Bulletin d’analyse sur l’Asie de l’Est et du Sud-Est

Comment expliquer l’attitude paradoxale des Hong-Kongais à l’égard de la démocratie ?

jeudi 27 août 2015, par Diane Ethier

Cet article démontre que la majorité des Hong-Kongais n’appuient pas les manifestations récurrentes en faveur de l’élection au suffrage universel du premier ministre, bien qu’ils jugent, à tort, que l’ancien régime colonial britannique est plus démocratique que le régime actuel, instauré lors de la rétrocession de Hong-Kong à la Chine. Il documente et explique ces attitudes paradoxales à l’aide de diverses études sur la culture politique des citoyens de Hong-Kong.

Depuis la rétrocession de Hong-Kong à la Chine, en 1997, plusieurs manifestations ont revendiqué l’élection au suffrage universel du premier ministre, conformément à une des dispositions de la constitution de 1990, élaborée principalement par le Congrès national du peuple (CNP) de la République populaire de Chine (RPC), qui prévoyait l’instauration d’une telle élection au-delà de l’année 2000 [1]. Ces manifestations ont toujours été le fait, cependant, d’une minorité de citoyens issus du milieu des affaires et de l’intelligentsia. La majorité des Hong-Kongais ne les ont pas appuyées. Plusieurs se sont même opposés à la « révolution des parapluies » de l’automne 2014, parce qu’elle a donné lieu à l’occupation de plusieurs rues et espaces publics [2]. Comment expliquer cette indifférence des Hong-Kongais à l’égard du principe le plus fondamental de la démocratie occidentale : l’élection par l’ensemble des citoyens de leurs principaux dirigeants ?

Face à face entre manifestants et policiers. Crédits photo : Vincent Yu/Associated Press.

Le premier et seul sondage du East Asia Barometer, réalisé entre 2001 et 2003, fournit certaines réponses à cette question en révélant les attitudes paradoxales des Hong-Kongais à l’égard de la démocratie [3]. Premièrement, il montre que 64% des répondants considèrent que l’ancien régime colonial britannique était quelque peu ou très démocratique (alors que ce dernier a introduit, graduellement, l’élection d’une minorité de membres des conseils municipaux et du Legislative Council (LEGCO) uniquement entre 1982 et 1990), contre 35.5% qui perçoivent le régime actuel comme quelque peu ou très démocratique. Or ce dernier accorde plus de pouvoir au LEGCO qu’auparavant, car la majorité des députés sont élus par les citoyens. Ils peuvent voter la dissolution de l’assemblée et convoquer de nouvelles élections en rejetant le budget ou tout autre législation jugée essentielle par le premier ministre (PM). Ils peuvent aussi adopter une procédure de destitution du PM à la majorité absolue des voix. Et, alors que le gouverneur général de la colonie était nommé par Londres, le PM est désormais élu par un collège électoral de 800 membres, élus par les groupes fonctionnels [4]. Les groupes fonctionnels sont les syndicats et les associations professionnelles, militaires, citoyennes et autres existant dans divers secteurs de la société.. L’entrée en fonction de ce dernier nécessite toutefois l’approbation du CNP [5]. 48% des personnes interrogées, en effet, affirment que la transition n’a apporté aucun changement positif au niveau des libertés d’expression et d’association, de l’influence du peuple sur les institutions politiques et de l’indépendance du système judiciaire, et 25% pensent que la transition a suscité des changements négatifs en ces matières.

Un homme brandit des revendications à caractère démocratique. Crédits photo : Associated Press.

La littérature sur les fondements de la légitimité des régimes démocratiques démontre que celle-ci dépend très largement des perceptions des citoyens relativement aux performances économiques et sociales et à l’intégrité de leurs gouvernements. Or l’opinion largement négative des Hong-Kongais sur le caractère démocratique du régime actuel ne peut s’expliquer par la seconde variable, car le sondage du East Asia Barometer révèle que la majorité d’entre eux font confiance aux militaires (75%), aux cours de justice (76%), à la fonction publique (68%), à la télévision (68%), au gouvernement national (61%), au parlement (61%) et aux gouvernements locaux (54%). Seuls les partis politiques suscitent leur désaveu, avec un taux d’approbation de 29% seulement.

On constate donc que les opinions et comportements des Hong-Kongais à l’égard du système actuel sont ambivalents et contradictoires. D’une part, ils le jugent à tort moins démocratique que le précédent, mais ne veulent pas se mobiliser en faveur d’une élection du PM au suffrage universel, alors que d’autre part, ils font confiance à la majorité des institutions en place, à l’exception des partis politiques. Comment expliquer ce puzzle ?

Premièrement, les Hong-Kongais, comme la majorité des Asiatiques, accordent plus d’importance au développement économique et social qu’à la participation politique.

« Hong-Kong people placed great emphasis on the importance of economic development, with fewer than one-fifth according democracy equal or greater importance (..) the people of Hong-Kong are primarily economic animals, and the primary goal of Hong-Kong society should be the flourishing of economic activities » [6].

Or, après avoir craint que la rétrocession de Hong-Kong à la Chine se traduise par un abandon du système économique capitaliste et un déclin dramatique de leurs conditions de vie (un million de citoyens ont quitté Hong-Kong durant les années ’80 et ’90), ils ont constaté depuis que ces peurs n’étaient pas fondées et demeurent globalement satisfaits des performances économiques et sociales du régime en place.

Des manifestants bloquent l’artère principale du district financier central à Hong Kong. Crédits photo : Reuters.

Deuxièmement, ils ne sont pas nécessairement favorables à l’élection au suffrage universel du PM, car ce dernier élargirait le pouvoir des partis politiques auxquels ils ne font pas confiance. Enfin, il faut souligner que les Hong-Kongais, comme la plupart des Asiatiques, sont très réticents à s’impliquer dans des activités de contestation des élites au pouvoir, que ce soit par des manifestations, la signature de pétitions, l’occupation d’espaces publics ou la formulation de critiques au sein des media. Pour eux, la participation politique des citoyens doit être concentrée au sein des organisations de la société civile. La période post 1997 a d’ailleurs été caractérisée par une multiplication des organisations de défense de l’environnement, des femmes, des déshérités, des consommateurs, des handicapés et des locataires à Hong-Kong.

Cet article démontre que la conception de la démocratie des Hong-Kongais n’est pas la même que celle des Occidentaux. Ils associent prioritairement la démocratie aux progrès économiques et sociaux, et secondairement au respect des libertés individuelles et collectives et à la participation des citoyens à l’élection de leurs dirigeants. Ceci explique qu’ils jugent l’ancien régime colonial, qui a été à l’origine du miracle économique de Hong-Kong durant les années 1950-1990, plus démocratique que le régime actuel, tout en étant globalement favorables aux institutions politiques de ce dernier et réticents à le contester puisque, contre toute attente, ce régime a préservé le système capitaliste, favorisé la poursuite de la croissance économique et assuré la stabilité politique de Hong-Kong.

Portfolio


[1Scott, Ian (ed). 1998. Institutional Change and the Political Transition in Hong-Kong. Londres : Macmillan.

[2Voir notamment : Taillefer, Guy. 2015. « Hong-Kong. Revers percutant » dans Le Devoir, éd. du 19 juin , A8.

[3Wai-Man, Lam et Hsin-Chi Kuan. 2008. « Democratic Transition Frustrated : The Case of Hong-Kong » dans Yun-Han Chu, Larry Diamond, Andrew J. Nathan et Doh Chull Shin (eds). How East Asians View Democracy. New-York : Columbia University Press.

[4Lam, Wai-Man. 2006. Contemporary Hong-Kong Politics : Governance in the Post 1997 Era. Urbana : University of Illinois Press.

[5Miners, Norman. 1998. « Executive-Legislative Relations » dans Ian Scott (ed)., op.cit., 153-155. Il faut préciser ici que suite aux manifestations de 2014, Pékin a proposé l’élection au suffrage universel du PM, à la condition que les candidats en lice soient préalablement approuvés par le gouvernement chinois. Selon nos informations, cette proposition a cependant été rejetée par le gouvernement de Hong-Kong.

[6Wai-Man, Lam et Hsin-chi Kuan. op.cit., p. 202.

Professeure titulaire au département de science politique de l’Université de Montréal et retraitée depuis 2014, Diane Ethier a principalement travaillé sur l’analyse comparée des transitions de l’autoritarisme vers la démocratie.

Un message, un commentaire ?

modération a priori

Ce forum est modéré a priori : votre contribution n’apparaîtra qu’après avoir été validée par un administrateur du site.

Qui êtes-vous ?
Votre message

Pour créer des paragraphes, laissez simplement des lignes vides.