Bulletin d’analyse sur l’Asie de l’Est et du Sud-Est

La mer de Chine méridionale : zone de confrontation entre Washington et Pékin ?

mercredi 27 août 2014, par Yann Roche

La République populaire de Chine considère la mer de Chine méridionale comme lui appartenant en quasi-totalité, au grand dam des autres pays riverains. Mais avec le pivot asiatique de l’administration Obama, Pékin risque de voir ses ambitions confrontées à la volonté américaine de se positionner à nouveau sur l’échiquier politique de la région.

Le bassin océanique situé à l’est du Vietnam et reconnu en Occident sous le nom de mer de Chine méridionale est l’objet de virulentes revendications territoriales de la part des pays riverains. Au cœur du contentieux, la souveraineté sur plusieurs archipels, notamment les Paracels et les Spratleys, groupes plus ou moins épars de minuscules terres émergées, atolls, îlots et cayes. Quasi inhabitables dans leur vaste majorité, la valeur de ces archipels tient surtout aux zones d’exclusion économique de 200 milles marins que les États qui se les approprient peuvent également revendiquer selon les termes de la Convention des Nations Unies sur le droit de la mer (UNCLOS) de 1982. La Malaisie, Taiwan, Brunei, les Philippines et le Vietnam estiment ainsi avoir des droits à faire valoir sur toute ou partie de certains groupes d’îles, le plus souvent pour des raisons historiques, avec des zones de chevauchement qui ont donné lieu à bien des accrochages depuis le début du 20ème siècle.

Mais c’est la République populaire de Chine (RPC) qui entend s’adjuger la part du lion dans la région. Ses revendications, qui englobent 80% de la superficie du bassin [1], sont matérialisées par la fameuse « ligne en neuf traits » publiée par Pékin dans une carte datant de 1947. S’appuyant sur des documents historiques qui remonteraient jusqu’au 13e siècle, la RPC se montre intraitable quant à ses droits sur ces archipels, principalement les Pratas, les Paracels, les Spratleys et le Banc Macclesfield, qu’elle entend faire respecter par la force s’il le faut.

Ce fut le cas en 1974, lorsque la marine chinoise chassa manu militari la garnison sud-vietnamienne qui occupait l’ouest de l’archipel des Paracels, une bataille dont le 40ème anniversaire a été commémoré en janvier de cette année par Hanoi [2]. Ce fut encore le cas en 1988, cette fois-ci dans les Spratleys, les Vietnamiens étant une nouvelle fois expulsés militairement d’un récif qu’ils entendaient occuper.

Affiche de propagande : "Les îles Paracel et Spartly appartiennent au Vietnam". Crédits : Ngo Quang Minh - CC BY-NC 2.0.

Si les coups de force militaires semblent appartenir au passé, la situation demeure tendue, entre la Chine et le Vietnam bien entendu, mais aussi entre la Chine et les Philippines, notamment au sujet du récif Scarborough, dans le banc Macclesfield. Aucun des protagonistes ne veut céder de terrain et le code de conduite signé en 2002 entre la Chine et l’Association des Nations d’Asie du Sud-Est (ASEAN), peu contraignant, n’empêche pas les incidents de se produire de manière répétée et la tension de demeurer extrêmement vive.

Les incidents en question portent principalement sur ce qui est considéré comme le principal enjeu de la région, à savoir les réserves d’hydrocarbures dont le sous-sol de la mer de Chine pourrait être riche. Réserves qui ne font pas de doute selon les Chinois, au contraire de certains experts occidentaux [3], mais qui expliquent que les démarches d’exploration dans les zones contestées soient vues comme des provocations de part et d’autre, en dépit de certaines ententes ponctuelles d’exploration signées par la RPC avec les Philippines et le Vietnam. Tout récemment, en mai 2014, c’est l’installation d’une plate-forme pétrolière chinoise dans les eaux des Paracels qui a irrité les Vietnamiens au point que ces derniers se sont livrés à des violences antichinoises sur leur territoire.

S’appuyant sur une marine qu’elle a renforcé en lançant son premier porte-avions, le Liaoning en septembre 2012 [4], la RPC entend faire respecter ses intérêts dans une zone qu’elle estime sienne, au même titre que Taïwan et le Tibet. Depuis 2007, et surtout depuis l’avènement de Xi Jinping au pouvoir, Pékin semble plus intransigeante et ambitieuse que sous ses prédécesseurs. Mais si le Vietnam et les Philippines sont affaiblis par l’absence d’une position commune de l’ASEAN dans le dossier [5] et par une puissance militaire sans comme mesure avec celle de la RPC, cette dernière n’en a pas pour autant les mains libres dans la région.

Les marins du USNS Impeccable, 28 juin 2013. Crédits : Navale Surface Warriors - CC BY-SA 2.0.

En effet, entamé sous le premier mandat d’Obama et confirmé sous le second, le « pivot asiatique des États-Unis se concrétise sur les plans économique, militaire et diplomatique. Perçu par Pékin comme une menace, ce recentrage des intérêts américains vers l’Asie a eu des effets en mer de Chine méridionale. En 2009, le USNS Impeccable, navire américain d’exploration sous marine effectuant la cartographie des fonds marins dans la zone d’exclusion chinoise à proximité de Hainan fut pris à partie par la marine chinoise [6]. Plus significative, la prise de position de la secrétaire d’État Hillary Clinton, au cours du Forum régional de l’ASEAN à Hanoi, en juillet 2010 [7]. En appelant à la résolution pacifique du conflit en mer de Chine et à la négociation entre toutes les parties en excluant tout recours à la force, elle condamnait implicitement la Chine, laquelle ne s’y est pas trompée, réagissant vigoureusement à ces propos [8].

Depuis lors, ni Washington, ni Pékin n’ont fait mine de faire marche arrière, l’installation de la plate-forme pétrolière chinoise en mai dernier ayant par exemple été qualifiée par les États-Unis de provocation, tandis que le rapprochement entre Hanoi et Washington se confirme, avec la visite du sénateur McCain et par la levée de l’embargo américain sur les ventes d’armes au Vietnam. Les États-Unis ne semblent pas pour le moment envisager d’accroître leur implication dans la région autrement que par des démarches indirectes, mais ces dernières n’ont pas paru avoir d’effet sur la Chine, qui poursuit ses efforts de défense de ce qu’elle considère comme ses intérêts nationaux. Reste à savoir si le jeu en vaut la chandelle et si les réserves en hydrocarbures de la mer de Chine méridionale sont aussi importantes que l’espère Pékin. Il semble de toute manière que la question des ressources énergétiques est à présent intimement liée à celle de ne pas perdre la face devant la puissance américaine.

Légende (photo de couverture) : Le USS George Washington dans la mer de Chine méridionale, 15 octobre 2012.

Crédits (photo de couverture) : Official U.S. Navy Page - CC BY 2.0.


[1Duchâtel, Mathieu. 2010. "Marine de Pékin et (fantasme de) menace sur la sécurité" in Outre-Terre 2 (25-26) : 199-213.

[2BBC News. 2014. "Shift as Vietnam marks South China Sea battle", éd. du 15 janvier. En ligne. [http://www.bbc.com/news/world-asia-25709833]. Page consultée le 27 août 2014.

[3Denécé, Eric. 1999. Géostratégie de la mer de Chine méridionale. Paris : L’Harmattan.

[4Anciennement Varyag, construit pour la marine soviétique en 1985 et racheté à l’Ukraine. Le Monde.fr. 2012. "La Chine annonce la mise en service de son premier porte-avions", éd. du 25 septembre. En ligne. [http://www.lemonde.fr/asie-pacifique/article/2012/09/25/la-chine-annonce-la-mise-en-service-de-son-premier-porte-avions_1765167_3216.html]. Page consultée le 27 août 2014.

[5Notamment du fait de la position pro-chinoise adoptée par le Cambodge, lors du 21ème sommet de l’ASEAN en 2012. Reuters. 2014. "South East Asia faces renewed unity test as South China Sea tensions spike", éd. du 9 mai 2014. En ligne. [http://uk.reuters.com/article/2014/05/09/uk-myanmar-asean-idUKKBN0DP0TD20140509]. Page consultée le 27 août 2014.

[6Valencia, Mark J. 2009. « The Impeccable Incident : Truth and Consequences » in China Security, 5 (2) : 22-28.

[7Chang, Gordon G. 2010. "Hillary Clinton Changes America’s China Policy" in Forbes, éd. du 28 juillet. En ligne. [http://www.forbes.com/2010/07/28/china-beijing-asia-hillary-clinton-opinions-columnists-gordon-g-chang.html]. Page consultée le 27 août 2014.

[8Emmerson, Donald K. 2010. « China’s ‘frown diplomacy’ in Southeast Asia » in Pac Net 45, 6 octobre. Pacific Forum, Center for Strategic and International Studies, Washington, DC. En ligne. [http://csis.org/files/publication/pac1045.pdf]. Page consultée le 27 août 2014.

Professeur au Département de géographie de l'UQAM, Yann Roche est également chercheur en résidence à l'Observatoire de géopolitique de la Chaire Raoul-Dandurand en études stratégiques et diplomatiques.

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