Russie au cœur de la transition gazière chinoise
La transition énergétique chinoise doit s’adapter à une très forte hausse de la demande de gaz naturel (plus de 600 milliards de m3 d’ici 2040), faisant passer cette ressource de 6 % à 12 % du mix d’énergies primaires sur la même période. Cette stratégie de gazéification présente la Russie comme un allié incontournable, a fortiori depuis que les sanctions internationales en 2014 ont bloqué l’exportation de gaz russe vers l’Europe. La demande du marché chinois a donc renforcé la coopération sino-russe dans le secteur gazier [11]. Le développement de gazoducs terrestres permet alors à la Chine de réduire les menaces reliées au risque de transit dans les détroits qui pèsent sur les approvisionnements maritimes.
- Carte des principaux points stratégiques maritimes des voies d’approvisionnement énergétique de la Chine. Les rectangles rouges signalent les zones de transit dans les détroits pour les pétroliers et les méthaniers (gaz naturellement liquéfié). Les cercles verts définissent la zone potentielle d‘engagements militaires en cas de coupure des routes énergétiques. Source : Collins, Gabriel, 2018. « A Maritime Oil Blockade against China : Tactically Tempting but Strategically Flawed » in Naval War College Review 71(2) : 55.
Défendue dans les discours officiels comme le signal d’un virage « vert », la transition énergétique « aux caractéristiques chinoises » met surtout en lumière la dimension sécuritaire de la diversification des sources d’énergie. Enfin, une approche géopolitique de cette politique publique souligne d’autres enjeux à différentes échelles, qu’il s’agisse de l’enchevêtrement institutionnel et législatif (des centaines de plans quinquennaux liés à la décentralisation), la vulnérabilité chinoise face à l’instabilité des prix sur les marchés de l’énergie [12] ou encore le nombre croissant de mobilisations sociales [13] face à l’urgence environnementale.